bon, comme je le disais dans ma présentation, invité ici, je ne voyais pas en quoi je peux être utile en quoi que ce soit à l'organisme, mais bon, j'ai travaillé comme un psychopathe à me dégotter un sujet. J'en ai un, yéééé! Alors voici.
je suis humaniste-athée-sceptique, mais un ex-naïf et pas qu'un peu.
Il y a une crédulité dont on parle peu, sauf pour en rire, et ce fut celle du rêveur des anées '70, la mienne. Bien que ridicule par moments, c'est surtout une histoire triste alors j'aime pas entendre les gens en rire. J'achèterai donc des bouchons de cire (ou un revolver, au fait...).
Je suis un baby-boomer (paraît qu'il faut s'en excuser, mais attendez de voir le testament, héhé...). Dans les années '70, ado, j'étais maniaque du site de l'Expo. En 1978, j'y suis allé une trentaine de fois, y avait plus jamais personne, on était comme deux ou trois sur le site. Et j'ai mordu, mais là, mordu aux utopies, c'en est déplorable.
Il y avait le pavillon de l'Unesco (juste en face de celui de l'Insolite, c'est pas pour rien...). Ce pavillon qui nous faisait miroiter la future belle société de l'an 2000 avait réussi à me faire gober les rêves suivants (oui, riez donc... à l'époque on ne riait pas de nos idées, on nous matraquait, ce qui ne nous arrangeait pas la cervelle) :
- en 2000, les vieux systèmes politiques, capitalisme, communisme, socialisme, monarchisme, fascisme, auront disparu; l'on n'aura plus vraiment besoin d'un système! Se basant sur le don et la bonté, chacun fera et donnera ce qu'il sait faire et ainsi, tous auront ce qu'il leur faut en abondance; Star Treck a repris cette idée
- il n'y aura plus de pollution; on aura la fusion nucléaire, les autos voleront sans bruit et nos cités, immacculées, seront paradisiaques
- on aura guéri toutes les maladies
- le secret de la longévité aura été percé; par la génétique et la biologie, on vivra, à moins d'un malheureux accident, aussi longtemps qu'on le veut
- la surpopulation, alors, vu cette immortalité? Bah, allons! On colonisera la galaxie, tout le monde sait ça!
- la distance entre les mondes? Ben voyons, les vortex (wormholes), man, les vortex! En une seconde on sera aux abords de la galaxie d'Andromède! Boah, au pire, on découvrira qu'Einstein avait tort et que l'on peut aller plus vite que la lumière. C'est-y pas cool, ça, man - tiens, roules-m'en un autre - hein? Me semble qu'y a comme un buzz dans mon nez, là, sens-tu ça, toi?
Les jeunes ne soupçonnent pas l'intensité et l'étendue de ce grand rêve, et ce qui nous est arrivé quand on l'a perdu. Les '70, c'était pas seulement sex drogue et rock; d'ailleurs, le sexe, je pouvais le chercher, merde, ça a donc pris du temps de trouver quelqu'une, tabar*** ... La drogue, non, mais le cognac, par contre... Le rock? C'était plutôt Rachmaninoff; j'étais dans un milieu quasi aristocratique. C'est venu plus tard, le rock. Mais l'utopie, elle, l'utopie! On y a tellement cru! Mordu! Voulue!
Le cinéma participait avec enthousiasme à ce grand rêve, et même, rendu en 1989, la sortie du film Back the Future 2 nous montrait encore des autos volantes (même les «skates» volaient...). Incapable d'accéder à nos grands rêves dans le réel, on s'est mis à en faire des films, des romans. Eh oui, je suis devenu romancier comme ça. On s'est fait gourrer, bon, maintenant qu'on est dans la réalité, on va rêver là où ça fait moins mal : dans ce qui est clairement des oeuvres d'imagination. On va jouer.
Certains en rient mais le réveil fut immensément douloureux! Commencer à perdre des proches qui nous étaient chers, alors que le «remède» anti-mort tardait toujours, (mais qu'est-ce qu'y foutent dans les labos, merde, qu'on se disait, quels incompétents ces scientifiques qui se pognent le c**!), ça a été toute une sonnerie de réveil-matin.
Les plus convaincus utopistes - dont j'étais - ont vécu sur du temps emprunté. Prendre soin de sa santé? Bah! On l'aura toute crue, la santé, une pilule et hop! Ramasser de l'argent, pourquoi faire? Il n'y en aura plus bientôt, et on aura tout! Ouais... On s'est retrouvé pauvres avec quinze comprimés par jour à prendre pour notre mauvaise santé.
