Le temps

Tout sur les sciences, que ce soit la chimie, la biologie, l'astronomie etc.
Jean-Francois
Modérateur
Modérateur
Messages : 27990
Inscription : 03 sept. 2003, 08:39

Re: Le temps

#1526

Message par Jean-Francois » 04 juil. 2022, 13:37

richard a écrit : 04 juil. 2022, 12:57Ben justement, c’est ce qui est reproché, dans cet article, à ceux qui les assimilent aux partisans du dessein intelligent.
- Vouloir se servir de l'existence d'un mouvement comme le Dessein intelligent pour discréditer les scientifiques qui affirment, a posteriori, que les découvertes scientifiques récentes donnent droit de cité, sans les prouver, aux conceptions non matérialistes du monde, c'est effectuer, volontairement ou non, une confusion qu'il convient de dénoncer.
Bien grosse fumisterie parce qu'ils défendent des idées très très proches de celles des partisans de l'ID. Et ils le font de la même manière: critiquer l'évolution sans offrir de théorie alternative aussi, voire mieux étayée et fairet comme si la critique de l'évolution suffisait à rendre valide cette alternative.

Alternative qui, dans les meilleurs cas, est toujours du style "Quelque Chose a fait quelque chose, à un moment donné, et cela a résulté en la vie dirigée vers l'humain. On sait pas trop comment le démontrer mais c'est évident pour qui sait voir. On dit pas non plus que ce quelque Chose c'est Dieu... mais on le pense très fort, ça n'est pas pour rien que la Templeton Foundation nous finance."

Jean-François
“Belief is the wound that knowledge heals.” (Ursula Le Guin, The Telling)
("La foi est la blessure que le savoir guérit", Le dit d'Aka)

thewild
Messages : 3301
Inscription : 09 août 2016, 16:43

Re: Le temps

#1527

Message par thewild » 04 juil. 2022, 14:33

ABC a écrit : 03 juil. 2022, 20:11lla notion d'information irréversiblement enregistrée

J'ai du mal à extraire le sens de cette tournure.
Que serait une information réversiblement enregistrée, ou une information irréversiblement non enregistrée ?
J'ai l'impression que c'est un pleamonasme, non ? L'enregistrement c'est l'irreversibilité, et réciproquement.
recueillable par observation et reproductible
Ça me semble amplement suffisant. La question de l'enregistrement de l'information est implicite.
On pourrait presque arguer qu'une information n'en est pas une tant qu'elle n'est pas enregistrée, et que poser la question de l'information sans enregistrement ou parler de la réalité sans observation c'est poser exactement la même question.

Sur le rôle de la science, il y toutefois débat (au bon niveau) vis à vis de ce que je viens d'affirmer. Même aujourd'hui, de nombreux physiciens restent favorables, au contraire, à l'idée que la science aurait pour tâche de décrire la réalité...
...mais ce n'est pas du tout ce que disent Bohr et les physiciens qui, d'une façon ou d'une autre, font partie de la famille de pensée correspondante. Voilà ce que nous dit Bohr.

"It is wrong to think that the task of physics is to find out how Nature is. Physics concerns what we can say about Nature."
Je suis plutôt de l'avis de ceux qui disent que la science ne sert ni à décrire, ni à prédire, mais à comprendre.
C'est une réduction qui rend intelligible à nos petites intelligence des phénomènes bien trop complexes pour elles.
On évite ainsi l'écueil de la subjectivité et de l'objectivité, il me semble que.

Quand à ceux qui défendent une position subjective extrême, j'attends d'eux qu'ils définissent ce qui différencie dans l'expérience le sujet de l'objet.
"Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause." Bernard Le Bouyer de Fontenelle

"Plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d'être appuyé de fortes preuves." Pierre Simon Laplace

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1528

Message par Dominique18 » 04 juil. 2022, 21:58

Ben justement, c’est ce qui est reproché, dans cet article, à ceux qui les assimilent aux partisans du dessein intelligent.
Il faut également lire le deuxième article qui précise un certain nombre de points.
Des partisans de l'UIP se mêlent de biologie de l'évolution alors qu'ils n'en ont pas les compétences, même s'ils disposent de titres prestigieux et sont reconnus par leurs pairs dans leur domaine de compétence.

Des spécialistes de la biologie comme Guillaume Lecointre, ou de la paléoanthropologie comme Pascal Picq (cf.liste des signataires de la deuxième tribune parue dans Le Monde) n'empiètent pas dans des domaines où ils sont incompétents, comme la physique par exemple.
Ils sont nettement plus crédibles à leur niveau qu'un mariole comme Jean Staune et consorts.
Crédibles scientiquement, médiatiquement, c'est là que le bât blesse, c'est autre chose. C'est ce créneau que Staune et son UIP occupent. Avec l'artillerie lourde en arrière-plan, la John Templeton Foundation.

Ces partisans peuvent éventuellement émettre des avis, des considérations, à titre individuel, personnel. Ce ne sera en aucun cas un collectif de scientifiques qui aura validé leurs propos, qui ne le seront pas puisqu'ils relèvent de la métaphysique et non d'une démarche scientifique.

L'un des moteurs de cette mouvance métaphysique, d'essence pseudo-scientifique, au sein de l'UIP, est l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan.
Morceau choisi :
"Je suis convaincu qu'on ne peut se satisfaire de la seule science pour décrire le réel. Ce serait trop arrogant. La spiritualité est une approche complémentaire de la science. Parce qu'ils sont deux systèmes logiques de pensée, bouddhisme et cosmologie scientifique convergent."
(L'Express, 5 août 2011)

André Comte-Sponville, qui est philosophe, et non scientifique, a livré une analyse sur ces questions, en réponse à Staune. C'est d'un tout autre niveau.

https://archive.wikiwix.com/cache/index ... ikiwix.com

Thuan réussit à produire de la mauvaise philosophie par manque de rigueur scientifique.
Ce qui est un comble.
Ou l'illustration par l'absurde de l'inanité des élucubrations métaphysiques quand cette métaphysique, entre les mains de quelques acteurs peu éclairés, se mêle de connaissances qui relèvent de la science et qui demandent doigté et méthode.
S'il n'y avait que Thuan...

