Le matérialisme n’est pas rationaliste

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Zwielicht
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#26

Message par Zwielicht » 30 avr. 2008, 22:00

Jean-Francois a écrit :Sauf que si il ne le voit que lorsqu'il est en train de le peindre (donc avec rétro-action sensorielle), je ne comprends pas ce que tu voulais dire par cet exemple. Quelle partie "intellectuelle" précèderait la partie sensorielle?
Un peintre ne voit pas sa peinture tant qu'elle n'est pas commencée, voire, finie. Un spectateur qui regarder le peintre peindre "voit" le résultat en même temps que le peintre, mais le peintre a déjà en tête (donc intellectuellement) son prochain mouvement de pinceau. Si on ne peut pas dire que c'est une partie intellectuelle qui précède, c'est une partie intellectuelle simultanée ou qui accompagne, mais qui ne vient nullement après.
Jean-François a écrit :Je suppose que tu parles du "processus" non neural, de l'opération mathématiques et non du traitement cérébral qui permet la résolution d'intégrales? Je pense que tu montre bien qu'il existe une chaîne d'événements qui ont conduit à la découverte de ce processus et cette chaîne débute par les sens. Que l'on n'apprenne plus toutes les étapes (historiques) menant à la découverte/l'utilisation de ce processus mathématique ne veut pas dire que cette chaîne n'est pas réelle.
Le traitement cérébral, pour quiconque apprenant à faire des intégrales, ne fait presque pas intervenir l'expérience sensorielle. Beaucoup d'étudiants d'ailleurs apprenent par coeur comment faire une série d'opérations mathématiques mais ne comprennent qu'après (ou jamais). J'avais un prof de maths qui nous expliquait comment calculer le gradient, en trois dimensions. Aujourd'hui ça me paraît simple; mais à l'époque, toute la classe était confuse et il nous avait dit "Ne vous inquiétez pas.. dans 3-4 ans, vous allez vous réveiller et comprendre tout à coup ce que ça veut dire". (à quoi un comique avait répondu : mais l'examen est jeudi! :) ). Le pire.. il avait raison. Du moins ça m'est arrivé.. quelques années plus tard et aujourd'hui je ne comprends pas qu'on ait pu être si confondu parc quelque chose d'aussi intuitif. Ça ne m'a pas empêché de passer l'examen, entre temps.

Mais le "lien sensoriel" avec les surfaces 3d (pentes de montagne par exemple) n'a été fait que plus tard pour la plupart d'entre nous (y compris le prof, quand ce fut son tour, avant nous).

Enfin, rien de ça n'est surnaturel ou quoi que ce soit.. on appelle ça de l'abstraction ou de l'imagination, ce n'est pas iréel (je n'ai jamais dit ça), mais je maintiens que c'est parfois a-sensoriel.
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Zwielicht
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#27

Message par Zwielicht » 30 avr. 2008, 22:35

TranslatingMarie a écrit :Toutefois, cette maxime pose néanmoins un problème et c'est la raison: est-ce que la raison est d'abord dans les sens? Non. Nous acceptons la raison comme "innée" ou découlant de l'organisation du cerveau. J'aurais probablement dû citer Leibniz, qui ajoute à la maxime: "... nisi ipse intellectus" (sauf l'intellect lui-même). La plupart des empiristes y vont d'interprétations qui sont en quelque sorte des restrictions à l'interprétation purement littérale selon laquelle tout doit provenir des sens directement (par opposition à "provenir des sens ultimement" ou "prendre origine dans les sens"). Est-ce que c'est là une interprétation corrompue de la maxime? Je ne suis pas sûre.
C'est qu'il n'est pas facile de quantifier ce qu'on a dans la tête. En informatique, on conçoit qu'on peut créer de l'information à partir d'une unité. L'information n'y est pas de la "masse", mais de l'organisation. Si je copie la lettre A 20 fois et que je copie ce fichier 20 fois puis ces 20 fichiers 20 fois et ainsi de suite.. je remplis mon disque dur. Pourtant il n'y a qu'une seule lettre.

Le cerveau n'est pas un disque dur, certes, mais je vois un peu le même genre de problème. Les lettres viennent du clavier mais les mots ont une valeur autre que des lettres écrites au hasard. Je pense que l'organisation de l'information que l'on fait intellectuellement produit du "nouveau", à toutes fins pratiques. Une mélodie, ce sont des notes organisées. Mais bon.. je pense ne plus avoir rien à dire davantage sur ce sujet.
Marie a écrit :J'ai l'impression que le langage permet ce genre d'élision des étapes transitoires: "Nous venons tous d'Adam et Ève" (exemple pris au hasard... :D ) n'implique pas nécessairement que nous venons directement d'Adam et Ève, mais bien plutôt ultimement d'eux.
Oui mais on sait que c'est faux :D

Disons que, sans cerveau : aucun intellect, aucun sens, aucune perception sensorielle.. mais après.. ça devient vague.
Marie a écrit :Par langage, on veut dire plus que la grammaire ou une langue naturelle, bien sûr. Les mathématiques sont un langage, tout comme les images, les sons, les représentations mentales, en fait, les sémioticiens diraient peut-être que la pensée est ce qui permet de faire le lien entre les signes et de les interpréter (il y a plusieurs écoles de pensée). Je pourrais peut-être reformuler ainsi: "Peut-on penser sans conceptualiser (faire des regroupements sous des étiquettes) sous une forme ou une autre?"
Il faut alors définir ce qu'est la pensée. Si on définit la pensée comme la faculté de conceptualiser toutefois, alors non. Mais tout animal présente une certaine activité cérébrale en tout temps (sauf p-ê certains stades de sommeil, je ne sais pas). N'est-ce pas de la pensée ?