On s'est quand même accroché un peu; le rêve tarde? Pourquoi? «Sciences & Vie» annonce aux 2 mois depuis 20 ans qu'on a trouvé le remède au cancer, man, alors pourquoi qu'après on n'en parle plus? Ah, mais c'est donc que quelqu'un conspire pour l'empêcher, man, voyons, t'as oublié de fumer à matin! Ainsi naît le conspirationnisme; les grands trusts veulent créer un fascisme parfait qui ne laissera pas passer l'utopie, on empêchera les gens de guérir et de vivre toujours, on obligera le monde à bouffer de la pollution et des produits chimiques, ces gens veulent détruire le monde, voilà - kof kof - je te le dis! Mais pourquoi? Ah oui, pourquoi, fallait une réponse... Pask'y sont fous? Ptêt, mais c'est pas assez, man. J'ai une autre idée. Ainsi, plusieurs d'entre nous ont traversé le pont d'acier qui séparait le pavillon de l'Unesco de celui de l'Insolite et se sont recyclés dans l'ésotérisme. C'est à cause des extra-terrestres, voilà, et des maîtres du monde qui les servent. Parce que, que le monde soit cruel, injuste, on ne peut pas accepter que ce soit vrai. Mais que le fantastique soit vrai, ça, on l'a tellement voulu qu'on a avalé n'importe quelle fantasmagorie de remplacement.
Je fus croyant, j'ai même prêché et fondé mon propre groupe de pression (une puissance, on était quatre... hem, bon...), donné des conférences... pouah...
Quelle merde, hein? Tout ça pourquoi? S'agripper aux nuages avec tant de force, quitte à se tuer en lâchant, tombant de trop haut? Fallait bien se le dire... La réalité est d'une cruauté inouïe, et elle est dure à avaler pour un enfant, plus encore pour un ado, surtout si on ne l'y a pas préparé, ou au contraire, si on la lui a bien trop faite sentir...
Mes grands-parents que j'adulais sont morts, je ne l'ai pas accepté, ils étaient irremplaçables. J'ai hurlé, désespéré, puis j'ai foncé dans ces maudites utopies par lesquelles je ne perdrais plus jamais personne! J'étais terrorisé par la mort, terrorisé jusqu'à en craindre la psychose, alors je me suis inventé un autre monde, moins insupportable. Mais il est mort lui aussi. Le deuil sera toujours douloureux.
Ouais... on cherche, on hurle un «à l'aide» sans réponse, et au bord de la folie, par survie, on en choisit une qui nous sera plus douce: on rêve éveillé. Puis, on pense que notre rêve, c'est le réel, et on essaie de «réveiller» les autres. On devient fanatique, insensé, narcissique. On s'impose. On est à l'envers de la grande démocratie populaire rêvée, on devient un gourou, un fasciste d'abstraction.
Éventuellement, on vieillit, et ça se cristallise : ou bien l'on devient pleinement et visiblement crackpott (ou ou exploiteur pour se consoler mieux) et on se fait Raël Sa Sainteté, ou bien on revient au monde.
Comment je suis revenu au monde? J'ai fait l'université, j'ai suivi des cours de logique et de techniques du débat (ça, c'est sans appel, les croyances n'y résistent pas), puis j'ai fait ma Maîtrise, je suis entré au doctorat, je suis allé en thérapie. Ma passion de la psychologie clinique (c'était mon second choix d'études) m'a mené à des lectures et des observations qui ont augmenté ma connaissance de moi-même et j'ai observé mes semblables... et j'ai eu honte. Je suis ça, moi???! Ces gourous ridicules, j'ai été ça? Eh ben oui... Ya ben fallu se replacer les idées.
Long cheminement? Non; ce fut très soudain, violent et un choc émotif extrêmement difficile à traverser. Devenir un sceptique a été une reconstruction lente, mais ce qui y a mené, ouf... ça ce fut instantané et douloureux.
Comment ça, pourquoi c'était douloureux? Je venais tout de même de perdre l'immortalité, mes proches, la belle société de demain, la paix dans le monde, la Confédération galactique et quoi encore... damn', c'est pas rien!
Une chose, non: deux sont restées. Mon humanisme (je suis passé d'humanisme croyant à humanisme athée, ce qui est plus cohérent) et mon émerveillement de la vie. Au lieu d'une vie abstraite et sublimée en une divinité hypothétique, ce fut la vie concrète, c'est-à-dire, les formes de vie dans leur diversité et le monde qu'elles habitent, leur capacité à s'y adapter et à survivre le plus longtemps possible. Contempler un ruisseau avait remplacé la prière. Le son d'un ruisseau est d'ailleurs bien plus beau à entendre qu'une foutue prière, !*@!##!* et d'ailleurs, même croyant, je les haïssais les maudites prières, miroirs de l'insensé!
