richard a écrit : 04 mars 2024, 16:56La relativité et la quantique ne peuvent être résolues que dans le cadre du réalisme.
Pas très convaincant (et sans lien avec cette affirmation) le document de Juignet Patrick
Le positivisme scientifique.
L'association déterminisme/positivisme dans l'article de Juignet
L'association déterminisme/positivisme dans son article ne me semble pas pertinente. Pourquoi un positiviste devrait-il croire, lui aussi, à l'interprétation réaliste attribuant au déterminisme des lois de la physique (et, d'une façon plus générale aux lois "de la nature" qualifiées de fondamentales) un caractère de propriété intrinsèque, de propriété objective de la nature ?
C'est une confusion entre positivisme et opinion contradictoire de certains scientifiques de la fin du 19ème (cf. le
déterminisme de Laplace). Certains se réclamaient du positivisme et attribuaient pourtant, en même temps, un caractère fondamental (objectif) aux constantes de la physique et à certaines lois de la nature :
- déterminisme
- réversibilité
- principe de causalité (demandant, au passage, un écoulement irréversible du temps incompatible avec la réversibilité)
auxquelles s'ajoutent désormais :
- la symétrie CPT,
- l'invariance de Lorentz et le principe de causalité désormais relativiste
(impossibilité d'interactions sortant du cône de causalité relativiste)
- un bon nombre de no-go theorems de la physique quantique (cf. no-go theorem)
- no-cloning theorem,
- no-communication theorem,
- no-hiding theorem,
- quantum no-deleting theorem,
- no-teleportation theorem...
- les constantes fondamentales de la physique : G, c, h, charge électrique des quarks et de l'électron, masse de l'électron...
C'est quoi l'interprétation réaliste de la physique (pour un physicien réaliste) ? C'est l'hypothèse selon laquelle ces lois fondamentales :
- seraient des propriétés intrinsèques de la nature
(à d'éventuels manques près que les avancées de la physique combleraient peu à peu)
- ou seraient proches de propriétés de la nature qui existeraient et, cependant, seraient objectives.
En gros
le point de vue (des physiciens)
réaliste(s), c'est le point de vue que Patrick Juignet
prète aux positivistes. A mon avis, son article repose sur une grille de lecture philosophique datant de la fin du 19ème siècle. Il s'agit d'une perception de la science n'ayant pas encore intégré le
changement de paradigme induit par la relativité de l'espace et du temps et la physique quantique (tout particulièrement,
le problème dit de la mesure quantique).
L'association positivisme versus démarche exclusivement inductive dans l'article de Juignet
Par ailleurs, son hypothèse
positivisme ==> mode de raisonnement exclusivement
inductif ne me semble pas pertinente non plus. Où est-il aller chercher l'idée selon laquelle le positivisme limiterait l'usage de la démarche déductive ?...
...du moment que celle-ci s'appuie sur une
base de lois solidement validées par des
observations reproductibles ? A mon avis Juignet estime implicitement fructueux (et probablement sans en être conscient) de promouvoir une
démarche déductive reposant sur des hypothèses validées par
le bon sens paysan ! Aïe !
Par ailleurs, sa
conclusion me semble être l'expression d'un
acte de foi. Aucun des 4 points cités en conclusion par Juignet n'est utilisé (et je le crains utilisable) pour valider l'existence d'
une réalité qui aurait des propriétés intrinsèques, des
propriétés qui ne devraient rien à ce qui est reproductiblement observable : les traces du passé engendrées par la
grille de lecture thermodynamique statistique de l'observateur macroscopique (les êtres vivants).
Des auteurs défendant l'interprétation réaliste de la physique
Les 5 documents et 2 vidéos ci-dessous défendent une position réaliste. Ils me semblent bien plus pertinents que l'article de Juignet. Leurs auteurs sont des scientifiques professionnels. Leur compétence scientifique est utile pour apporter un éclairage scientifique sur ce sujet délicat.
- Clearing up mysteries E.T. Jaynes y explique de façon très claire en quoi se distingue :
- le point de vue réaliste d'Einstein (attaché aux "éléments de réalité", cf. EPR) sur l'incomplétude de la physique quantique
- du point de vue positiviste de Bohr défendant la complétude de la physique quantique mais, comme E.T. Jaynes le met en lumière, une complétude sous un angle purement épistémique.
Cf. § EPR et § Confrontation or Reconciliation.
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- Comprenons-nous vraiment la Mécanique Quantique ? (Vidéo) Frank Laloë, Institut des Hautes Études Scientifiques
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- Everett many-worlds interpretation | Wikipedia audio article (Vidéo) L'interprétation des mondes multiples Wiki, H. Everett. C'est une interprétation réaliste de la fonction d'onde. Cela sauve déterminisme, réversibilité, préservation de l'information, invariance de Lorentz, causalité relativiste et réalité physique objective de l'état quantique...