Difficile de comparer de l'abstrait avec de l'abstrait. Néanmoins, merci pour ton élaboration sur cette maxime. Au fond, si c'est une maxime empiriste, c'est un peu normal que je ne l'aime pas plus qu'il faut puisqu'on venait de reconnaître (sans être les premiers, bien sûr) la complémentarité de l'empirisme et du rationalisme.
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#28

Message par Jean-Francois » 30 avr. 2008, 22:50

Zwielicht a écrit :Un peintre ne voit pas sa peinture tant qu'elle n'est pas commencée, voire, finie... mais le peintre a déjà en tête (donc intellectuellement) son prochain mouvement de pinceau
Je ne suis pas sûr, je pense que le "prochain mouvement de pinceau" dépend beaucoup de ce que le peintre voit de l'état de la peinture qu'il a devant lui, des ébauches qu'il a faites, de la techniques qu'il a apprise, etc.

Il y a sans doute un quiproquo: oui, une activité "intellectuelle" peut précéder un geste et une rétroaction sensorielle. Mais, pour que cette activité se manifeste il faut qu'il y a eu une forme d'apprentissage, donc que les sens soient intervenus.
Le traitement cérébral, pour quiconque apprenant à faire des intégrales, ne fait presque pas intervenir l'expérience sensorielle
Je pense que tu t'avances beaucoup (comment le sais-tu?). Mais, là encore, il y a peut-être un quiproquo sur le coup: ce traitement cérébral, une fois que tu as compris le processus, peut devenir "automatique" ou "a-sensoriel"*. Mais pour acquérir cette capacité, il faut avoir été exposé sensoriellement a ce genre de raisonnement (oralement, par écrit), avoir réfléchi sur la chose et (probablement) l'avoir comparé à d'autres processus mathématiques ce qui demande aussi une expérience sensorielle. Bref, si des expériences sensorielles sont nécessaires, c'est surtout au niveau de l'apprentissage.

Cela dit, je ne pense pas que l'expérience sensorielle conduit à faire des intégrales. Le lien est plus indirect que ça. L'expérience sensorielle permet d'organiser l'activité cérébrale afin que le cerveau puisse fonctionner (pour faire des intégrale, réfléchir sur dieu, parler, etc.), puisse permettre les capacités d'abstraction/imagination.
Enfin, rien de ça n'est surnaturel ou quoi que ce soit.. on appelle ça de l'abstraction ou de l'imagination
Ghost parlerait plutôt d'"inné non génétique" ;)

Jean-François

* Et même "a-moteur", car je pense que le versant moteur de l'activité cérébrale joue un rôle non négligeable même dans les processus de "pensée".
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#29

Message par Zwielicht » 01 mai 2008, 03:59

Jean Francois a écrit :Je ne suis pas sûr, je pense que le "prochain mouvement de pinceau" dépend beaucoup de ce que le peintre voit de l'état de la peinture qu'il a devant lui, des ébauches qu'il a faites, de la techniques qu'il a apprise, etc.
Lesquelles decoulent de ce qu'il avait en tete precedemment, etc. C'est un processus iteratif et retro-actif mais guide par une idee globale. Le peintre ne decide pas tout a coup.. "ce sera un chat". Generalement, bien sur.. il a deja une idee assez precise avant de commencer. Ca depend de l'artiste j'imagine. Enfin, les sens impliques sont le toucher (tenir le pinceau) et la vue (retro-action). L'apprentissage passee, l'experience, ca n'a rien a voir avec l'experience sensorielle au moment ou il peint. Je n'ai jamais pretendu que pour peindre il fallait faire table rase, mais que l'image qui sera peinte sur le tableau n'a pas passe a 100% par les sens.
Jean Francois a écrit :Mais, pour que cette activité se manifeste il faut qu'il y a eu une forme d'apprentissage, donc que les sens soient intervenus.
Oui mais le resultat final ne ressemblera pas necessairement a ce que le peintre aura vu chez les maitres ou a ce qu'il a fait dans le passe.
Jean Francois a écrit :
Zwielicht a écrit :Le traitement cérébral, pour quiconque apprenant à faire des intégrales, ne fait presque pas intervenir l'expérience sensorielle
Je pense que tu t'avances beaucoup (comment le sais-tu?).
Reflechir a un probleme de maths (comment le resoudre) fait intervenir quels sens ? Le gouter,peut-etre?
Jean Francois a écrit :Mais pour acquérir cette capacité, il faut avoir été exposé sensoriellement a ce genre de raisonnement (oralement, par écrit), avoir réfléchi sur la chose et (probablement) l'avoir comparé à d'autres processus mathématiques ce qui demande aussi une expérience sensorielle.
Je les ai mentionnes ces sens : la vue (lire un livre, les notes de cours, regarder au tableau) et l'ouie (ecouter le prof). Mais un prof enseigne une methode.. l'etudiant se pratique, s'entraine un moment, puis apres, chaque probleme mathematique est different et nouveau. Le probleme passe par les sens, mais la solution est fabriquee dans le cerveau. Quand le mathematicien entreprend de faire de la recherche pure, a un certain moment il cree, plus ou moins, a partir de pas grand chose.