Quant à cette imagination incroyable, elle est devenue productrice et utile par mon métier d'écrivain. Ça rapporte pas l'diable plusss..., mais bon, je fais quetchose au moins. Et je milite encore, pour l'humanisme et une sorte d'essai d'amélioration des choses, pour le peu (ou le néant) que ça donnera.
Devenu pessimiste, sombre, mais encore taquin, et ami des ruisseaux et des chats, comme quoi il subsiste toujours un p'tit brin de vie qui s'accroche.
Étais-je plus heureux quand j'était croyant? Je ne pense pas que ce soit le cas. Certes, je m'ennuie des belles envolées de l'époque, qui ne reviendront pas; l'extase, c'est l'extase, ça manquera toujours.
Mais je n'échappais pas aux conséquences de mon désespoir. Car la religiosité n'est pas la construction d'espérances, c'est la matérialisation du désespoir, et d'un Moi qui ne parvient plus à consolider son identité morcelée par la terreur ou la souffrance. Il va donc bouffer l'identité des autres et la religiosité devient ce narcissisme imposé, un Moi de prédation totale. L'adoration de Dieu, c'est l'adoration de soi. On se bâtit un dieu hypothétique qui curieusement partage nos idées, et par son biais, l'on s'impose au monde. «C'est pas moi, c'est Lui qui le dit dans sa Révélation!» se défend-on lâchement. Une Révélation inévitablement floue que chacun interprète ainsi à sa façon. Que c'est inassumé d'être croyant...
Devenu sensé, je sais que je vais crever, et que peut-être, avant, je perdrai d'autres proches auxquels je tiens immensément. Je sais que la probabilité que l'on découvre une civilisation extra-terrestre et que j'entende ça aux nouvelles est quasiment nulle, j'ai le temps d'entendre un diagnostic fatal (quoique la nouvelle de présence probable d'eau sur Mars m'a fait sauter partout comme un lapin)... Nous naissons seuls, nous mourrons seuls. C'est un univers d'effroi, et malheureusement, il n'y a pas de dieu que l'on puisse tenir responsable et assassiner. Le blâme tombe dans le vide, les choses sont ainsi sans raison, et l'insensé est la seule vision sensée qui reste. Le rêve part, la rage reste, mais aussi, le goût de vivre! Débarrassé de la culpabilité religieuse, on peut enfin goûter pleinement à l'existence!
On peut donc avoir du fun pareil! Même s'il faut travailler trois fois plus dur parce qu'on a trop niaisé dans le coton durant la jeunesse. Il y a la Compagne, la famille, les amis, les chats et les ruisseaux. Et le centre-ville (ben oui, quoi, j'aime les architectures gigantesques et les centres-villes, leur abondance, leur animation, les Verts chez qui je milite encore me le reprochent abondamment).
Et J'a-do-re écrire des textes virulents contre mes anciens co-religionnaires! Je suis devenu tellement anti-religiosité, mes anciens amis ne me reconnaissent pas (et le milieu ésotérique croit dur comme fer que je suis devenu un sataniste et un conspirateur, on me compare à Darth Vader pour avoir "retourné ma veste"). Faut dire que j'ai écrit un roman où le héros est le Diable, qui balance Dieu à la flotte et proclame un ahtéisme général... C'était jouissif

Mon passage chez les croyants m'a permis de constater à quel point des gens qui se disent uniques détenteurs de l'amour du prochain peuvent n'en avoir aucun. J'y fus, j'ai vu, j'en sortis en host**...
Nos pensées changent mais l'on conserve la même génétique... Virulent en tant que croyant, devenu incroyant, je suis encore virulent. Rêveur jadis, rêveur maintenant. Avec le temps, on apprend à utiliser les éléments qui nous composent de façon différente et pour des Causes plus justes ou plus urgentes, et tout au moins, plus sensées, s'il existe un «sens».
Bon, je suis fatigué. J'ai sorti mon sujet. Ma question : y en a-t-il d'autres ici qui se sont laissés prendre aux mêmes mirages et qui comprennent ce cheminement? L'avez-vous vécu, mais avec des nuances, des aspects différents? Connaissez-vous des gens qui l'ont vécu et qui ont eu un impact sur vous?
À la prochaine!
Dr Giggles (André)