C'est beau, c'est joli, ça présente bien, ça ne demande pas beaucoup d'efforts d'assimilation, et ça continue d'alimenter et d'entretenir la mouvance créationniste.

Le Thuan en question n'est pas triste.
"Il existe également un courant minoritaire de scientifiques qui essaie d'instaurer une sorte de dialogue entre la science et la spiritualité, surtout dans les pays anglo-saxons. En France, à cause de votre tradition de laïcisme dans l'enseignement, il est beaucoup plus ardu d'instaurer un tel dialogue."
(Interview de Trinh Xuan Thuan, Lexnews, 15/09/2009)
Tu m'étonnes... Pas la peine d'avoir une grosse tête et ne rien comprendre aux principes de la laïcité. Ce n'est pas très glorieux.

En 2022, rien ne semble avoir changé dans ses propos.
Comme le rappelle Jean-François, le machin est indémontrable, invérifiable. On en passe et des meilleures.

La chasse au dahu continue de passionner sans produire de résultats notables.
Il existe toujours des chasseurs persuadés (c'est sûr, c'est certain !) qu'ils vont finir par attraper leur proie.
Chacun son truc, à condition que ça ne déborde pas.

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1529

Message par richard » 05 juil. 2022, 11:43

thewild a écrit : 04 juil. 2022, 14:33 Je suis plutôt de l'avis de ceux qui disent que la science ne sert ni à décrire, ni à prédire, mais à comprendre.
Je suis aussi de cet avis. En médecine, par exemple, il est essentiel de comprendre comment fonctionnent les différents organes, comment les traitements peuvent agir sur les maladies, sinon on fait de la pseudo médecine. En chimie pareil il faut savoir comment les différents éléments peuvent se combiner entre eux, sinon on reste au niveau de l’alchimie. Ben oui!
:hello: A+

thewild
Messages : 3301
Inscription : 09 août 2016, 16:43

Re: Le temps

#1530

Message par thewild » 05 juil. 2022, 14:51

richard a écrit : 05 juil. 2022, 11:43
thewild a écrit : 04 juil. 2022, 14:33 Je suis plutôt de l'avis de ceux qui disent que la science ne sert ni à décrire, ni à prédire, mais à comprendre.
Je suis aussi de cet avis. En médecine, par exemple, il est essentiel de comprendre comment fonctionnent les différents organes, comment les traitements peuvent agir sur les maladies, sinon on fait de la pseudo médecine. En chimie pareil il faut savoir comment les différents éléments peuvent se combiner entre eux, sinon on reste au niveau de l’alchimie. Ben oui!
Ce n'est pas ce que j'entendais par "comprendre". Je l'explitais dans la phrase suivante que tu as tronquée.
Pour moi, le rôle de la science est de réduire pour rendre intelligible.
"Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause." Bernard Le Bouyer de Fontenelle

"Plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d'être appuyé de fortes preuves." Pierre Simon Laplace

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1531

Message par richard » 05 juil. 2022, 20:08

thewild a écrit : 05 juil. 2022, 14:51 Ce n'est pas ce que j'entendais par "comprendre". Je l'explitais dans la phrase suivante que tu as tronquée.
Salut thewild! Oui, c’est le principe de la citation, mettre une phrase en exergue.
Pour moi, le rôle de la science est de réduire pour rendre intelligible.
Qu’est-ce que tu entends par réduire ?
:hello: A+

thewild
Messages : 3301
Inscription : 09 août 2016, 16:43

Re: Le temps

#1532

Message par thewild » 06 juil. 2022, 00:03

richard a écrit : 05 juil. 2022, 20:08
thewild a écrit : 05 juil. 2022, 14:51 Ce n'est pas ce que j'entendais par "comprendre". Je l'explitais dans la phrase suivante que tu as tronquée.
Salut thewild! Oui, c’est le principe de la citation, mettre une phrase en exergue.

Si la partie citée n'a pas le même sens sans le reste du texte, ce n'est pas correct. C'est un euphémisme.

Pour moi, le rôle de la science est de réduire pour rendre intelligible.
Qu’est-ce que tu entends par réduire ?
Réduire dans le sens du reductionnisme, au sens non péjoratif du terme.
Wikipedia a écrit :Dans le champ des sciences, le réductionnisme est une position philosophique, opposée à l'idée d'holisme, qui s'appuie sur une stratégie de simplification. Le réductionnisme consiste à réduire une notion en d'autres notions plus fondamentales. Toutefois, dans la pratique scientifique, le réductionnisme est moins une position philosophique sur l'ensemble du réel qu'une stratégie explicative.
"Assurons nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause." Bernard Le Bouyer de Fontenelle

"Plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d'être appuyé de fortes preuves." Pierre Simon Laplace

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1533

Message par richard » 06 juil. 2022, 10:17

thewild a écrit : 06 juil. 2022, 00:03 Si la partie citée n'a pas le même sens sans le reste du texte, ce n'est pas correct.
C’est très correct, c’est le principe d’une citation. On cite une phrase d’un livre, on ne cite pas tout le livre. Par contre il est correct de donner la référence pour avoir le con-texte, ici il suffit de cliquer sur la petite flèche pour retrouver le message complet, pas besoin d’acheter le livre.
Réduire dans le sens du reductionnisme, au sens non péjoratif du terme.
Ah! D’accoord, les théories réductrices... il y a aussi les changements de paradigmes.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1534