Pour illustrer mon propos je vais faire un exemple peut-etre boiteux : un ordinateur neuf a un lecteur de DVD ROM, une connexion internet, un clavier et des ports USB (negligeons le BIOS). Rien ne peut entrer dans cet ordinateur qui ne passe par le lecteur DVD, la connexion internet, le clavier ou les ports USB (disons que ce sont les "sens" de l'ordinateur). On installe Linux par le DVD-Rom, on copie une partie des documents d'un disque dur par une cle USB et on telecharge des petits programmes par internet. Tout ce qui se trouve desormais sur le disque dur est passe par les "sens". Disons qu'il y a 5 gigaoctets de donnees sur le disque dur. Maintenant, avec le compilateur C de Linux, on fait un petit programme qui calcule une l'etat d'une equation, disons x(n+1)=10*x(n)*(1-x(n)) avec x(0) designe par une fonction pseudo-aleatoire et n variant de 1 a 1 million. On enregistre la "serie chronologique" ainsi obtenue sous forme de fichier. On recommence ensuite avec un autre x(0) aleatoire et ainsi de suite de n=1 a n=1 million, en enregistrant les resultats, et ainsi de suite pendant 48 heures. Pendant tout ce temps, internet est debranche et personne ne tape sur le clavier apres avoir ecrit et compile le programme (c'est une boucle qui s'effectue). Bref, apres 48 heures laisse a lui-meme a calculer, ce n'est plus 5 gigaoctets qu'il y a sur le disque dur de l'ordinateur, mais plutot 20 gig de donnees.

Peut-on alors dire que "Tout ce qui se trouve desormais sur le disque dur est passe par les "sens"" ?

L'experience, les acquis, etc.. ce sont le systeme d'exploitation, les petits programmes, le compilateur C, voire le programme fraichement programme. Ils sont tous passes par les sens (clavier, internet, USB, DVD Rom). Mais les 15 "nouveaux" gigs d'informations, eux ? Peut-on dire qu'ils soient passe par les "sens" ? Le cerveau n'est pas un disque dur, mais c'est un peu le raisonnement qui me fait hesiter a trouver que cette maxime a du sens.
Jean Francois a écrit :Ghost parlerait plutôt d'"inné non génétique" ;)
Je n'ai jamais dit que l'acquis n'intervenait pas. L'acquis et les sens, c'est different, non? On se comprend mal. L'expertise, les habilites.. ce sont de l'acquis, et ils jouent un role important dans toute activite intellectuelle, artistique ou autres. Mais les resultats des oeuvres humaines (travaux, arts, etc) sont des choses qui n'ont pas necessairement passe par les sens.

A moins qu'on considere qu'une maison c'est exactement la meme chose qu'un tas de briques + gyprok + vitre + tuyaux, etc dans aucun ordre.
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#30

Message par Jean-Francois » 01 mai 2008, 13:33

Zwielicht a écrit :Enfin, les sens impliques sont le toucher (tenir le pinceau) et la vue (retro-action)
En fait, c'est beaucoup plus subtile que ça car d'autres sens somesthésiques sont impliqués, dont la prioception (qui permet les mouvements ajustés des bras). Mais le plus fondamental, selon moi, c'est qu'on ne peut pas penser en termes moi/externes si on n'a pas une image sensorielle de ce que l'on est et de ce qui n'est pas nous. Nous construisons notre conscience à partir des sensations (et des capacités motrices) de ce que l'on est.

Evidemment, je n'affirme pas que cela fait en sorte que l'image est "passée par les sens" à 100% mais que sans ceux-ci, il ne peut y avoir d'image.
Reflechir a un probleme de maths (comment le resoudre) fait intervenir quels sens ? Le gouter,peut-etre?
Réponse de zozo :lol: Comme tu l'as dis toi-même, et le répète réfléchir à un problème de math a demandé une iintervention des sens, de nombreux sens. De plus, je pense que tu n'as aucune idée (et moi non plus, je sais juste qu'il existe des études en imageries sur l'activité cérébrale lors de calculs ou de résolution de problèmes de maths) si réfléchir à des problèmes de maths n'implique pas des aires sensorielles ou une stimulation sensorielle (le goût ou l'olfaction, pourquoi pas, je n'en sais rien).
Le probleme passe par les sens, mais la solution est fabriquee dans le cerveau
Je ne le nie pas, je dis juste que pour que la solution puisse un jour être fabriquée "dans le cerveau" il faut que les sens interviennent entre autres pour façonner le cerveau afin qu'il soit capable d'une telle "fabrication". Ton image de l'ordinateur est pas mal, mais c'est une image: non seulement le cerveau est plus "plastique" que l'ordinateur (le hardware interne se modifie) mais il y a une limite à la non-utilisation (si celle-ci est prolongée il y a perte de connexion) et, de toute façon, un cerveau n'est jamais véritablement "éteint" (sauf si mort, il y a toujours des sensations internes).
L'acquis et les sens, c'est different, non?
En ce qui concerne les comportements complexes de l'humain, je ne vois pas comment tu peux avoir de l'acquis sans faire intervenir d'information sensorielle.
On se comprend mal
Peut-être parce que je raisonne en termes biologiques: je ne peux faire abstraction que le cerveau est continuellement bombardé d'infromations sensorielles, sans lesquelles il est impossible de faire quoi que se soit*. Ne serait-ce que parce que je conçois difficilement la capacité de penser comme détachée de toute activité sensorielle**.

Depuis le début, je suis d'accord avec toi que l'on ne peut pas dire qu'une production physique ou un raisonnement mathématique est "passé par les sens", du moins pas entièrement. Je ne veux pas dire que l'utilisation de tel ou tel sens est nécessaire pour expliquer telle production (le résultat effectif d'un travail manuel ou intellectuel). J'insiste seulement sur le fait que l'on ne peut arriver à produire quelque chose ou, probablement, même à raisonner sans une participation importante des sens.