...mais ça a un coût très élevé : cette interprétation implique, du coup, l'existence d'une fonction d'onde objective de l'univers et la création, à chaque mesure, d'une multitude d'univers parallèles inobservables...
...ainsi, évidemment, que la disparition du temps en cosmologie quantique, cf. L'équation de Wheeler-Dewitt. C'est normal. Il n'y a plus d'observateur donc plus de phénomène physique irréversible, donc plus de traces du passé marquant le passage du temps (grâce à une création d'entropie, une fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique).
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- Environment as a Witness: Selective Proliferation of Information and Emergence of Objectivity in a Quantum Universe
Harold Ollivier, David Poulin, Wojciech H. Zurek
Là on a affaire à des physciens dont, au moins Zurek, se réclamait du réalisme (je ne sais pas si c'est toujours le cas). Le document en lui-même est extrêmement intéressant. Il permet notamment de faire apparaître une base hilbertienne privilégiée dans l'interaction entre système observé et environnement ET la redondance des informations enregistrées dans l'environnement grâce au phénomène de décohérence.
Cette (très forte) redondance permet de garantir l'intersubjectivité des informations ainsi reproductiblement observables et de ce fait devenant classiques (1). Il n'y a pas de souci mathématique ou physique avec cet article. Par contre, un peu à la Prigogine, Zurek à un moment donné dans le passé, tirait (me semble-t-il) l'interprétation de ses pédictions dans un sens répondant à son attente réaliste mais semblant aller au delà de ce que ses études prouvaient.
A ce moment là, Zurek pensait (ce n'est plus le cas) avoir résolu le problème de la mesure quantique grâce à la décohérence. Las, comme toute évolution dynamique à laquelle on se refuse d'accorder un rôle à l'observateur, la décohérence est unitaire, déterministe et réversible. La décohérence préserve l'information : pas de création objective d'entropie. C'est normal, l'entropie n'est pas une grandeur physique objective.
L'information sur le système soumis à décohérence par intrication avec un appareil de mesure (puis son environnement) n'est jamais objectivement perdue (cf. les échos de spin). Elle va "se cacher" sous forme d'intrication avec l'environnement sans jamais disparaître objectivement. C'est cette observation qui a conduit à proposer l'interprétation des mondes multiples. Cette interprétation est inévitable dès lors que l'on attribue à l'état quantique un caractère de grandeur objective.
"Résoudre" le problème de la mesure quantique, c'est quoi ? C'est tenter de trouver une modélisation de la mesure quantique qui puisse se passer du rôle de l'observateur sans entrer en conflit avec la loi d'évolution quantique des systèmes physiques (une évolution unitaire, déterministe, réversible, conservant l'information cad l'entropie, comme en physique classique).
Je crains que cet objectif ne soit la poursuite d'une chimère, l'illusion persistante d'un univers qui possèderait des propriétés objectives, des propriétés qui ne dépendraient nullement de l'observateur macroscopique et de sa grille de lecture thermodynamique statistique.
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- On the reality of the quantum state, Matthew F. Pusey, Jonathan Barrett, Terry Rudolph, Nature Phys. 8, 475 (2012). Ce document défend une interprétation réaliste de l'état quantique. L'expérience proposée est parfaitement légitime et le résultat très intéressant obtenu est le suivant : un même état physique ne peut pas appartenir à deux états quantiques différents (un point qui, à un moment donné, était objet de débat).
Par contre prouver "l'objectivité/réalité" d'un état quantique se serait prouver la correspondance biunivoque (bijective) entre état physique et état quantique. Cela demanderait que 2 états physiques distincts ne puissent pas appartenir à un même état quantique. Dans la formulation standard de la théorie quantique (à un seul vecteur d'état) c'est faux.
Ce point n'est certes pas explicitement affirmé dans l'article. Toutefois, l'attribution au résultat de son expérience d'un caractère de preuve d'objectivité/réalité de l'état quantique repose implicitement sur l'hypothèse de bijectivité du lien état physique état quantique (de la formulation standard à un seul vecteur d'état). Or l'article prouve seulement l'injectivité de la relation état quantique --> état physique (ce qui est déjà un résultat très intéressant et pas du tout évident avant qu'il n'aient écrit cet article).
On se trouve, une fois de plus, confronté aux difficultés de ce type de réflexion touchant au domaine de nos certitudes. Une certitude peut être tellement forte que son caractère d'hypothèse passe inaperçu, aux yeux de celui qui l'accepte implicitement, tant elle présente un caractère d'évidence (2).