Message par richard » 06 juil. 2022, 11:35

Dominique18 a écrit : 04 juil. 2022, 21:58L'un des moteurs de cette mouvance métaphysique, d'essence pseudo-scientifique, au sein de l'UIP, est l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan.
Morceau choisi :
"Je suis convaincu qu'on ne peut se satisfaire de la seule science pour décrire le réel.
C’est évident, la science s’occupe de la réalité perceptible. Le réel est inatteignable (Kant), le réel c’est l’impossible (Lacan). Mais certains s’intéressent au réel, et je commence à m’y intéresser. J’ai découvert depuis peu l’UIP et je pense que leur démarche pourrait apporter des réponses à cette question du réel.
Mais je vais voir quelles casseroles leur traînent au derrière.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1535

Message par Dominique18 » 06 juil. 2022, 15:16

richard a écrit : 06 juil. 2022, 11:35
Dominique18 a écrit : 04 juil. 2022, 21:58L'un des moteurs de cette mouvance métaphysique, d'essence pseudo-scientifique, au sein de l'UIP, est l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan.
Morceau choisi :
"Je suis convaincu qu'on ne peut se satisfaire de la seule science pour décrire le réel.
C’est évident, la science s’occupe de la réalité perceptible. Le réel est inatteignable (Kant), le réel c’est l’impossible (Lacan). Mais certains s’intéressent au réel, et je commence à m’y intéresser. J’ai découvert depuis peu l’UIP et je pense que leur démarche pourrait apporter des réponses à cette question du réel.
Mais je vais voir quelles casseroles leur traînent au derrière.
Attention aux confusions dues au mélange des genres.
Sur le fil "Dieu, la science...", Il y a de quoi faire.
Pour Thuan, il ne faut pas oublier le reste de ses propos.
La science ne s'occupe pas de philosophie ou de métaphysique.
C'est expliqué et détaillé sur le fil.
Lacan était secoué. Le prendre comme référence, résolument non.
André Comte-Sponville a livré ce qu'il pensait des limites de l'exercice du mélange.

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1536

Message par richard » 06 juil. 2022, 16:09

Dominique18 a écrit : 06 juil. 2022, 15:16La science ne s'occupe pas de philosophie ou de métaphysique.
C’est précisément ce que dit l’UIP, mais ils tentent de joindre les deux bouts.
André Comte-Sponville a livré ce qu'il pensait des limites de l'exercice du mélange.
Comte-sponville est nul. Le prendre comme référence, résolument non.
Dernière modification par richard le 06 juil. 2022, 17:03, modifié 1 fois.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1537

Message par Dominique18 » 06 juil. 2022, 16:47

richard a écrit : 06 juil. 2022, 16:09
Dominique18 a écrit : 06 juil. 2022, 15:16La science ne s'occupe pas de philosophie ou de métaphysique.
1 - C’est précisément ce que dit l’UIP, mais ills tentent de joindre les deux bouts.
2 - André Comte-Sponville a livré ce qu'il pensait des limites de l'exercice du mélange.
Comte-sponville est nul. Le prendre comme référence, résolument non.
1 - en continuant d'oeuvrer pour le créationnisme, en l'alimentant

2 - nul? Je n'ai pas l'impression. Je l'ai cité parce que l'une de ses interventions tombait ad hoc, dans le débat. Je ne l'ai pas pris comme référence exclusive et incontournable. Jean Staune (UIP) versus André Comte-Sponville (2007)
15 ans après, qu'en reste-t-il? Staune a tout faux avec ses couillonnades, Comte-Sponville reste droit dans ses bottes.

https://archive.wikiwix.com/cache/index ... ikiwix.com

J'avais essayé de traiter la question (points 1 à 3).

viewtopic.php?t=16706&hilit=comte+sponv ... 00#p622769

En l'état actuel des connaissances, des scientifiques comme Guillaume Lecointre, Pascal Picq,Evelyne Heyer,.. représentent des personnes incontournables.

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1538

Message par richard » 06 juil. 2022, 17:11

ça marche pas.

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1539

Message par Dominique18 » 06 juil. 2022, 17:42

richard a écrit : 06 juil. 2022, 17:11
ça marche pas.
Quoi donc?

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1540

Message par richard » 06 juil. 2022, 17:47

Le lien.

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1541

Message par Dominique18 » 06 juil. 2022, 17:54

richard a écrit : 06 juil. 2022, 17:47Le lien.
Ah... Ennuyeux...

Je vais spoileriser alors...
Spoiler
Afficher
André Comte-Sponville - Jean Staune : la science va-t-elle réfuter l'athéisme ?
Propos recueillis par STÉPHANE MARCHAND ET MARIE-LAURE GERMON.
Publié le 02 juin 2007
Actualisé le 02 juin 2007 : 21h42