Jean-François

* En fait, comme en toute chose, il faut une modération: trop de perceptions sensorielles nuit aussi.
** Par exemple: "Single-unit and multiunit recordings in primates have already established that decision making involves at least two general stages of neural processing: representation of evidence from early sensory areas and accumulation of evidence to a decision threshold from decision-related regions. However, the relay of information from early sensory to decision areas, such that the accumulation process is instigated, is not well understood". Philiastides MG, Sajda P. (2007) EEG-informed fMRI reveals spatiotemporal characteristics of perceptual decision making. J. Neurosci., 27:13082-91.
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TranslatingMarie
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#31

Message par TranslatingMarie » 01 mai 2008, 14:39

Zwielicht a écrit :En informatique, on conçoit qu'on peut créer de l'information à partir d'une unité. L'information n'y est pas de la "masse", mais de l'organisation. Si je copie la lettre A 20 fois et que je copie ce fichier 20 fois puis ces 20 fichiers 20 fois et ainsi de suite.. je remplis mon disque dur. Pourtant il n'y a qu'une seule lettre.
Tu dois connaître la théorie de l'information (et d'entropie de l'information) de Claude Shannon, n'est-ce pas?
Zwielicht a écrit :Le cerveau n'est pas un disque dur, certes, mais je vois un peu le même genre de problème. Les lettres viennent du clavier mais les mots ont une valeur autre que des lettres écrites au hasard. Je pense que l'organisation de l'information que l'on fait intellectuellement produit du "nouveau", à toutes fins pratiques. Une mélodie, ce sont des notes organisées. Mais bon.. je pense ne plus avoir rien à dire davantage sur ce sujet.
Est-ce qu'une phrase organisée contient davantage d'information qu'une séquence aléatoire? Selon la théorie de Shannon, non. Court exemple: si on a une séquence comme (1) abababababababab... il est plus simple d'apprendre la loi "répéter X à l'infini" et "X=ab" que d'apprendre toute la séquence en entier comme si chaque caractère était une nouvelle information imprévisible. Shannon permet de dire que la séquence (1) possède une entropie inférieure à la séquence (2) gietu80bkdb46dhbotra48geba3uig47921djkg8h... et c'est pourquoi la première est compressible. Ainsi, les lois du type "répéter X à l'infini" sont, selon moi, le genre de concepts qui s'élaborent nécessairement en relation avec les sens au départ. Nous apprenons à gérer l'information, à la catégoriser, à l'organiser en relation avec les perceptions que nous avons du monde. Sans information à classer, pas de concepts. Sans concepts, pas d'opérations sur les concepts et donc pas de raisonnement. Je comprends les concepts comme la matière première du raisonnement.
Zwielicht a écrit :
Marie a écrit :Je pourrais peut-être reformuler ainsi: "Peut-on penser sans conceptualiser (faire des regroupements sous des étiquettes) sous une forme ou une autre?"
Il faut alors définir ce qu'est la pensée. Si on définit la pensée comme la faculté de conceptualiser toutefois, alors non. Mais tout animal présente une certaine activité cérébrale en tout temps (sauf p-ê certains stades de sommeil, je ne sais pas). N'est-ce pas de la pensée ?
Je voulais surtout mettre l'accent sur le fait que l'on pense en faisant référence à des regroupements d'objets, à des concepts (ce que l'on nomme techniquement un "signe"). Sans signes, il semble impossible de penser. Est-ce que l'on peut imaginer quelque chose qui n'est pas délimité, qui ne s'oppose pas à autre chose, qui ne représente pas un groupe d'objets, ou une sensation, ou un groupe de sensations, etc. Pour penser, la plupart des philosophes depuis Aristote s'entendent pour dire que nous utilisons une espèce d'étiquette ("label") ou d'image mentale de l'objet réel (la représentation interne que nous avons de la réalité si on veut, ou l'aspect qui fait intervenir la métaphysique selon le découpage que tu avais donné avec Planck précédemment). Peut-on penser sans de telles étiquettes, sans signes? Ça semble difficile d'imaginer à quoi on pourrait penser si on ne faisait référence à aucun groupe de caractéristiques. Et comment peut-on imaginer des groupes de caractéristiques si on ne les a pas expérimentées d'une manière ou d'une autre? Peut-on créer des regroupements de caractéristiques dans son esprit sans jamais avoir reçu des données à regrouper en provenance de nos sens?

Je vais tenter de faire une brève introduction de la théorie du signe de Peirce, car c'est la théorie enseignée en sémiotique (si ça t'intéresse). Peirce considérait que le signe est triadique et se décompose comme suit:

1) le représentamem (ou l'étiquette, le signifiant - signifier)
2) l'objet auquel il réfère (peut être réel ou non - object)
3) l'interprétant (ou la signification que l'on donne au signe, le signifié - signified)

Ainsi, la première catégorie représente seulement une possibilité d'existence, une "potentialité". Cette catégorie est inaccessible pour nous, car aussitôt que nous réalisons que quelque chose existe, c'est que nous avons fait le lien avec l'objet auquel cette étiquette réfère et nous sommes à l'étape 2. Cette étape serait un peu l'aspect purement biologique de perception, c'est-à-dire qu'on suppose qu'on perçoit par exemple la couleur rouge, on reçoit un stimuli, mais on ne l'a pas encore interprété. La pensée interviendrait en 3, lorsque nous prenons conscience que nous avons perçu une couleur et que cette couleur est le rouge. En fait, la première catégorie suppose qu'il existe dans la réalité des propriétés dont nous pourrions prendre conscience et que ces propriétés existent que nous les constations ou non. La deuxième catégorie serait la perception pure, sans l'interprétation. La troisième catégorie serait le support servant à organiser nos pensées; c'est la catégorie des "concepts".