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- Weak measurement elements of reality, L. Vaidman, 1996
Dans ce document, Vaidman défend de manière très intéressante et très convaincante l'interprétation réaliste des résultats de mesure faible. Il donne de cette façon raison à Einstein quand il posait la question de l'incomplétude de la physique quantique.
Vaidman, y détaille une explication très subtile distingant :
- statistiques des résultats de mesure faible basées sur une caractérisation (incomplète) de l'état quantique reposant sur la seule présélection
- statistiques des résultats de mesure faible basées sur une caractérisation (plus complète) des états quantiques reposant sur les résultats de présélection et de postsélection.
Although measuring weak value requires an ensemble, it is argued that the weak value, similarly to an eigenvalue [et non à une moyenne, une grandeur caractérisant statistiquement un ensemble], is a property of a single pre- and post-selected quantum system
Son article a d'ailleurs fait l'objet de contestations par des auteurs qui (selon moi) n'en ont pas saisi certaines subtilités (cf.
Weak value controversy, Vaidman, 2017). La principale difficulté d'interprétation du point de vue de Vaidman se trouve dans la citation ci-dessus.
Certaines difficultés de progression de la science (3) me semblent imputables à un biais dans l'approche positiviste quand elle tombe dans l'intégrisme : l'idée que, quand un phénomène n'est pas (encore) reproductiblement observable, on devrait considérer son inexistence comme une vérité définitive (le piège dans lequel est tombé Ernst Mach avec son rejet de l'hypothèse métaphysique, à son époque, d'existence des atomes). C'est un piège qui peut conduire à se montrer catégorique quant à l'inexistence d'un référentiel privilégié attaché au milieu de propagation des ondes (cf.
Ether theory of gravitation why and how).
Par contre, il existe aussi le piège inverse, celui d'un réalisme intégriste : par exemple, affirmer l'existence d'un tel référentiel privilégié, sans nuance (et parfois pire, sans compétence), sans preuves solidement confirmées par des observations reproductibles validées par publication dans des revues à comité de lecture, et ce depuis un moment suffisant pour que l'on puisse être confiant dans la solidité de ces preuves.
Bon, d'une façon générale, l'intégrisme, l'incapacité d'être à l'écoute de points de vue différents (défendus de façon correcte et sérieuse), c'est pas terrible. Ca donne même parfois lieu (selon le domaine) à des tensions dont il serait très bénéfique de pouvoir se passer.
(1) des informations classiques c'est à dire simultanément observables. Mathématiquement, ça se traduit par une algèbre d'observables commutative contrairement à l'algèbre des observables en physique quantique. En physique quantique, quand 2 observations correspondent à des observables qui ne commutent pas, la 2ème observable change l'état du système engendré par la 1ère mesure ("
Unperformed measurements have no results" cf. Asher Peres, un grand positiviste devant l'éternel

).
De plus, les informations enregistrées dans l'environnement résistent aux agressions de l'environnement et à des lectures successives. C'est ce qui garantit l'intersubjectivité des traces du passé ainsi laissées dans l'environnement. C'est le mécanisme engendrant l'émergence d'un écoulement irréversible du temps pour les observateurs macroscopiques que sont les êtres vivants.
(2) Pour ma part, je me suis fait avoir une fois avec une tentative d'utilisation de l'
effet tunnel pour transmettre de l'information à vitesse supraluminique et m'en servir pour détecter un référentiel inertiel priviégié. J'avais imaginé une expérience de pensée basée sur cet effet mais reposant implicitement, via les équations modélisant cette expérience, et ce sans que je m'en aperçoive au début, sur le référentiel privilégié que l'expérience était sensée mettre en évidence.
Je me suis fait avoir une autre fois avec cette fois l'hypothétique possibilité de mesurer la durée objective supposée d'une mesure quantique de polarisation sur un système individuel (
un photon) en vue de distinguer, par d'hypothétiques durées de mesure de polarisation différentes :
- un mélange statistique parfait (polarisation horizontale, polarisation verticale)
- d'un mélange statistique parfait (polarisation à +45, polarisation à - 45°) dans le cadre de l'expérience EPRB...
...un piège réaliste accordant une réalité objective à l'état quantique d'un système individuel, une réalité objective au résultat de mesure quantique d'un système individuel et à la fin d'une mesure quantique. Bref, une rechute réaliste.
(3) Parfois, au vu ce que l'on fait des progrès scientifiques et technologiques, on s'interroge pour savoir si cette (très relative) lenteur est regrettable ou bénéfique.