D'un côté, le très médiatique André Comte-Sponville : philosophe reconnu, son dernier ouvrage (« L'Esprit de l'athéisme, introduction à une spiritualité sans Dieu » chez Albin Michel) expose un matérialisme hérité des grandes sagesses grecques. Face à lui, l'idéalisme : Jean Staune, esprit « ondoyant et divers ». Le fondateur de l'Université interdisciplinaire de Paris, mathématicien, paléontologue, diplômé de sciences politiques et épris de philosophie des sciences vient de publier « Notre existence a-t-elle un sens ? » (Presses de la Renaissance), volumineux essai résultant de dix-neuf années de recherches. Débat croisé.
LE FIGARO. - Vous avez beaucoup travaillé, l'un et l'autre, sur la question du matérialisme, enjeu d'un débat qui fait rage dans la communauté des philosophes occidentaux. André Comte-Sponville, vous êtes un matérialiste. Pourquoi ?
André COMTE-SPONVILLE. - Distinguons d'abord les deux sens de ce concept. Le matérialiste, au sens trivial, c'est celui qui n'a pas d'idéaux, qui ne vit que pour les plaisirs corporels. Au sens philosophique, il en va tout autrement ! Le matérialisme est d'abord une position métaphysique : c'est penser que tout est matière ou produit de la matière. Attention, je ne parle pas du concept scientifique de matière, qui ne cesse d'évoluer, mais de la catégorie philosophique, qui appelle « matière » tout ce qui existe indépendamment de l'esprit. La vraie question est de savoir ce qui est premier : est-ce l'esprit qui crée la matière, ou la matière (qu'elle soit énergie, ondes ou corpuscules) qui produit l'esprit ? L'idéalisme défend la première position ; le matérialisme, la seconde, ce qui revient à nier l'existence d'un dieu créateur et d'une âme immatérielle. Pour le matérialisme, ce n'est pas un esprit qui a créé le monde ; c'est la nature incréée qui finit par engendrer la pensée dans le cerveau humain. Je ne suis donc qu'un corps, ce qui exclut que je puisse lui survivre : être matérialiste, c'est aussi penser qu'il n'y a pas de vie après la mort. Voici résumées les composantes majeures du matérialisme, depuis Démocrite et Épicure jusqu'à aujourd'hui.

Cela débouche sur ce que j'appelle dans mon livre un humanisme de la miséricorde. Autant, comme copie de Dieu - puisqu'il est censé nous avoir créé à son image -, nous sommes lamentables (cela ferait douter de l'original !), autant, comme cousins du chimpanzé - avec lequel nous avons 98 % de gènes communs -, nous sommes exceptionnels ! Il ne s'agit pas d'admirer l'homme, encore moins de le haïr ! Il s'agit de pardonner à l'humanité de n'être d'abord qu'une espèce animale, tout en nous félicitant que cette dernière ait produit les sciences et les arts, la démocratie et la sécurité sociale, la mécanique quantique et la philosophie, la gastronomie et l'érotisme. Or, ce matérialisme, quoique vous en disiez, cher Jean Staune, n'est en rien bouleversé par les évolutions scientifiques ! Qu'il n'y ait presque rien de commun entre l'atomisme épicurien (qui était une philosophie, pas une science) et la physique contemporaine (qui est une science, pas une philosophie), je vous l'accorde évidemment. Mais cela n'empêche pas que l'épicurisme continue philosophiquement de nous éclairer. La métaphysique n'est guère soumise aux aléas de la physique !

Jean STAUNE. - Les philosophes actuels n'ont pas suffisamment intégré l'extraordinaire changement de vision du monde consécutif aux nouvelles connaissances scientifiques, et notamment à la mécanique quantique. Ces dernières fragilisent au moins deux des piliers du matérialisme que vous avez mentionnés : l'idée, d'une part, que la matière existerait objectivement par elle-même (c'est-à-dire,­ justement, que « l'existence précéderait l'essence ») ; et, d'autre part, la certitude que la conscience humaine serait réductible à la seule production d'un organe cognitif. Depuis près de soixante-dix ans, avec l'avènement de la mécanique quantique, nous savons que le premier postulat n'a plus de raison d'être. Les caractéristiques des particules élémentaires ne sont pas invariantes mais dépendent de la façon dont les observe. Cela récuse l'idée d'une objectivité intrinsèque de la matière. Par ailleurs, il y a aujourd'hui autant de théories de la conscience qu'il y a de neuroscientifiques, et aucune ne paraît devoir s'imposer. De plus, de récentes et multiples expériences ont déstabilisé la certitude que la conscience serait le produit du cerveau. Voilà donc pourquoi je pense que le matérialisme est extrêmement affaibli par les progrès scientifiques.

A. C.-S. - Vous avez écrit 500 pages pour enfoncer une porte ouverte : montrer que la croyance en Dieu est toujours possible. Mais qui le nie ? Vous ne verrez aucun philosophe sérieux affirmer qu'il est impossible de croire en Dieu ! D'un point de vue logique et métaphysique, chacun sait depuis longtemps - lisez Kant ou Hume, Pascal ou Montaigne - que la croyance en Dieu est possible, que nous ne pouvons prouver ni son existence ni son inexistence ! La foi relève moins du jeu de l'argumentation, et encore moins de l'histoire des sciences, que de l'évolution des mentalités. Pour savoir si un scientifique est matérialiste ou idéaliste, ce n'est pas à la porte de son laboratoire que je l'interrogerais, mais à la porte du cimetière. La vraie question est là : lors de la perte d'un être cher, pense­-t-il qu'il va le retrouver ou pas ? Par ailleurs, vous confondez la connaissance du réel avec le réel lui-même. Vous écrivez que ce que l'on nomme « matière » se résume à un jeu d'équations. Mais essayez donc de remplir le réservoir de votre voiture avec des équations, elle n'avancera pas ! Que la connaissance de la matière soit abstraite, comme toute science, cela ne veut pas dire que la matière soit une abstraction ! Que la connaissance du Soleil prenne la forme d'équations, cela ne signifie nullement que ce sont des équations qui font pousser les arbres ou donnent des coups de soleil !