Ces concepts qui proviennent de nos perceptions peuvent ensuite à leur tour être interprétés. Ainsi, un interprétant peut devenir lui-même un signe qui produira un interprétant, et ainsi de suite, ce qui fait en sorte que l'on peut imaginer que nos pensées produisent un réseau de concepts qui se définissent les uns par rapport aux autres dans une suite qui est toujours basée sur les antécédents, et c'est ainsi que nos connaissances croissent. (Un peu comme le réseau de connaissances que Quine décrit dans "Two Dogmas of Empiricism").

En fait, les rationalistes semblent dire que la catégorie 1 est accessible pour nous sans interaction avec le monde extérieur ou sans recevoir de données sensorielles du tout (que nous pourrions passer directement de 1 à 3 en quelque sorte). Nous pourrions produire une imagerie mentale, sans aucune relation préalable avec des perceptions sensorielles. Je ne vois vraiment pas comment l'on pourrait se construire une représentation mentale à partir de l'esprit seulement, et sans aucune données en provenance de l'extérieur de nous-mêmes sur lesquelles construire. Bien sûr, les concepts les plus abstraits qui sont le résultat d'une longue chaîne d'interprétants successifs sont loins de la perception initiale, mais ils demeurent construits sur une fondation qui prend assise dans la perception à mon avis. Je n'ai pas lu en détail Steven Pinker, seulement quelques articles (je compte bien lire un de ses livres bientôt), mais il défend la conception du language de Noam Chomsky et il semble adopter cette vision des choses, c'est-à-dire que nous construisons en quelque sorte un langage du monde interne à partir de nos perceptions sur un moule biologique qui est déjà préformé pour stocker les informations reçues d'une certaine manière. C'est pourquoi, selon Chomsky, toutes les langues ont une structure fondamentalement similaire à la base.

Aparté: J'espère que j'ai réussi à vulgariser la théorie du signe de Peirce. C'était un mathématicien et il était convaincu que les triades ne pouvaient se réduire à des dyades; c'est pourquoi il est finalement parvenu à une vision triadique du signe. Quine a voulu démontrer que les triades pouvaient toujours se réduire à des dyades. Dépendamment des opérateurs logiques minimaux que l'on accepte, les deux avaient raison. Pour Peirce, une relation (dans le sens mathématique) était nécessairement triadique. Si on a f(x) -> y, alors f est aussi un élément au même titre que x et y. Il a développé des graphes et des opérateurs logiques permettant de décrire les relations. C'était un contemporain de Frege, mais ils ont développé leurs systèmes de logique indépendamment l'un de l'autre. C'est un sujet très intéressant.
-Marie-
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Zwielicht
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#32

Message par Zwielicht » 01 mai 2008, 16:07

Jean-Francois a écrit :En fait, c'est beaucoup plus subtile que ça car d'autres sens somesthésiques sont impliqués
As-tu remarqué que la devise était écrite en latin ? Je pense que tu n'as pas saisi le contexte. La question n'en est pas une d'inné vs acquis, ni de matérialisme vs spiritualisme.. (j'imagine qu'il est facile de tout ramener à des sujets où on a l'habitude). Quand l'auteur de la devise parle des sens, il ne parle pas du cerveau au complet; il parle des sens. L'origine de la phrase se perd dans la nuit des temps, mais on peut la faire remonter au moins à Locke (17e siècle). AU 17e siècle, les cinq sens admis étaient ceux qu'on connait populairement aujourd'hui : gouter-toucher-ouïe-olfaction-vue (certains disent que cette liste des 5 sens remonte au moins à Aristote). C'est selon cette définition que je critique la maxime; pas selon la définition moderne et scientifique de ce qu'est un sens (j'aurais pensée que cette notion serait devenue désuète et que les neurologistes ne l'utilisent même plus). Je critique la maxime dans le contexte qu'elle a été émise.
JF a écrit :Evidemment, je n'affirme pas que cela fait en sorte que l'image est "passée par les sens" à 100% mais que sans ceux-ci, il ne peut y avoir d'image.
À quoi sert d'enfoncer une porte ouverte ? Sans sens, sans cerveau il ne peut y avoir d'image; je suis d'accord avec ça et je n'aurais jamais dit le contraire, peu importe la définition de sens. Sans muscles non plus, personne ne pourrait peindre. Helen Keller toutefois aurait pu peindre car elle avait quelques uns des cinq sens selon la vieille conception, mais je ne garantis pas du résultat.
JF a écrit :Comme tu l'as dis toi-même, et le répète réfléchir à un problème de math a demandé une iintervention des sens, de nombreux sens.
Ça lui a demandé pour y parvenir, mais une fois le problème "lu", la réflexion se fait par la pensée. La réflexion comme telle ne fait pas intervenir les 5 sens classiques.
JF a écrit :De plus, je pense que tu n'as aucune idée (et moi non plus, je sais juste qu'il existe des études en imageries sur l'activité cérébrale lors de calculs ou de résolution de problèmes de maths) si réfléchir à des problèmes de maths n'implique pas des aires sensorielles ou une stimulation sensorielle (le goût ou l'olfaction, pourquoi pas, je n'en sais rien).
Impliquer des aires sensorielles, c'est possible. Le cerveau ne comporte pas de cloisons et n'est pas compartimenté, c'est sur que tout est relié. Ça ne m'étonnerait pas par exemple que des aires dites motrices (ou autres) soient également impliquées. Mais tout ça relève de la connaissance actuelle du fonctionnement du cerveau et non de la conception classique des 5 sens du 17e siècle (ou avant).
JF a écrit :Je ne le nie pas, je dis juste que pour que la solution puisse un jour être fabriquée "dans le cerveau" il faut que les sens interviennent entre autres pour façonner le cerveau afin qu'il soit capable d'une telle "fabrication".
Je ne le nie pas, alors je ne comprends pas plus ton entêtement à le répeter.
JF a écrit :
Zwielicht a écrit :L'acquis et les sens, c'est different, non?
En ce qui concerne les comportements complexes de l'humain, je ne vois pas comment tu peux avoir de l'acquis sans faire intervenir d'information sensorielle.
Mon non plus je ne le vois pas. Mais tu ne réponds pas à la question. Enfin, selon la conception actuelle de ce qu'est un sens, je peux comrpendre que la réponse puisse être floue. Mais je la posais en parlant des sens classiques.
JF a écrit :Ne serait-ce que parce que je conçois difficilement la capacité de penser comme détachée de toute activité sensorielle**.
C'est que tu es intervenu au moment où on parlait des sens tels qu'utilisés par une maxime philosophique antique, mais tu as en tête une définition contemporaine et scientifique de la notion de sens. On ne parle pas de la même chose.
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#33

