Le sujet de la vindicte de Julien-les-petits-poings-serrés est un article qui apporte une base génétique à un mécanisme potentiel de spéciation dans une population d’épinoches. Les auteurs démontrent que chez des épinoches vivant en eau douce, très similaires à des épinoches marines de la population-mère, le milieu favorise un allèle associé à certains traits morphologiques dont la réduction du nombre de plaques osseuses servant d’« armure » et une augmentation de la vitesse de croissance des animaux. Ce qui intéresse particulièrement les chercheurs, c’est justement le caractère pléïotropique (qui agit sur plusieurs traits) du gène considéré. La perte de l’armure favorise certainement la survie des épinoches d’eau douce, en les rendant plus « flexibles » et capables de se cacher dans la végétation; cette végétation est moins dense en milieu marin, ce qui rend plus important le maintien de l’armure (protection contre les prédateurs). L’augmentation plus rapide de taille (due en partie aux réserves métaboliques libérées par le non-développement de l’armure) permet aussi aux animaux une meilleure survie et reproduction en eau douce, d’ailleurs cette augmentation rapide de taille est visible aussi chez les jeunes épinoches de mer mais elle ralentit au moment de la croissance des plaques. Bref, ce que les auteurs démontrent, en donnant un exemple génétique précis, c’est que des environnements différents vont influencer différemment le pool génétique d’organismes similaires en agissant sur différents traits. Si les choses continuent comme cela, nous nous retrouverons certainement avec deux espèces différentes (deux populations de poissons qui ne se reproduisent plus ensemble). Il s’agit d’un mécanisme potentiel de spéciation: la formation de deux espèces à partir d’une population-mère. C’est un excellent exemple d’évolution biologique (d’autant plus que le projet de recherche de l’auteur principal est beaucoup plus englobant que cette seule étude).
Comme Julien est un ignorant avec un agenda de propagande, ça l’amène à se contredire souvent à force d’adapter son discours au public auquel il s’adresse*. En effet, il a déjà affirmé sur ce forum que « même les créationnistes admettaient la microévolution ». (Le plus savoureux est qu’il l’a fait en réponse à un de mes messages, dans lequel il était entre autres question d’une étude sur les épinoches pas très différente de celle qu’il critique ici.) Son pamphlet aurait aussi bien pu être titré "un poisson qui appuie la microévolution?" et la réponse que lui-même aurait dû donner est très proche de "oui". Mais, vous devinez que le but de Julien est d’arriver à prétendre que "non". Après tout, il s’adresse à l’AS(sic)CQ.
Pour arriver à un "non", Julien pense encore de manière binaire et on devine la pétition de principe sous-jacente. En effet, incapable de penser en termes de transformations, il présente les choses sous l’angle d’un couple perfection/imperfection mais ne dit pas perfection par rapport à quoi (sans doute par rapport au plan divin ou quelque chose du genre). Ce qui l’amène à dire de belles sottises :
"une espèce qui perd une fonction régresse, même si cela est utile à sa survie" (souligné dans l'original).
Bref, pour Julien vaut mieux une espèce "parfaite" (selon ses critères, jamais définis) mais morte qu’une espèce modifiée mais vivante. Le pire est qu’ici, il n’a aucune idée s’il s’agit vraiment d’une régression : il ne sait pas quel (ou quelle version du) gène est apparu en premier, et il se pourrait que l’allèle retrouvé majoritairement dans les épinoches marines soit le gène mutant. La comparaison entre les populations ne permet pas de le savoir. Ce qu’on sait seulement, c’est qu'une version entraîne le développement d’un nombre moindre de plaques protectrices que l’autre. Si Julien voit seulement une "régression" vers un nombre réduit de plaques, il pourrait s’agir d’une acquisition de plaques supplémentaires (ayant permis la colonisation marine). En plus, même si on s’en tient à la "régression", il pourrait s’agir d’une inhibition active : que le gène code pour une protéine qui inhibe la croissance des plaques (donc d’une "augmentation d’information génétique" dans le langage pseudoscientifique de Juju). Bref, rien ne permet d’affirmer que c’est une perte nette comme Julien le fait péremptoirement : "[c]et évènement ne représente aucunement l’apparition d’une innovation biologique, c’est plutôt la suppression d’une innovation biologique (les écailles)" (ndJF : souligné dans l'original).
