Salut tout le monde,
Puisqu'on parle des qualia, j'en profite pour revenir à la charge
JF, dans notre discussion récente dans un autre topic, tu m'avais écrit la chose suivante :
Jean-Francois a écrit :Si tu prends une hypothèse comme celle de la "contingence sensorimotrice" appliquée au système visuel (voir
O'Regan et Noë, 2001), de tels "intermédiaires" ne sont pas essentiels: c'est la réalité qui sert de "qualia", le cerveau ne fait que chercher à la décoder.
J'ai commencé à parcourir l'article (il est long et j'ai été bien pris dernièrement d'où mon silence subséquent). J'aurais plusieurs critiques à faire que je te ferai dans le topic concerné. Je vais en reprendre certaines ici car elles "collent" bien à ta discussion avec charlie.
Jean-Francois a écrit :charlie a écrit :La simulation de la douleur n'EST PAS la douleur. Et plus généralement la simulation de la conscience n'est pas la conscience
J'imagine que vous ne faites pas allusion à une trivialité: faire semblant d'avoir mal n'est pas avoir mal? Vous reprenez l'idée des "qualia" qui veut que l'on sépare une chose de la conscience de cette chose. [...]
C'est pourquoi prendre comme catégorique la position philosophique que vous émettez ne m'apparaît pas justifié. De plus en plus, en neurologie, il apparaît probable qu'avoir mal ne peut être séparer de la sensation de douleur: avoir mal serait savoir qu'il y a douleur (que des fibres nociceptives déchargent ou qu'un débalancement homéostatique en soient la cause). Dans cette optique, il n'y a pas forcément de place pour les "qualia". Un robot qui "simule" aussi bien qu'un humain ressent la douleur pourrait ressentir la douleur.
Je suis d'accord qu'un qualia (ex. : la douleur) et savoir qu'il y a ce qualia va souvent de pair. Néanmoins, il me paraît abusif d'en conclure que les qualia se réduisent à la connaissance qu'on en a. Déjà, ce n'est pas tout le temps le cas que ça marche par pair (par ex. : des changements imperceptibles dans une image n'induisent pas forcément une prise de conscience alors qu'il y a tout lieu de penser que les sensations changent). Voir aussi Damasio qui dans
Le sentiment même de soi, par ex., distingue bien : 1) le sentiment de l'émotion ; 2) la conscience de ce sentiment. Ensuite, sur un plan conceptuel, c'est un peu boîteux comme vue car une connaissance est véridique par définition, or, si, comme tu sembles le soutenir, les qualia n'existent pas en tant que tels, on ne peut donc pas en avoir une connaissance à proprement parler. Admettons que l'on règle ce problème en disant qu'il s'agit non pas d'une connaissance mais d'une croyance, alors ça a des conséquences curieuses : si on me frappe et que je ressens de la douleur c'est parce que je crois que j'en ressens... bizarre, bizarre...
Mais les paradoxes de ce point de vue ne s'arrêtent pas là ! A la base d'une connaissance ou d'une croyance il y a toujours une sensation. Même si on n'est pas strictement empiriste et qu'on ne réduit pas la croyance et la connaissance à la sensation, en règle général, tout le monde s'accorde à penser que la sensation intervient à un moment donné dans le processus. On pourrait dire (il me semble que c'est ton point de vue -- voir ton explication au sujet de mon exemple avec Mickey) que ce n'est pas une sensation mais une perception. Mais une perception, comme je l'entend, implique une sensation.
Pour moi, perception = sensation corrélée à un objet ; illusion = sensation non corrélée à un objet (autrement dit : perception sans objet). Contestes-tu cette analyse ?
Pour moi, dire qu'un système électronique "perçoit" quelque chose (par exemple un mouvement), est :
- soit un abus de langage
- soit implique que le dit système est le sujet d'une sensation
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Maintenant, peut-être contestes-tu mon analyse de la perception et penses-tu qu'elle ne présuppose pas la sensation. Il reste alors à comprendre comment elle l'a créé.
Une première hypothèse pourrait être de dire que la perception ne créé pas de sensation, que la sensation est une illusion. Mais on se retrouve avec une nouvelle circularité puisque le concept d'illusion présuppose celui de sensation et ne saurait donc en rendre compte.
Une deuxième hypothèse pourrait être de dire que la sensation existe et que c'est la perception qui la créé. A la question : comment qqch de purement structuro-fonctionnel peut-il générer qqch de qualitatif ? on peut tenter le contournement en arguant que c'est bel et bien ce qui se passe mais que ça échappe à nos facultés de compréhension (amen !). On peut aussi opter pour le dualisme ou l'épiphénoménalisme, avec les problèmes que l'on sait et sur lesquels je ne reviendrai pas car ça serait prêcher à un convaincu...
Enfin, troisième hypothèse, on peut vouloir identifier la sensation avec l'objet de la perception. Il me semble que c'est ta stratégie. Je vois plusieurs objections majeures :
- les hallucinations sont des sensations mais ne sont pas des perceptions puisqu'elles n'ont pas d'objet
- le cas des daltoniens : pour un même objet, deux personnes peuvent expérimenter deux sensations colorées différentes, cette différence dans les sensations tient donc à la perception elle-même et non pas à son objet.
Pour ma part, je préfère régler le problème autrement : les sensations sont une composante fondamentale de la réalité, au même titre que les aspects structuro-fonctionnels, et sont irréductibles à ces derniers. Les deux sont logiquement connectés par une relation d'identité numérique. Le monisme est donc préservé. L'impression d'avoir à faire à deux réalités indépendantes vient juste d'un problème de perte et de déformation de l'information. La perspective en 3ème personne sauvegarde bien les aspects structuro-fonctionnels mais évacue totalement l'aspect qualitatif. La perspective en 1ère personne sauvegarde bien les aspects qualitatifs mais peu les aspects structuro-fonctionnels.
Miky