M. Étienne Blais:
Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour.
Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis
Étienne Blais, criminologue et professeur agrégé à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. J'ai été embauché en raison de mon expertise dans les domaines des méthodes de recherche et de la prévention du crime.
Depuis mon entrée en fonction, en 2006, j'ai développé un programme de recherche sur la prévention des crimes et traumatismes liés aux armes à feu. Depuis le début de ma carrière, j'ai eu l'occasion de publier plusieurs articles avec comité de pairs et de donner plusieurs conférences sur la question du contrôle des armes à feu au Canada.
Avant de présenter ma position sur le projet de loi C-19, j'aimerais rappeler que la problématique des blessés par armes à feu va bien au-delà de celle de la criminalité, voire des violences associées aux groupes criminels. Sur les quelque 800 décès annuels que l'on associe aux armes à feu, 75 p. 100 sont des suicides. De plus, environ 85 p. 100 des suicides par arme à feu impliquent des armes longues. Dans bien des cas, les suicides impliquent des personnes souffrant de troubles mentaux ou qui se trouvent en situation de crise momentanée.
Les suicides sont bien souvent commis au domicile de la victime. Plusieurs études démontrent que l'accès à une arme à feu au domicile augmente le risque de suicide en général. C'est également le cas des homicides commis entre conjoints. La présence d'une arme à feu au domicile augmente le risque d'homicide conjugal. Dans ces cas d'homicides et de suicides, l'arme à feu représente le facilitateur parfait qui permet d'actualiser les pensées suicidaires ou homicidaires. C'est d'ailleurs dans l'optique de prévenir ces suicides et homicides que s'inscrivent certaines des dispositions de la loi C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes, et ses règlements, notamment lorsqu'on parle d'aviser l'actuel conjoint ou le conjoint des deux dernières années de l'intention d'achat du conjoint ou de l'ex-conjoint et de l'enregistrement de toutes les armes à feu.
Dans le cadre de mes recherches, je me suis justement intéressé à l'effet de ces lois sur les taux d'homicides et de suicides. Les résultats de mes études ont été publiés dans des revues, avec comités de pairs, ou présentés lors de conférences scientifiques, également avec comités de pairs. Dans l'une de ces études, mes collègues et moi avons évalué l'effet des lois C-51, C-17 et C-68 sur les taux d'homicides et de suicides au Canada entre 1974 et 2004.
Tout d'abord, nos résultats démontrent que l'adoption de la loi C-68 fut associée à une baisse significative des homicides commis par arme à feu, et plus précisément les homicides impliquant des armes longues. Cette baisse varie entre 5 p. 100 et 10 p. 100, selon les provinces. En nombre, cela correspond à la prévention d'environ 50 homicides par année au Canada.
L'effet préventif de la loi est d'autant plus probable que la baisse des homicides par arme longue n'est pas compensée par une hausse des homicides commis par d'autres méthodes. De surcroît, cette baisse s'observe uniquement pour les homicides commis par arme longue. Les homicides commis à l'aide d'autres armes, tels les couteaux et les objets contondants, ne bougent pas.
Cela signifie que la baisse qui est attribuable à la loi C-68 l'est bel et bien et qu'elle n'est pas attribuable à d'autres facteurs ou mesures de prévention mises en place pour prévenir ces homicides.
Deuxièmement, la loi C-68 fut associée à une baisse significative des suicides par arme à feu.
Encore une fois, il n'y a pas d'augmentation ni de baisse du nombre de suicides commis par d'autres méthodes. Cela suggère que la baisse des suicides par arme à feu n'est pas compensée par une hausse des suicides commis par d'autres méthodes et que la baisse n'est pas attribuable à d'autres mesures de prévention du suicide. Nous estimons à environ 250 le nombre de suicides prévenus par année au Canada depuis l'introduction de la Loi sur les armes à feu en 1998.
Récemment, nous avons réalisé d'autres évaluations qui viennent consolider nos conclusions voulant que la loi C-68 ait permis de réduire les homicides et les suicides.] Ces récents résultats suggèrent même que la loi C-68 a permis de prévenir les homicides conjugaux.
Les effets de la loi C-68 se seraient principalement manifestés à partir de 1998, de manière graduelle, soit au fur et à mesure que les dispositions de cette loi furent appliquées.
Maintenant, plusieurs études ont été réalisées sur l'effet des lois canadiennes en matière de contrôle des armes à feu. Pourquoi considérer nos résultats? En quoi nos résultats sont-ils plus crédibles que ceux des autres études?
Premièrement, nous tenons compte d'autres facteurs, tels que la proportion de jeunes hommes, la consommation de bière, le nombre de policiers par habitant, les taux d'incarcération et le taux de chômage, pour ne nommer que quelques autres facteurs concomitants.
Deuxièmement, nous employons des méthodes statistiques permettant d'obtenir des estimés valides.
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Troisièmement, nous distinguons les homicides en fonction de l'arme utilisée et de la relation entre les parties. Toutefois, le principal avantage de nos études réside, à mon avis, dans l'emploi de la province comme unité d'analyse, ce que ne font pas plusieurs études.
Par exemple, dans notre dernière étude, nous tenons compte des divers taux d'homicide des six provinces canadiennes et de la région de l'Atlantique pour la période de 1974 à 2006. Cela nous permet d'avoir un échantillon de 231 observations. Il s'agit d'un échantillon suffisamment grand pour détecter les effets des lois. Un simple échantillon de 30 ou de 35 observations serait complètement insuffisant, faute de puissance statistique.
De plus, cela nous permet de tenir compte du champ de compétence provinciale en matière d'application des lois. Les lois entrent en vigueur au même moment dans l'ensemble du Canada, mais ce sont les provinces qui ont la responsabilité de les appliquer. Ainsi, toute évaluation des lois en matière de contrôle des armes à feu au Canada doit tenir compte de cette réalité.
Enfin, employer les provinces comme unité d'analyse permet de tenir compte des variations dans les taux de criminalité entre celles-ci. Le Canada en soi n'est pas représentatif des problématiques vécues dans les provinces.
En conclusion,
les résultats de nos études démontrent que le projet de loi C-68 a permit de prévenir 300 décès par année. Sur la base des données sur les coûts directs et indirects des décès par arme à feu, on estime à plus de 400 millions de dollars par année les coûts épargnés grâce à la prévention de ces 300 décès. Ce montant se compare avantageusement aux 63 millions de dollars annuels consacrés au fonctionnement du Programme canadien des armes à feu, et aux 9,1 millions de dollars consacrés aux activités d'enregistrement, selon le rapport de la GRC.
Sur la base de nos résultats,
nous croyons que le retrait du registre des armes à feu risque de compromettre la santé et la sécurité des Canadiens. L'obtention d'un permis de possession d'arme à feu et l'enregistrement des armes à feu sont deux mesures nécessaires et complémentaires. Ces mesures permettent de lier chaque arme à feu à son propriétaire...
Le vice-président (M. Randall Garrison):
Monsieur Blais, votre temps s'est en fait écoulé.
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