Message par Zwielicht » 01 mai 2008, 16:25

TranslatingMarie a écrit :Est-ce qu'une phrase organisée contient davantage d'information qu'une séquence aléatoire? Selon la théorie de Shannon, non. Court exemple: si on a une séquence comme (1) abababababababab... il est plus simple d'apprendre la loi "répéter X à l'infini" et "X=ab" que d'apprendre toute la séquence en entier comme si chaque caractère était une nouvelle information imprévisible. Shannon permet de dire que la séquence (1) possède une entropie inférieure à la séquence (2) gietu80bkdb46dhbotra48geba3uig47921djkg8h... et c'est pourquoi la première est compressible.
C'est pour ça que j'ai donné un autre exemple inspiré de l'informatique (voir le message adressé à JF) dans lequel un travail effectué sur un ordinateur produisait de l'information, et non une séquence simple.
Marie a écrit :Je voulais surtout mettre l'accent sur le fait que l'on pense en faisant référence à des regroupements d'objets, à des concepts (ce que l'on nomme techniquement un "signe"). Sans signes, il semble impossible de penser. Est-ce que l'on peut imaginer quelque chose qui n'est pas délimité, qui ne s'oppose pas à autre chose, qui ne représente pas un groupe d'objets, ou une sensation, ou un groupe de sensations, etc.
Je ne vois pas trop la différence entre faire des regroupements d'objets et penser. Si tu dis qu'il faut le premier pour en arriver au deuxième, je dis qu'il faut aussi le deuxième pour en arriver au premier. Tout dépend de comment on définit la pensée.
Marie a écrit : Pour penser, la plupart des philosophes depuis Aristote s'entendent pour dire que nous utilisons une espèce d'étiquette ("label") ou d'image mentale de l'objet réel (la représentation interne que nous avons de la réalité si on veut, ou l'aspect qui fait intervenir la métaphysique selon le découpage que tu avais donné avec Planck précédemment). Peut-on penser sans de telles étiquettes, sans signes?
Peut-on se faire de telles étiquettes sans penser ? Je vois mal comment. Je ne trouve pas intéressant de discuter avec des termes si imprécis.

Je vois mal comment Peirce peut voir des différences et être si certain de celles-ci entre "penser", "réaliser", "se représenter", "référer", "interpréter", "signifier", "organiser les pensées"... c'est le cas de plusieurs philosophies de l'époque. Elles se construisent sur des termes qu'elles tiennent comme absolus, mais aujourd'hui, ça n'a plus la même valeur. Ça demeure un modèle intéressant, mais stérile.
Marie a écrit :C'était un mathématicien et il était convaincu que les triades ne pouvaient se réduire à des dyades
Faut-il être mathématicien pour être convaincu de ça? N'est-ce pas trivial ? Enfin, à moins que l'on réfère ici à triade et dyade dans leur sens neo-pythagoricien.
anybody in the creation/evolution debate area knows that this is basically a spiritual war. The root of the problem is not a question of what is science or what is truth. [Laurence Tisdall]

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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#34

Message par TranslatingMarie » 01 mai 2008, 16:59

Zwielicht a écrit :Peut-on se faire de telles étiquettes sans penser ? Je vois mal comment. Je ne trouve pas intéressant de discuter avec des termes si imprécis.
Je n'ai rien à ajouter alors.
Zwielicht a écrit :Je vois mal comment Peirce peut voir des différences et être si certain de celles-ci entre "penser", "réaliser", "se représenter", "référer", "interpréter", "signifier", "organiser les pensées"... c'est le cas de plusieurs philosophies de l'époque. Elles se construisent sur des termes qu'elles tiennent comme absolus, mais aujourd'hui, ça n'a plus la même valeur. Ça demeure un modèle intéressant, mais stérile.
C'est néanmoins la théorie du signe actuellement enseignée en sémiotique et elle se traduit également en opérateurs logiques. Peut-être que la version mathématique te plairait davantage.
Zwielicht a écrit :
Marie a écrit :C'était un mathématicien et il était convaincu que les triades ne pouvaient se réduire à des dyades
Faut-il être mathématicien pour être convaincu de ça? N'est-ce pas trivial ? Enfin, à moins que l'on réfère ici à triade et dyade dans leur sens neo-pythagoricien.
Quine a présenté une preuve à l'effet que les triades pouvaient toute être réduites à des dyades, ce qui a remis en question la théorie de Peirce (sa "Reduction Thesis") mais par la suite il a été démontré que certaines triades ne pouvaient pas se réduire à des dyades. Ce n'est pas si évident que ça.