Il faut noter que les chercheurs pensent bien qu’il s’agit d’une évolution par colonisation du milieu d’eau douce à partir de la mer**. Mais Julien, qui est totalement ignorant du sujet (je ne pense pas qu’il ait lu l’article qu’il critique***), ne prend jamais la peine de défendre ce point. On notera toutefois qu’il pousse la prétention jusqu’à titrer une partie de son texte "Le mot « évolution » est mal choisi". Lui, qui n’a aucune formation scientifique sérieuse (particulièrement dans les domaines de la génétique et de la biologie), est en train de faire la morale aux chercheurs sur un concept auquel il ne comprend rien. Une chance que le ridicule ne tue pas: Juju aurait été foudroyé depuis longtemps.
L’objection de Julien rate donc le point radicalement car l’évolution n’est pas une question de gain seul (ni de perte seule) mais de transformations facilitant la survie d’individus et modifiant le paysage du vivant. Comme le disent des auteurs à la première ligne de leur article : "A major goal of evolutionary biology is elucidating the mechanisms responsible for patterns of diversity in nature".
D’ailleurs, faut vraiment croire que survivre est un trait négatif pour Julien puisqu’il insiste : "[c]es exemples [ndJF : le pluriel car il ajoute un autre de ses gros bogues, la résistance aux antibiotiques par des bactéries qu’il déclare aussi « régressées »] acclamés comme des preuves éclatantes de l’évolution concernent des traits existants (sic) qui s’atrophient au profit (sic) de la survie, et ce, dans un contexte très particulier" (ndJF : souligné dans l'original). C’est bien joli, mais "atrophiés" ou non, les traits sont maintenus, permettent la survie et la reproduction des individus et cela entraîne des changements dans les populations du vivant. Bref, de l’évolution.
En plus, il cherche vraiment à se maintenir dans son idée que : "Une mutation du gène régulateur a causé une « erreur », comme c’est l’effet de toute mutation génétique (elles peuvent être, tout au plus, neutres))". On notera que pour Julien "mutation = erreur = mauvais, pas bon", ce qui n’est pas la manière de concevoir les choses en biologie ou génétique. S’il pense qu’une mutation n’est pas bonne, c’est certainement parce qu’il ne sort pas de sa manière de postuler a priori une "perfection (divine)": il postule son histoire de "plan divin" et que les épinoches qui ne suivent pas ce plan sont que des sales régressées. (Un peu comme les humains actuels qui, selon les créationnistes, n’arrivent pas à la cheville des patriarches bibliques à force d’être aussi éloignés de la Perfection Initiale Intelligemment Conçue). Bref, la "régression" est principalement dans l’œil de Julien… les épinoches et les scientifiques s’en battent (l’œil).
Pour un scientifique, une mutation n’est pas négative en soi, elle peut avoir des conséquences neutres, négatives ou positives selon les répercussions qu’elle entraîne au niveau des protéines exprimées et, par extension, sur la capacité de l’individu à survire. Malgré qu’il donne un excellent exemple de mutation aux conséquences positives pour des individus, et qu’il reconnaît implicitement le caractère positif de cette mutation, il reste borné à "mutation = erreur = mauvais" et à sa négation du côté positif de celle-ci (comme de celles qui permettent la résistances aux antibiotiques)… la poutre oculaire de Julien est maçonnée solidement avec de la dissonance cognitive brute. Pour se conforter dans ses préjugés, il affirme "le résultat final est une « sous-espèce » qui a régressé sur le plan biologique". Jugement de valeur qui n’a aucune base objective : les épinoches d’eau douce n’ont pas régressées par rapport aux marines, elles forment une population divergente. La population globale d’épinoches se transforme. Bref, elle (micro)évolue. Faut re-souligner qu’il est assez illogique d’accepter la microévolution tout en prétendant que ce n’est pas un exemple de microévolution.
L’illogisme de Juju est par ailleurs très manifeste dans son paragraphe "Que cherchons-nous à expliquer ?":
"Bien que cette recherche sur les épinoches mutantes soit fort intéressante, elle n’explique rien du point de vue des origines."
La question qui vient immédiatement à l’esprit est : alors pourquoi parler de cet article? Pourquoi se pencher sur un article qui n’a aucune prétention à aborder le sujet des "origines" (sujet bien flou et polymorphe dans le discours à Juju), si c’est pour reprocher qu’il n’aborde pas le sujet? La réponse à ces questions est a) facilité rhétorique, b) incohérence aggravée de religiosité et c) ignorance quasi-totale de la recherche en génétique. Puisque la question des "origines" des gènes l’intéresse, je lui apprends donc l’existence de cette revue: Long M et al. (2003) The origin of new genes: glimpses form the young and old. Nature Reviews Genetic, 4: 865-875.