J. S. - Je rappelle tout d'abord que l'on sait aujourd'hui avec une précision incroyable - et c'est une révolution épistémologique - pourquoi on ne saura jamais certaines choses. Par exemple, on sait parfaitement pourquoi on ne connaîtra jamais la position et la vitesse d'une particule au même moment. Je n'en déduis nullement l'existence d'un Dieu trônant au milieu de ses saints. Je me demande simplement si notre Univers existe par lui-même, s'il est sa propre cause ou non. Ce que je veux montrer, c'est que si l'on poursuit cette démarche, on se rend compte effectivement que dans tous les grands domaines scientifiques (la physique, les mathématiques, l'astrophysique, la biologie, la neurologie), il s'est produit, à des degrés divers, des révolutions comparables à celle induite par les découvertes de Copernic. Il y a cinq siècles, nos semblables étaient persuadés de vivre dans une sphère de 20 000 km de diamètre, que les étoiles représentaient des pointes sur une sphère de cristal et que le Soleil n'était qu'un petit nuage lumineux tournant autour de nous. Grâce à Copernic, nous avons progressivement découvert que le Soleil mesure 1,4 million de kilomètres de diamètre, qu'il en existe des centaines de milliards dans notre galaxie, et, qui plus est, dans des milliers de galaxies. Cette nouvelle vision du monde a « impacté » la société de façon gigantesque aux plans économique, social et politique, même s'il est vrai que ce processus a duré plusieurs siècles. Permettre au public du XXIe siècle de prendre conscience qu'une autre révolution est en cours, ce que mon livre rend possible, ce n'est pas enfoncer une porte ouverte !

A. C.-S. - Cela ne change pas grand-chose concernant l'existence ou l'inexistence de Dieu...

J. S. - Mais la physique quantique ne prouve en rien l'existence de Dieu. Elle élargit le « champ des possibles ». La physique démontre l'existence d'un niveau de réalité dont on ne peut rien préjuger. Rien de cet autre niveau de réalité ne nous amène à l'idée qu'il existe un Dieu plein d'amour pour nous. Mais l'existence de cet autre niveau de réalité, avec lequel l'homme peut sans doute être en contact, rappelle les intuitions majeures de toutes les grandes religions - y compris les religions sans dieu comme le bouddhisme ou le taoïsme - fondées sur deux principes : l'existence, précisément, d'un autre niveau de réalité et la possibilité d'un lien entre l'esprit humain et cette autre instance. Ces principes deviennent beaucoup plus crédibles qu'ils ne l'étaient avant les découvertes de la mécanique quantique, mais aussi de l'astrophysique et de la neurologie, et, cela, c'est réellement nouveau. Or, vous affirmez, André Comte-Sponville, que « toutes les religions sont immanentes, qu'elles procèdent de nous ». Qu'en savez-vous ? Dans un monde « ouvert », on ne peut pas faire une telle affirmation a priori, pas plus qu'il n'est permis de s'appuyer sur votre théorie du primat de la matière qui constitue pour vous la « réalité ». Contrairement à ce que vous dites, il semble bien que ce ne soit pas seulement la connaissance que nous avons des fondements de la réalité mais ces fondements eux-mêmes qui sont plus proches d'une équation que d'une chose. Si cela est vrai, et si, en plus, notre monde n'est pas « autosuffisant », ne peut exister par lui-même, et qu'il faut, pour l'expliquer, un autre niveau de réalité auquel l'esprit humain serait relié, cela déstabilise fortement le matérialisme sous sa forme classique. Naturellement, je ne présume aucunement de la nature de cet autre niveau de réalité. Je ne dis pas qu'il est habité par un Dieu bon, accessible à nos prières et soucieux de notre bonheur. Mais ce concept n'est plus a priori absurde.

A. C.-S. - Les philosophes ont toujours su que la croyance en Dieu et en une vie après la mort était « non absurde a priori », pour reprendre votre expression, et que le matérialisme et l'athéisme ne l'étaient pas davantage. C'est une question métaphysique et non pas scientifique ! Dès lors, quand je dis que la religion est immanente, ce n'est pas un postulat mais une thèse : c'est ma position, pas une évidence ou une nécessité ! Vous ne mesurez pas la différence entre ce qui est démontrable ou falsifiable, qui relève de la science, et ce qui ne l'est pas, qui relève de la métaphysique. De deux choses l'une : soit l'on s'en tient à une lecture faible de votre texte, qui montre que la croyance en Dieu est « non absurde a priori », auquel cas vous enfoncez une porte ouverte ; soit vous prétendez que la croyance en Dieu est bien d'avantage probable aujourd'hui qu'au XIXe siècle, auquel cas vous passez de l'histoire des sciences à une position métaphysique, et c'est ce passage-là qui me paraît indu.

J. S. - Vous ne pouvez pas nier qu'aujourd'hui encore certains de vos collègues affirment que la Science a tué Dieu ! Ma démarche repose sur la philosophie des sciences. L'essentiel des grands physiciens contemporains s'accorde à penser qu'il n'existe aucun moyen satisfaisant de décrire les processus atomiques fondamentaux de la nature en termes d'espace, de temps et de causalité. Tout ce que nous savons de la nature nous amène à concevoir ses fondements comme étant hors du temps et de l'espace mais engendrant des événements qui sont situés dans le temps et dans l'espace. Je n'affirme rien d'autre que cela, mais les implications de ce changement de paradigme sont gigantesques.

Vous semblez dire, Jean Staune, que l'on ne peut plus penser la philosophie sans le support des sciences. Qu'en pensez-vous André Comte-Sponville ?
A. C.-S. - Que c'est une platitude ou une erreur ! Il va de soi que nous ne pouvons plus épouser la cosmologie d'Aristote ou d'Épicure. Il n'en reste pas moins qu'en matière de philosophie, d'éthique et de métaphysique, Aristote et Épicure demeurent infiniment plus éclairants que mon ami Jean Staune ! Tout simplement parce que, au plan de la métaphysique, il n'y a pas de progrès. Ce qui veut dire que les grands métaphysiciens sont par définition indépassables, alors que n'importe quel physicien d'il y a cent ans est dépassé par ses collègues d'aujourd'hui. La science du passé est une science dépassée. Toute grande philosophie est indépassable.