http://www.seop.leeds.ac.uk/archives/sp ... eirce/#red
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#35

Message par TranslatingMarie » 01 mai 2008, 17:12

La section d de cette page est intéressante et se rapporte au débat empiristes/rationalistes du point de vue de l'acquisition des connaissances, notamment du langage:

http://www.ditext.com/chrucky/chru-6.html

"But no matter which way we look at hypothesis formation, there is the difficulty that a hypothesis is formulated in a language. Therefore if learning a language is a matter of hypothesis formation, then in learning language-1 we must assume the existence of metalanguage-2 in which the hypotheses about language-1 are formulated. Obviously this view will result in either an infinite regress, a vicious circle, or an innate language."

"The question is: What are the human endowments which make the learning of a conventional language possible? To answer this question we must focus on those characteristics of a human language and its acquisition which are problematic. Chomsky cites two problematic features. The first is the creative aspect of language; the second, the effortless ease of acquiring grammar and common sense. Chomsky's solution is to posit an innate endowment for generating particular grammars. The generating capacity is (infelicitously) called a "universal grammar."
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#36

Message par Zwielicht » 01 mai 2008, 17:53

TranslatingMarie a écrit :La section d de cette page est intéressante et se rapporte au débat empiristes/rationalistes du point de vue de l'acquisition des connaissances, notamment du langage:
Je n'aime pas vraiment ces débats, car je crois que si nous devons absolument débattre en utilisant les termes empirisme / rationalisme, il faudrait que le débat prenne la forme :
X*empirisme + Y*rationalisme
où X+Y=1, X>0 et Y>0

Or, bon nombre d'arguments des rationalistes sont basées sur des considérations qui supposent une contribution nulle de l'empirisme et vice-versa (X=0 ou Y=0).

Un rationaliste avance que Nous pourrions produire une imagerie mentale, sans aucune relation préalable avec des perceptions sensorielles. À condition qu'une telle chose puisse être mesurée et vérifiée, si elle s'avérait, ça changerait quoi ? Ça ne ferait pas en sorte que les processus qui relèvent de l'empirisme demeurent vrai.

On dirait alors que c'est plutôt un débat sur "qu'est-ce qui vient en premier", qu'une discussion sur l'apport relatif. Or, dans ces débats sur ce qui vient en premier, on atteint vite la limite de terminologie et de nos connaissances non-biologiques sur la pensée.

Parmi les arguments des pro-Chomsky dans la vision plus "rationaliste" de l'apprentissage de la langue, il y en a un qui revient souvent et que j'ai toujours trouvé particulièrement spécieux. Tu le recopies justement :
Chomsky cites two problematic features. The first is the creative aspect of language; the second, the effortless ease of acquiring grammar and common sense.
Le deuxième: "the effortless ease".. Peut-on s'étonner que les enfants apprennent les choses comme la grammaire et en général leur langue maternelle avec aisance et facilité ? Si oui, c'est comparé à qui, à quoi, qu'on se permet de dire "avec aisance" ? Comparé aux petits chatons, aux oisillons, aux ordinateurs ?

Je pense que toutes les avancées dans ce domaine se feront du côté de la neurologie (ou neurophysiologie, je ne sais pas trop) ou ne se feront pas.
Marie a écrit :Quine a présenté une preuve à l'effet que les triades pouvaient toute être réduites à des dyades, ce qui a remis en question la théorie de Peirce (sa "Reduction Thesis") mais par la suite il a été démontré que certaines triades ne pouvaient pas se réduire à des dyades. Ce n'est pas si évident que ça.
Ok, je comprends maintenant. Peirce avait exprimé que tout ensemble de relations pouvait être réduit a une triade. Plus tard, Quine a présenté une preuve que tous les prédicats peuvent être exprimés par des dyades. Peirce a maintenu sa théorie malgré la preuve de Quine. La théorie de Peirce n'était pas que "les triades ne peuvent être réduites en dyade", mais que "tout peut être réduit en triade", bien que la première affirmation en soit un corollaire.
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#37

Message par Jean-Francois » 01 mai 2008, 19:28

Zwielicht a écrit :As-tu remarqué que la devise était écrite en latin ? Je pense que tu n'as pas saisi le contexte
Parce que je ne voyais pas "le" contexte comme discuter de la valeur de la maxime au 17e siècle ou avant. Comme tu précises qu'il fallait seulement entendre la phrase - ou tes propos sur elle - dans un contexte classique, je n'ai rien à ajouter.