Dans la caboche bornée de Julien, parce qu’il veut placer l’évolution sur le même plan que son pet-créationnisme, il veut obligatoirement la voir comme une "théorie des origines" selon sa conception. (Conception faussées des choses, ce qu’on lui a déjà signalé à maintes reprises.) L’évolution vise à expliquer la diversité du vivant observée; c’est écrit noir sur blanc à la première ligne de l’introduction de l’"intéressante recherche" selon les propres termes de Juju. Maintenant, si l’évolution explique très bien la diversité du vivant, on en est rendu à apporter des explications sur les mécanismes précis qui font que les espèces se modifient au cours du temps (certaines apparaissent, certaines disparaissent, certaines ne changent pas beaucoup), cela car on n’a certainement pas tout compris des mécanismes évolutifs*4. En ceci, l’expérience sur les épinoches apporte des éléments de réponse. Mais, évidemment, ce n’est pas suffisant pour Julien et comme il n’a pas de faits à offrir en appui à son créationnisme, il lui faut bien dénigrer la science parce qu'elle appuie trop bien l'évolution.
En lisant le texte, il est facile de voir qu’il ne comprend toujours rien à l’évolution mais qu’il est toujours aussi imbu de son ignorance, et refuse toujours autant de tenir compte de ce que les partisans de l’évolution disent réellement. Ça lui permet entre autres un magnifique épouvantail ("strawman") en forme d’analogie:
"Je suggère l’analogie suivante : la serrure de votre porte de maison est bousillée. En conséquence, les voleurs avec leurs outils habituels ne réussiraient pas à trafiquer cette serrure. Votre maison est alors immunisée contre le vol et serait la seule sur la rue qui ne peut pas être volée.
Diriez-vous que votre maison est plus évoluée que les autres ? Diriez-vous que ce bris pourrait expliquer l’origine de la plomberie et de l’électricité dans une maison standard ?
Un évolutionniste répondrait « oui » à ces deux questions."
Non, un "évolutionniste" dirait simplement que cette analogie est foireuse et que ces questions sont biaisées. Les maisons n’évoluent pas (biologiquement, parlant), et les scientifiques le savent très bien. Eux. Julien est un habitué des analogies parfaitement céhoennes qui lui servent à dénigrer les évolutionnistes mais qui ne font que le rendre ridicule car elles montrent qu'il ne comprend rien à ce qu'il prétend expliquer avec celles-ci.
La où Julien franchit le plus allègrement la limite de la suffisance hypocrite est sans doute qu’il poste à la fin de son texte un "commentaire d’un lecteur":
"Pourquoi les évolutionnistes interprètent cette découverte comme étant une preuve de l’évolution malgré son invalidité… sont ils des menteurs? Pourquoi ces mensonges et toutes ces propagandes? Pourquoi ils veulent tromper les gens?"
Plutôt que de donner une réponse juste, du style : "en fait, c’est surtout moi [Julien] qui dit des mensonges en prétendant que cette découverte ne supporte pas l’évolution et en prétendant que l’évolution c’est forcément une "théorie des origines", ce qui n'est que ma vision personnelle des choses", réponse qui demanderait une compréhension de l'évolution et de la science qu’il n’a pas (pas plus qu'il n'a d'humilité), le Julien répond de manière condescendante:
"Les évolutionnistes ne veulent pas tromper les gens. La théorie de l’évolution est devenue très large c’est-à-dire qu’un changement biologique est automatiquement classifié comme une preuve de l’évolution même si l’espèce régresse en termes d’information génétique." (NdJF: Souligné dans l’original.)
Bref, parce que Julien - qui n’a strictement aucune formation sérieuse en science, surtout en biologie et en génétique – est capable de dénaturer une information qu’il a lue (sans comprendre) dans un entrefilet de vulgarisation, les scientifiques sont dans le tort et ne savent pas de quoi ils parlent. Si les scientifiques ne veulent pas tromper les gens, Julien a moins de scrupules de ce côté-là… à commencer par sa manière de se présenter comme s’il comprenait bien les questions scientifiques, ce qui est déjà un gros mensonge.
Bon, le lecteur n’est pas plus brillant, il s’adresse à Julien comme si c’était un expert sur la question:
"Pensez-vous que dans le future (sic) on trouvera des preuves de l’évolution ou bien au contraire vous croyez que la théorie de l’évolution est comme l’alchimie elle finira, avec le temps, par disparaitre de la littérature scientifique."*5
Réponse de Julien l’inénarrable :
"
Tant que la définition de l’évolution englobera n’importe quel changement, sans analyser l’impact concret en termes de quantité d’information génétique fonctionnelle, eh bien oui, d’autres « preuves » seront découvertes."