Vous pensez donc que jamais la science ne pourra réfuter une philosophie.
A. C.-S. - En tout cas jamais sur l'essentiel, qui est éthique et métaphysique. Les grandes philosophies ne seront jamais réfutées par la science : elles restent vivantes. D'ailleurs, Jean Staune le confirme : il reconnaît lui-même que sa position est une espèce de platonisme...

J. S. - Mais la science ruine toutes les constructions philosophiques basées sur l'idée que l'univers a 6 000 ans ou que la Terre est au centre du monde ! Il en est de même selon moi des philosophies se basant sur l'autosuffisance exclusive de la matière, ce qui remet en cause bien des systèmes présents ou passés.

A. C.-S. - Bien sûr ! Mais je vous répète que je parle de métaphysique et non pas de cosmologie, que vous vous entêtez à confondre. Que les sciences fassent évoluer nos conceptions du monde, ce qui est bien clair, cela ne saurait bouleverser la philosophie en général, laquelle ne saurait se réduire au commentaire des dernières révolutions scientifiques. De telle sorte, mon cher Jean, qu'au siècle prochain, votre livre sera parfaitement dépassé, alors que le mien restera d'une actualité pérenne...
C'est avec ce genre d'échanges que l'on progresse.

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1542

Message par richard » 07 juil. 2022, 12:31

C’est une évidence, la science s’occupe de la réalité perceptible, elle n’étudie que ce qui apparaît. Derrière ce qu’on perçoit il y a ce qu’on ne perçoit pas. La Palice n’aurait pas mieux dit. Ce qu’on ne perçoit pas c’est le réel. La réalité perceptible n’est donc que la surface de ce réel. Aussi la science ne s’occupe-t-elle que de la surface du réel. Elle s’en occupe très bien et ce qu’elle révèle de cette réalité est passionnant, mais certains veulent regarder au-delà des apparences. N’ont-ils pas le droit ?
Je crois que si l’on reste dans le temps ordinaire on ne perçoit que la réalité perceptible (c’est un pléonasme, je sais!). Pour aller au-delà il faut quitter l’état ordinaire et donc le temps ordinaire.
Lao zi a écrit :À l’état de désir on perçoit sa surface, à l’état de non-désir on rencontre ses mystères.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1543

Message par Dominique18 » 08 juil. 2022, 11:02

richard a écrit : 07 juil. 2022, 12:31 C’est une évidence, la science s’occupe de la réalité perceptible, elle n’étudie que ce qui apparaît. Derrière ce qu’on perçoit il y a ce qu’on ne perçoit pas. La Palice n’aurait pas mieux dit. Ce qu’on ne perçoit pas c’est le réel. La réalité perceptible n’est donc que la surface de ce réel. Aussi la science ne s’occupe-t-elle que de la surface du réel. Elle s’en occupe très bien et ce qu’elle révèle de cette réalité est passionnant, mais certains veulent regarder au-delà des apparences. N’ont-ils pas le droit ?
Je crois que si l’on reste dans le temps ordinaire on ne perçoit que la réalité perceptible (c’est un pléonasme, je sais!). Pour aller au-delà il faut quitter l’état ordinaire et donc le temps ordinaire.
Lao zi a écrit :À l’état de désir on perçoit sa surface, à l’état de non-désir on rencontre ses mystères.
Ta position sur le sujet est plutôt métaphysique, il me semble.
La science ne s'occupe que de ce qu'elle peut étudier, dans les limites précises, définies, de son exercice (cf. préface citée de Guillaume Lecointre).

"Au-delà", de l'état et le temps ordinaires, je ne m'aventure pas parce que je ne dispose pas des outils adéquats, avec les garde-fous requis.
ABC fournit pas mal de billes à ce sujet, et le temps qu'il me faut pour ingurgiter, assimiler, comprendre, autant que faire se peut, ça m'occupe bien l'esprit.

Autre élément de réflexion : Jean-Pierre Changeux, l'homme neuronal, trente ans après.
C'est du brutal également, ça calme les ardeurs (métaphysiques), ça s'appréhende à petites doses.
Avec les interrogations relatives à l'évolution, il y a de quoi faire.

Ce dont je m'aperçois, c'est qu'une ligne de conduite émerge : prudence et mesure en toutes choses. Et avant tout, se méfier de soi, de ce qu'on pense ou de ce que l'on croit savoir penser. Le diable se cache dans les détails.

Pascal Picq le rappelle : les physiciens, aussi honorables et bardés de titres soient-ils, doivent se montrer prudents dès qu'ils s'aventurent hors de leur domaine de compétence. La biologie du vivant, et au fortiori celle concernant la complexité (sur le plan connaissances) de l'évolution, ne souffre aucune approximation.

Si on n'y prend pas suffisamment garde, on continue de produire et d'entretenir des pseudo-sommités fortes en gueule (médiatique), telles les Bogdanov brothers, Dambricourt, Staune, Aberkane et consorts, mais préjudiciables sur le plan connaissances, car proposant des (pseudo)axes de réflexion avec le recours à des dés pipés.

J'ai cité, à dessein, Jean-Pierre Changeux. Les "forts en gueule" lui sont tombés dessus (dont un certain nombre de célébrités d'obédience psychanalytique, mais pas que... C'était en 1988.) à la publication de "L'homme neuronal". Qu'en reste-t-il, trente ans après ?
Un certain nombre se sont fait mettre minables.
Changeux a fait avancer la recherche, parce que dans son ouvrage, il y avait plusieurs questions judicieuses, ouvrant des perspectives.

Que retrouve t'on chez Changeux, qui n'a pas varié d'un iota ? La rigueur et la précision méthodologiques.
Dernière modification par Dominique18 le 08 juil. 2022, 18:55, modifié 2 fois.