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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#38

Message par TranslatingMarie » 01 mai 2008, 19:34

Zwielicht a écrit :On dirait alors que c'est plutôt un débat sur "qu'est-ce qui vient en premier", qu'une discussion sur l'apport relatif. Or, dans ces débats sur ce qui vient en premier, on atteint vite la limite de terminologie et de nos connaissances non-biologiques sur la pensée.
Je suis d'accord que ces débats prennent souvent la forme "l'oeuf ou la poule?" mais je pensais que c'était clair que je n'argumentais pas depuis un bout de temps que l'empirisme ou le rationalisme seul pouvait tout expliquer. Il faut un peu des deux. Cependant, je penche davantage vers l'empirisme que le rationalisme. En disant qu'il n'y a rien dans l'intellect qui n'était d'abord dans les sens sauf l'intellect lui-même, on suppose que la faculté de raisonner est quelque chose que l'on n'acquière pas, que l'on ne construit pas à partir d'expériences sensorielles, mais plutôt quelque chose qui est inné (et c'est effectivement un argument rationaliste à la Chomsky). J'argumente toutefois que la raison a besoin de données acquises par des expériences sensorielles pour formuler des concepts (ce qui est un argument empiriste pas nécessairement en contradiction avec Chomsky, car Chomsky argumente une position médiane justement - il en a surtout après la fameuse "tabula rasa").
Zwielicht a écrit :Parmi les arguments des pro-Chomsky dans la vision plus "rationaliste" de l'apprentissage de la langue, il y en a un qui revient souvent et que j'ai toujours trouvé particulièrement spécieux. Tu le recopies justement :
Chomsky cites two problematic features. The first is the creative aspect of language; the second, the effortless ease of acquiring grammar and common sense.
Le deuxième: "the effortless ease".. Peut-on s'étonner que les enfants apprennent les choses comme la grammaire et en général leur langue maternelle avec aisance et facilité ? Si oui, c'est comparé à qui, à quoi, qu'on se permet de dire "avec aisance" ? Comparé aux petits chatons, aux oisillons, aux ordinateurs ?
Zwielicht a écrit :Je pense que toutes les avancées dans ce domaine se feront du côté de la neurologie (ou neurophysiologie, je ne sais pas trop) ou ne se feront pas.
Je ne me décrirais pas nécessairement comme une pro-Chomsky, mais je trouve néanmoins sa théorie intéressante, surtout les parties reprises par Pinker (il s'intéresse justement à l'aspect neurologique du langage, entre autres).
http://pinker.wjh.harvard.edu/research/index.html

Bien sûr, dire que nous apprenons certaines choses avec aisance sans pouvoir comparer à d'autres espèces est un peu fallacieux. Je pense surtout qu'il faut voir cela comme un parallèle avec d'autres caractéristiques chez les autres espèces. Ainsi, certaines espèces apprennent facilement d'autres comportements que nous ne pouvons apprendre avec autant de facilité. (Par exemple, certains aveugles apprendraient à utiliser une forme très rudimentaire d'écolocation.) Chomsky avance que l'être humain aurait développé au cours de l'évolution des facultés innées qui incluent une structure mentale permettant l'apprentissage d'un langage.

Un exemple donné par Chomsky dans son livre Language and Responsibility est la perception visuelle qui, à la naissance, n'est pas totalement fonctionnelle. Nous possédons les organes nécessaires à la production d'images (yeux, nerfs optiques) et à leur interprétation (cerveau), mais à la naissance, il resterait à perfectionner certaines parties du système par l'expérience visuelle comme telle. Il cite notamment les travaux de Gregory qui prouveraient que la vision est produite par une interaction entre le système inné et l'expérience. Ainsi, le cortex visuel des mammifères serait prédéterminé en partie, mais il resterait une marge d'imprécision encore à la naissance. Le développement de certaines fonctions s'effectuerait par l'expérience de la vision, notamment l'apprentissage de la vision binoculaire. Je n'ai pas lu ces recherches directement, mais il semble qu'il en ressort que la vision binoculaire, bien qu'innée, nécessite un apprentissage par expérience avant d'être totalement au point, entre autres en ce qui a trait à la coordination musculaire requise pour accomoder. L'approche de Chomsky à propos du langage est similaire.
Dernière modification par TranslatingMarie le 02 mai 2008, 01:54, modifié 1 fois.
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#39

Message par TranslatingMarie » 02 mai 2008, 01:28

Le chapitre "Empiricism and Rationalism" de Chomsky peut être lu en ligne (s'il y en a que ça intéresse):
http://www.chomsky.info/books/responsibility02.htm
-Marie-
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#40

Message par Savard » 02 mai 2008, 01:58

TranslatingMarie a écrit :Le chapitre "Empiricism and Rationalism" de Chomsky peut être lu en ligne (s'il y en a que ça intéresse):
http://www.chomsky.info/books/responsibility02.htm
Pas après un copieux repas merci. :grimace:
Dernière modification par Savard le 02 mai 2008, 02:16, modifié 1 fois.

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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#41

Message par TranslatingMarie » 02 mai 2008, 02:11

:lol:
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Re: Le matérialisme n’est pas rationaliste

#42

Message par Zwielicht » 02 mai 2008, 20:59

Je n'ai pas beaucoup lu sur le langage.. peut-être un jour..

J'ai appris que l'espèce de philosophie selon laquelle on ne peut être sûr que de sa propre existence (ce qui pourrait être considéré comme une forme extrême de positivisme ou d'empirisme) a déjà porté le terme égoïsme (18e siècle; dictionnaire de l'Académie Française).

Ce terme a toujours signifié, parallèlement, la tendance à tout rapporter vers soi ou à n'aimer que soi. L'usage philosophique rapporté ci-haut est graduellement disparu. Je pense qu'on le chercherait en vain dans les dictionnaires d'aujourd'hui et même du 20e siècle.
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