Ma remarque ci-dessous ne concerne pas le débat sur l'athéisme. Il ne m'intéresse pas. Ce débat est complètement dépassé et en plus trop compliqué pour qu'il soit possible d'en tirer une discussion pouvant déboucher sur quelque chose
de solide. Pourquoi ? Parce que les mots employés sont chargés
de sens trop variables selon les interloculateurs.
Dominique18 a écrit : 06 juil. 2022, 17:54
André Comte-Sponville - Jean Staune : la science va-t-elle réfuter l'athéisme ?
ACS : la nature ... finit par engendrer la pensée dans le cerveau humain.
Bref, ce que je lis en creux (à tort peut-être) la matière et les propriétés qu'elle possè
de seraient en quelque sorte intrinsèques. Elles ne devraient rien à notre grille
de lecture ? Si cette hypothèse est implicitement sous-jacente (je n'en suis pas sur), je ne la partage pas. J'en détaille la raison :
Ce sont nos observations qui confèrent à l'univers que nous observons les propriétés que nous lui attribuons. Puisque l'on est dans le fil le temps, c'est exactement ce point là, cet oubli
de l'observateur (un héritage
de notre science
de la fin du 19ème siècle), qui bloque dans la compréhension
de l'émergence d'un temps s'écoulant irréversiblement du passé vers le futur sans qu'aucun retour en arrière ne soit possible, en apparent conflit avec la symétrie CPT des lois
de la physique (cf.
Le paradoxe de l'irréversibilité).
Je cite Gell-mann ci-dessous pour mieux préciser ce point :
M. Gell-Mann, The Quark and the Jaguar, Londres. Little Brown and Co, 1994, p. 218-220.
Un système entièrement clos, décrit de manière exacte, peut se trouver dans un grand nombre d’états distincts, souvent appelés "microétats ". En mécanique quantique, ceux-ci sont les états quantiques possibles du système. Ils sont regroupés en catégories (parfois appelées macroétats) selon des propriétés établies par une description grossière (coarse grained). Les microétats correspondant à un macroétat donné sont traités comme équivalents, ce qui fait que seul compte leur nombre.
Et Gell-Man conclut :
L’entropie et l’information sont étroitement liées. En fait, l’entropie peut être considérée comme une mesure de l’ignorance. Lorsque nous savons seulement qu’un système est dans un macroétat donné, l’entropie du macroétat mesure le degré d’ignorance à propos du microétat du système, en comptant le nombre de bits d’information additionnelle qui serait nécessaire pour le spécifier, tous les microétats dans le macroétat étant considérés comme également probables".
Comme on peut le voir, il n'est pas réellement possible
de séparer les propriétés que nous attribuons à l'écoulement irréversible du temps
de l'observation, donc
de l'observateur. Nous sommes, en quelque sorte, dans un univers constitué
de "matière-énergie apte à observer" c'est à dire à partitionner les microétats observables en classe d'équivalences gigantesques (les macroétats) permettant la reproductibilté
de l'information ainsi créée. Nous en sommes la preuve.
Je cite quand même Progigine (cf.
matière et révolution Les idées d’Ilya Prigogine). Il s'inscrit en faux (1) par rapport au rôle attribué à l'observateur concernant l'écoulement irréversible du temps.
J’ai cité longuement Gell-Mann, mais le même genre
de présentation
de la flèche du temps
figure dans la plupart des ouvrages. Or cette interprétation, qui implique que
notre ignorance, le caractère grossier de nos descriptions [cf.
Incomplete descriptions and relevant entropies et
le temps macoscopique de R. Balian], seraient responsables du second principe et dès lors
de la flèche du temps, est intenable. Elle nous force à conclure que le monde paraîtrait parfaitement symétrique dans le temps à un observateur bien informé, comme le démon imaginé par Maxwell, capable d’observer les microétats.
Nous serions les pères du temps et non les enfants de l’évolution. Mais comment expliquer alors que les propriétés dissipatives, comme les coefficients
de diffusion ou les temps
de relaxation, soient bien définies, quelle que soit la précision
de nos expériences ?
Comment expliquer le rôle constructif de la flèche du temps que nous avons évoqué plus haut ? (...)
Bref, Pour Prigogine, ce que nous observons est trop extraordinaire et trop reproductible pour que nous en soyons les auteurs...
...Voui mais la stabilité, la reproductibilité
de nos lecture
de traces "du passé" découle
de notre grille
de lecture.
Je (re)détaille un peu ce point.
Nous avons accès à des traces facilement décodables du passé :
- les os de dinosaures attestant de leur existence passée,
- l'herbe mouillée ce matin après un orage attestant du fait qu'il a plu la veille,
- les couches sédimentaires attestant des (et nous informant sur) les évolutions géologiques passées,
- les cernes de croissance des troncs d'arbres visibles quand on les coupe...
Ces traces irréversibles du passé (enregistrées dans des bains thermiques) assurent, grâce à une forte redondance
de l'information, reproductibilité et robustesse des informations ainsi enregistrées. C'est la base
de notre interprétation
de ce qui est passé et
de ce que sont les propriétés perçues comme objectives
de l'univers observé.
A l'inverse, nous n'avons pas
de traces facilement décodables du futur :
- pas d'os des futurs animaux n'existant pas encore,
- vaguement quelques nuages noirs suggérant la possible survenue d'un orage,
- pas de cernes attestant de la croissance d'arbres futurs...
Les atomes formant les os des futurs animaux et
de futurs arbres sont pourtant déjà là. Voui mais pas assemblés sous une forme facilement décodable.
De plus, certains
de ces atomes ne sont peut-être pas encore présents sur notre planète.
Bref, les propiétés que nous attribuons aux objets et phénomènes que nous observons ne caractérisent pas intrinsèquement ces objets et phénomènes. Ils caractérisent notre interaction avec ces phénomènes et sont une création issue
de notre grille
de lecture. Sans grille delectrure, pas moyen d'attribuer des propiétés reproductiblement observables à notre univers.
Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles.
Nota : dans ces discussions (parfois un peu sensibles) il ne faut pas se laisser embarquer par l'envie :
- d'accepter trop vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue auquel on adhère,
- de rejeter tout aussi vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue opposé.
Selon moi, il ne faut pas se laisser guider par la peur
de devoir changer d'avis et tomber ainsi dans un biais
de sélection...
... et ce d'autant plus que :
- des affirmations peuvent être justes de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est fausse sans que cela n'impacte en quoi que se soit la fausseté de cette conclusion,
- des affirmations peuvent être fausses de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est juste sans que cela n'impacte en quoi que se soit la jutesse de cette conclusion
Bref, il faut analyser en détail et recouper, pas avaler ou rejeter en bloc telle ou telle analyse sur la seule base
de la croyance ou non croyance dans ses conclusions (un excès
de confiance ou un excès
de méfiance peuvent être nuisibles à une analyse correcte)
(1) Ainsi que l'école
de pensée dite
de Bruxelles-Austin dont la qualité physique et mathématique des travaux
de recherche n'est, à mon avis, pas contestable, même si, sur le plan des a priori philosophiques, j'ai un avis différent. cf. R.C. Bishop,
Nonequilibrium statistical mechanics Brussels–Austin style Studies In History and Philosophy of Science Part B Studies In History and Philosophy of Modern Physics 35B(1):1-30, March 2004