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1544

Message par richard » 08 juil. 2022, 14:46

Dominique18 a écrit : 08 juil. 2022, 11:02 Ta position sur le sujet est plutôt métaphysique, il me semble.
La science ne s'occupe que de ce qu'elle peut étudier, dans les limites précises, définies, de son exercice.
L’espace et le temps sont des notions métaphysiques, pourtant il en est question dans la théorie de la relativité où a même été élaboré le concept d’espace-temps, une invention pour le moins MÉTAphysique.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
ABC
Messages : 3847
Inscription : 11 mai 2014, 20:37

Re: Le temps

#1545

Message par ABC » 09 juil. 2022, 10:21

Ma remarque ci-dessous ne concerne pas le débat sur l'athéisme. Il ne m'intéresse pas. Ce débat est complètement dépassé et en plus trop compliqué pour qu'il soit possible d'en tirer une discussion pouvant déboucher sur quelque chose de solide. Pourquoi ? Parce que les mots employés sont chargés de sens trop variables selon les interloculateurs.
Dominique18 a écrit : 06 juil. 2022, 17:54
André Comte-Sponville - Jean Staune : la science va-t-elle réfuter l'athéisme ?
ACS : la nature ... finit par engendrer la pensée dans le cerveau humain.
Bref, ce que je lis en creux (à tort peut-être) la matière et les propriétés qu'elle possède seraient en quelque sorte intrinsèques. Elles ne devraient rien à notre grille de lecture ? Si cette hypothèse est implicitement sous-jacente (je n'en suis pas sur), je ne la partage pas. J'en détaille la raison :

Ce sont nos observations qui confèrent à l'univers que nous observons les propriétés que nous lui attribuons. Puisque l'on est dans le fil le temps, c'est exactement ce point là, cet oubli de l'observateur (un héritage de notre science de la fin du 19ème siècle), qui bloque dans la compréhension de l'émergence d'un temps s'écoulant irréversiblement du passé vers le futur sans qu'aucun retour en arrière ne soit possible, en apparent conflit avec la symétrie CPT des lois de la physique (cf. Le paradoxe de l'irréversibilité).

Je cite Gell-mann ci-dessous pour mieux préciser ce point :

M. Gell-Mann, The Quark and the Jaguar, Londres. Little Brown and Co, 1994, p. 218-220.
Un système entièrement clos, décrit de manière exacte, peut se trouver dans un grand nombre d’états distincts, souvent appelés "microétats ". En mécanique quantique, ceux-ci sont les états quantiques possibles du système. Ils sont regroupés en catégories (parfois appelées macroétats) selon des propriétés établies par une description grossière (coarse grained). Les microétats correspondant à un macroétat donné sont traités comme équivalents, ce qui fait que seul compte leur nombre.
Et Gell-Man conclut :
L’entropie et l’information sont étroitement liées. En fait, l’entropie peut être considérée comme une mesure de l’ignorance. Lorsque nous savons seulement qu’un système est dans un macroétat donné, l’entropie du macroétat mesure le degré d’ignorance à propos du microétat du système, en comptant le nombre de bits d’information additionnelle qui serait nécessaire pour le spécifier, tous les microétats dans le macroétat étant considérés comme également probables".
Comme on peut le voir, il n'est pas réellement possible de séparer les propriétés que nous attribuons à l'écoulement irréversible du temps de l'observation, donc de l'observateur. Nous sommes, en quelque sorte, dans un univers constitué de "matière-énergie apte à observer" c'est à dire à partitionner les microétats observables en classe d'équivalences gigantesques (les macroétats) permettant la reproductibilté de l'information ainsi créée. Nous en sommes la preuve.

Je cite quand même Progigine (cf. matière et révolution Les idées d’Ilya Prigogine). Il s'inscrit en faux (1) par rapport au rôle attribué à l'observateur concernant l'écoulement irréversible du temps.
J’ai cité longuement Gell-Mann, mais le même genre de présentation de la flèche du temps figure dans la plupart des ouvrages. Or cette interprétation, qui implique que notre ignorance, le caractère grossier de nos descriptions [cf. Incomplete descriptions and relevant entropies et le temps macoscopique de R. Balian], seraient responsables du second principe et dès lors de la flèche du temps, est intenable. Elle nous force à conclure que le monde paraîtrait parfaitement symétrique dans le temps à un observateur bien informé, comme le démon imaginé par Maxwell, capable d’observer les microétats. Nous serions les pères du temps et non les enfants de l’évolution. Mais comment expliquer alors que les propriétés dissipatives, comme les coefficients de diffusion ou les temps de relaxation, soient bien définies, quelle que soit la précision de nos expériences ? Comment expliquer le rôle constructif de la flèche du temps que nous avons évoqué plus haut ? (...)
Bref, Pour Prigogine, ce que nous observons est trop extraordinaire et trop reproductible pour que nous en soyons les auteurs...

...Voui mais la stabilité, la reproductibilité de nos lecture de traces "du passé" découle de notre grille de lecture.

Je (re)détaille un peu ce point.
Nous avons accès à des traces facilement décodables du passé :
  • les os de dinosaures attestant de leur existence passée,
  • l'herbe mouillée ce matin après un orage attestant du fait qu'il a plu la veille,
  • les couches sédimentaires attestant des (et nous informant sur) les évolutions géologiques passées,
  • les cernes de croissance des troncs d'arbres visibles quand on les coupe...
Ces traces irréversibles du passé (enregistrées dans des bains thermiques) assurent, grâce à une forte redondance de l'information, reproductibilité et robustesse des informations ainsi enregistrées. C'est la base de notre interprétation de ce qui est passé et de ce que sont les propriétés perçues comme objectives de l'univers observé.