Aberrant, non? On ne peut être qu’estomaqué devant une stupidité aussi crasse:
Julien, qui vient de pondre un pamphlet pas très consistant pour reprocher à un article de ne pas aborder un point que lui juge essentiel*6 mais qui n’est pas le sujet de l’article, reproche maintenant aux chercheurs qui étudient l'évolution de ne pas "analyser l’impact concret en termes de quantité d’information génétique fonctionnelle" alors qu’une analyse génétique concrète c’est justement le thème de l’article. (Sans compter que les recherches sur ces épinoches sont nombreuses et permettent d’approfondir la question de l’"information génétique fonctionnelle", ce dont Julien l’ignorant n’est pas très conscient.) Cette remarque, aussi sotte que condescendante, montre encore à quel point il faut invoquer des arguments minables pour se maintenir dans l'idée que le créationnisme est scientifique. En effet, qu’a-t-il, Julien, à offrir en termes concrets selon une "analyse" créationniste? Strictement rien. Il n'a jamais fait de recherche et ce n'est pas demain la veille qu'il commencera.
Cela dit, même s’il erre par ses sous-entendus il a raison en disant qu’il y aura d’autres découvertes scientifiques appuyant l’évolution, ce qui fait que l’évolution se maintiendra comme fait observable (les populations divergent et se transforment) et comme théorie scientifique contrairement à l’alchimie, au créationnisme scientifique (sic) et à l’astrologie, pour ne prendre que ces trois exemples de pseudosciences.
Une autre perle, mineure mais qui montre bien qu’il ne fait pas trop attention à ce qu’il fait : il affirme "[a]insi, [la croissance corporelle de l’épinoche d’eau douce] est mise à profit et la taille de son corps est augmentée" mais il insère juste à côté de la phrase une figure comparant les deux types d’épinoches sur laquelle les poissons ont sensiblement la même taille.
Jean-François
* À ce propos, il n'est sans doute pas mauvais de rappeler ce haut moment d’hypocrisie juliénesque: il a prétendu sur le forum que l’évolution était seulement "une opposition (sic) au créationnisme et à la croyance en Dieu". Ceci est parfaitement faux car très rares sont les articles scientifiques qui font allusion au créationnisme, particulièrement dans le cas des articles de recherche. Les pamphlets de Julien, eux, sont rarement exempts d’une réflexion en forme de « l’évolution est fausse, donc le créationnisme est vrai ». Ce pamphlet-ci étant un simple dénigrement de la science.
** Voir, par exemple, la revue de littérature: Schluter D and Conte GL (2009) Genetic and ecological speciation. PNAS 106 (suppl.1): 9955-62. D. Schluter est le chercheur principal des recherches sur ces épinoches.
*** En plus de ce que je mentionne un peu plus loin, un autre élément suggérant qu’il n’a pas lu l’article: sans sa liste de "sources", il liste incorrectement les auteurs (il n’en cite qu’un seul alors qu’il y en a trois) et n’indique pas les pages. Cela suggère qu’il fait la citation pour la forme. Sa véritable source d’information, c’est très certainement un entrefilet de vulgarisation paru sur le site de l’University of British Columbia dont il a probablement trouvé la référence sur Safari Creation.
*4 Mais on en sait assez pour avoir des exemples d’explications allant approximativement dans le sens "origines" de Julien : par exemple, on sait que la duplication de certains gènes permet l’évolution divergente de chacune des copies. On a une source d’"origine" pour certains gènes. Mais, la demande de Julien est fondamentalement tordue: il voudrait qu’on lui explique en détail comment tous les gènes sont apparus et, surtout, pourquoi (parce que son esprit puéril ne peut imaginer qu’il n’y ait pas un Papa-Créateur qui a voulu les transformations). Et si on ne lui donne pas ça ici et maintenant, il claironne que son "un concepteur divin, ça peut tout!" est une explication du même calibre que celles – imparfaites mais démontrées scientifiquement – qu’offrent l’évolution.
*5 On pourrait faire remarquer à ce lecteur peu sagace que le créationnisme a déjà disparu de la littérature scientifique. Mais, je doute qu’il comprenne ce que ça implique.
*6 Mais dont les scientifiques s’en foutent, parce qu’ils savent mieux que lui distinguer ce qui est une question scientifiquement fertile et ce qui tient d’un discours de propagande antiscientifique comme celui de Juju.