Cette question est toujours en débat parmi les historiens ce qui est normal, car elle est spéculative. Chacun peut se forger son opinion.
L'argumentation selon laquelle la bombe a "sauvé des vies", c'est-à-dire qu'elle aurait en fait épargné à l'armée US une invasion de l'archipel japonais, extrêmement meurtrière pour les deux camps, reflète le point de vue américain officiel : l'emploi de la bombe A était nécessaire pour faire capituler rapidement le Japon et éviter, à une beaucoup plus grande échelle, des combats du type de ceux livrés à Okinawa quelques mois plus tôt. Selon les estimations de l'armée US, il fallait s'attendre à perdre plusieurs centaines de milliers de soldats US dans les combats pour prendre le contrôle de l'archipel, peut-être plus d'un million, avec des pertes japonaises (civils et militaires) de très loin supérieures. Ces estimations se basaient sur le fait que les forces US s'attendaient à une résistance fanatique. Ce dernier élément est spéculatif car on ne saura jamais ce qui se serait passé dans l'éventualité d'un tel débarquement.
Ajoutons que depuis les accords de Potsdam en juillet 1945, les Soviétiques s'étaient engagés à rentrer en guerre contre le Japon. Cependant, le climat entre les Alliés occidentaux d'une part et l'URSS d'autre part, commençait à se tendre. Il est donc certain que l'idée de gagner la guerre contre le Japon avant que l'URSS puisse intervenir et revendiquer une part de la victoire a aussi pesé dans la décision des USA : il fallait tout tenter pour gagner, le plus vite possible, sans l'aide de l'Armée Rouge.
Toujours côté US, un point de vue divergent, apparu plus tardivement, fait valoir que c'était avant tout la tentation des militaires de tester la bombe A qui aurait prévalu sur les considérations présentées ci-dessus. Ces dernières (les pertes militaires US, l'entrée en jeu de l'URSS) auraient donc été conçues avant tout pour convaincre le président Truman, tel un rideau de fumée. C'est une thèse qui a bien évidemment beaucoup d'écho encore de nos jours parmi les amateurs de complots. On aurait induit le président en erreur sur l'analyse de la situation, en noircissant le tableau, afin qu'il accepte de prendre la responsabilité de déclencher le feu nucléaire.
Ce que l'on sait avec certitude, côté japonais, c'est que
la plus grande confusion régnait à l'Etat-Major. Il était depuis plusieurs semaines déjà en train de se fissurer en deux factions : les partisans de la négociation et ceux pour lesquels l'anéantissement de la nation japonaise était préférable à la reddition. Personne parmi eux ne doutait cependant que la guerre était perdue. Par contre, la population était tenue dans l'ignorance de la situation réelle, à l'image, mais de façon plus accentuée encore, de ce qui s'était passé en Allemagne plus tôt. La confusion de l'Etat-Major était entretenue en particulier par l'isolement du Japon, l'imminence de l'entrée en guerre de l'Union Soviétique (qui déclarera la guerre
après le bombardement sur Hiroshima et qui engagera une offensive en Corée dans la foulée un jour
après le bombardement sur Nagasaki) et l'arrivée prévisible des troupes US engagées en Europe (soit les 3/4 des effectifs des forces armées US, sans compter leurs alliés).
Dans ce contexte, le débat à l'Etat-Major qui a lieu suite au bombardement d'Hiroshima a été surtout de savoir si les Américains possédaient d'autres armes de ce type. Et la réponse américaine à ce questionnement a été Nagasaki, trois jours plus tard : "we have more bombs".
Les jusqu'au-boutistes japonais ont également tenté de minimiser l'évènement que représentait l'emploi de la bombe A. Après tout, les bombardements "classiques" des villes japonaises étaient monnaie courante depuis 1944 et certains raids firent davantage de victimes qu'à Hiroshima (le raid sur Tokyo du 25 mai 1945 fit entre 150 000 et 200 000 victimes). C'est peut-être cette volonté de minimiser le choc qui explique la focalisation des débats à l'Etat-Major même sur les problèmes d'approvisionnement par exemple.
En tout état de cause, c'est l'Empereur Hiro-Hito lui-même qui trancha cette question et qui annonça à la radio la capitulation du Japon le 15 août 1945.
Quelques commentaires sur le premier post :
C'est aussi s'imaginer qu'ils comprenaient réellement ce que représentait une bombe nucléaire et ses impacts sur une population civile... information qu'ils ne pouvaient avoir puisque les deux îles sont le 1er bombardement nucléaire de l'histoire.
Personne ne connaissait les effets de la Bombe A, notamment à long terme. Une des premières choses que firent les US lorsqu'ils débarquèrent en septembre 1945, fut justement d'envoyer une mission scientifique et militaire US dans les deux villes bombardées pour étudier les conséquences, notamment sanitaires. Sur l'impact psychologique des raids, il faut se représenter le nouveau rapport de force induit par cette technologie : 0 mort contre des dizaines de milliers et des infrastructures réduites en cendres. Aucun homme, et surtout pas un soldat, qui plus est membre d'un état-major général, ne peut faire comme si rien ne s'était passé. Encore une fois, la question que les responsables japonais se sont posés est : ont-ils d'autres bombes ou est-ce du bluff ?
Pour ma part, je n'ai jamais cru une seconde que l'arme atomique avait sauvé des vies, alors je ne change pas d'avis.

C'était une façon "politiquement correcte" de présenter la thèse officielle : il s'agissait moins de sauver des vies que d'en consommer plus ou moins...