A l'inverse, nous n'avons pas de traces facilement décodables du futur :
  • pas d'os des futurs animaux n'existant pas encore,
  • vaguement quelques nuages noirs suggérant la possible survenue d'un orage,
  • pas de cernes attestant de la croissance d'arbres futurs...
Les atomes formant les os des futurs animaux et de futurs arbres sont pourtant déjà là. Voui mais pas assemblés sous une forme facilement décodable. De plus, certains de ces atomes ne sont peut-être pas encore présents sur notre planète.

Bref, les propiétés que nous attribuons aux objets et phénomènes que nous observons ne caractérisent pas intrinsèquement ces objets et phénomènes. Ils caractérisent notre interaction avec ces phénomènes et sont une création issue de notre grille de lecture. Sans grille delectrure, pas moyen d'attribuer des propiétés reproductiblement observables à notre univers.

Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles.

Nota : dans ces discussions (parfois un peu sensibles) il ne faut pas se laisser embarquer par l'envie :
  • d'accepter trop vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue auquel on adhère,
  • de rejeter tout aussi vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue opposé.
Selon moi, il ne faut pas se laisser guider par la peur de devoir changer d'avis et tomber ainsi dans un biais de sélection...
... et ce d'autant plus que :
  • des affirmations peuvent être justes de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est fausse sans que cela n'impacte en quoi que se soit la fausseté de cette conclusion,
  • des affirmations peuvent être fausses de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est juste sans que cela n'impacte en quoi que se soit la jutesse de cette conclusion
Bref, il faut analyser en détail et recouper, pas avaler ou rejeter en bloc telle ou telle analyse sur la seule base de la croyance ou non croyance dans ses conclusions (un excès de confiance ou un excès de méfiance peuvent être nuisibles à une analyse correcte)

(1) Ainsi que l'école de pensée dite de Bruxelles-Austin dont la qualité physique et mathématique des travaux de recherche n'est, à mon avis, pas contestable, même si, sur le plan des a priori philosophiques, j'ai un avis différent. cf. R.C. Bishop, Nonequilibrium statistical mechanics Brussels–Austin style Studies In History and Philosophy of Science Part B Studies In History and Philosophy of Modern Physics 35B(1):1-30, March 2004

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1546

Message par Dominique18 » 10 juil. 2022, 11:28

Nota : dans ces discussions (parfois un peu sensibles) il ne faut pas se laisser embarquer par l'envie :
d'accepter trop vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue auquel on adhère,
de rejeter tout aussi vite toutes les affirmations utilisées par un partisan du point de vue opposé.
Selon moi, il ne faut pas se laisser guider par la peur de devoir changer d'avis et tomber ainsi dans un biais de sélection...
... et ce d'autant plus que :
des affirmations peuvent être justes de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est fausse sans que cela n'impacte en quoi que se soit la fausseté de cette conclusion,
des affirmations peuvent être fausses de la part de celui dont on sait de façon quasi sure que sa conclusion globale est juste sans que cela n'impacte en quoi que se soit la jutesse de cette conclusion
Bref, il faut analyser en détail et recouper, pas avaler ou rejeter en bloc telle ou telle analyse sur la seule base de la croyance ou non croyance dans ses conclusions (un excès de confiance ou un excès de méfiance peuvent être nuisibles à une analyse correcte)
Exact, mais le contexte importe beaucoup, me semble-t-il.
Sur le plan des connaissances élémentaires concernant l'évolution, versus les poussées récurrentes depuis 150 ans des créationnistes, ou de ce qui peut s'y rattacher (avec une bonne part de pensée magique), nous ne pouvons pas laisser passer n'importe quoi.
Déontologiquement, d'ailleurs, il est des questions à se poser. La connaissance reposant sur des bases scientifiques, ne représente pas un marché très porteur (cf. les chiffres de vente des ouvrages spécialisés).
Celui des pseudo-sciences et de désinformation est une redoutable machinerie à cash. Le budget attribué aux opérations d'emballage et de séduction est souvent à la hauteur des parts de marché à occuper. Jean Staune (le personnage est emblématique de ce genre de tendances) à cet égard, n'est certainement pas un philanthrope bienveillant et désintéressé.

Avatar de l’utilisateur
ABC
Messages : 3847
Inscription : 11 mai 2014, 20:37

Re: Le temps

#1547

Message par ABC » 10 juil. 2022, 12:50

Dominique18 a écrit : 10 juil. 2022, 11:28Sur le plan des connaissances élémentaires concernant l'évolution, versus les poussées récurrentes depuis 150 ans des créationnistes, ou de ce qui peut s'y rattacher (avec une bonne part de pensée magique), nous ne pouvons pas laisser passer n'importe quoi.
Mon post ne pas traite pas de ce sujet (le nota pas plus que le coeur du message). Mon post est centré sur la question de l'écoulement irréversible du temps.

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1548

Message par Dominique18 » 10 juil. 2022, 13:10

Ok, désolé.
Pour l'écoulement du temps, je joue joker, parce que j'entre dans une autre dimension qui me donne bien du mal pour m'y retrouver, si c'est encore possible et pas désespéré. :mrgreen:

Avatar de l’utilisateur
richard
Messages : 10954
Inscription : 30 juil. 2008, 14:20

Re: Le temps

#1549

Message par richard » 11 juil. 2022, 14:14

Une réflexion sur la notion de temps qui donnera peut-être à réfléchir.
:hello: A+

Avatar de l’utilisateur
Dominique18
Messages : 10164
Inscription : 06 oct. 2020, 12:27

Re: Le temps

#1550

Message par Dominique18 » 11 juil. 2022, 16:48

ici, c'est pas mal non plus.

https://popups.uliege.be/0037-9565/inde ... =1&pid=287

Image

Les Floyd avaient tout bien compris...
...
Far away across the field
The tolling of the iron bell
Calls the faithful to their knees
To hear the softly spoken magic spells...
https://m.youtube.com/watch?v=BfBoUQxA7o0

Répondre

Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant ce forum : Jean-Francois