La « pile » de Bagdad. (pour la terrasse de Baalbek, on verra un autre jour).
Beaucoup de récits contradictoires circulent sur cet objet, le recoupement des information est une tâche bien difficile. J'essaie d'indiquer toutes les hypothèses et mes principales sources, mais pour l'essentiel je me base sur un article wikipedia(1) anglais qui, après consultation d'une quarantaine de pages web, m'a paru de très loin être la meilleure source.
Il s'agirait d'un objet trouvé en 1936 lors d'une excavation sur les tumuli de Khuyut Rabbou'ah, dans la banlieue de Bagdad. En 1938, Wilhelm König, directeur du musée archéologique de Bagdad, serait tombé par hasard sur cet objet dans la réserve de son musée.
C'est un pot en terre cuite de 14,5 cm de hauteur fermé par un bouchon d'asphalte, qui présente une particularité inhabituelle : il contient un tube de 9,5 cm constitué d'une mince feuille de cuivre contenant lui-même une tige de fer.

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König date ce pot de la période parthe (250 BC – 225 AD) car il aurait été trouvé dans une couche géologique correspondant à cette époque, mais cette datation est très controversée. D'une part, bien des mystères entourent les lieux et circonstances de sa découverte ; d'autre part c'est un style de poterie typique de la période sassanide (225 – 640). Il n'a jamais fait l'objet d'un examen avec les techniques modernes de datation.
En 1940, König revient en Allemagne et décrit sa découverte dans
Im verlcrenen Paradies, un livre qui raconte ses 9 années passées en Irak(2). Selon lui il s'agissait d'une batterie primitive utilisée pour faire des placages fins d'or et d'argent sur des bijoux, par électrolyse.
Après la guerre, Willard F.M. Gray, un ingénieur General Electric High Volatage Laboratory de Pittsfield (Massachusetts), lit les travaux de König et tente, en se basant sur des schémas de l'objet fournis par Willy Ley, d'en construire une reproduction pour tester l'hypothèse électrique. En utilisant une solution de sulfate de cuivre comme électrolyte, il obtient un faible courant électrique (de 0,5 volts selon certaines sources, 2 volts selon d'autres), prouvant que la production d'électricité avec cet objet est possible.
D'autres expériences avec divers électrolytes (comme le vin, le jus de raisin, le vinaigre, l'eau de mer, ou d'autres solutions plus modernes) arrivent à d'autres résultats. L'égyptologiste allemand Arne Eggebrecht obtient 0,87 volts, Henri Broch ne dépasse pas 0,5 volts. Marjorie Senechal, professeur d'histoire des sciences et des technologies, fait construire plusieurs de ces batteries par ses élèves qui obtiennent entre 0,8 et 2 volts.(3) Des voltages si faibles rendent l'objet inutile en tant que batterie, quelle que soit l'usage que l'on veuille bien imaginer. De plus la production d'électricité ne dure pas longtemps.
L'hypothèse électrique veut que, pour obtenir un voltage suffisant pour servir à faire des placages d'argent par électrolyse, plusieurs batteries aient été connectée ensemble. Les tenants de cette explication se basent sur les travaux de Arne Eggebrecht, qui a testé cette hypothèse en 1978, et réussi a produire un très fin placage d'argent (1 micromètre) en vidant un très grand nombre de batteries fonctionnant au jus de raisin. Cependant pour beaucoup de raisons, cela reste très peu convaincant (3) :
- Même si en connectant plusieurs batteries on obtient un voltage suffisant, l'ampérage reste trop faible.
- Bettina Schmitz, chercheur travaillant dans le même musée que Eggebrecht (Roemer and Pelizaeus Museum, à Hildersheim), indique qu'il n'existe aucun rapport écrit ni aucune documentation sur les expérience d'Eggebrecht. Elle rajoute « les expériences ne sont même pas documentées par des photos, ce qui est bien dommage. J'ai cherché dans les archives du musée et parlé à toutes les personnes impliquées en 1978, sans aucun résultat ».
- D'autres chercheurs ont tenté de reproduire l'expérience sans succès
- Du proche orient, dans les différentes périodes dont pourrait dater la pile, il n'existe aucun objet plaqué en or ou en argent qui ait pu être obtenu par électrolyse. Tous sont issus de techniques classiques.
De façon plus générale la théorie électrique se heurte à d'autres obstacles :
- L'absence de fils, sur la pile originale, qui auraient permis d'utiliser le courant ;
- L'absence de tout document écrit mentionnant cette technologie ;
- Le fait que le bouchon d'asphalte recouvre complètement le cylindre de cuivre en l'isolant. Un bouchon d'asphalte est parfait pour fermer hermétiquement un pot, dans l'idée de conserver son contenu sur un long terme ; mais est un gros inconvénient pour utilisation galvanoplastique.
Parmi les hypothèses non-électriques, on peut citer celle de Emmerich Pászthory dans
History of technology : the role of metals (MASCA research papers in science and archaeology, v. 6, 1989, pp. 31-38 ). Selon lui, le pot était... un pot. Scellé hermétiquement pour contenir des parchemins magiques, à l'intérieur d'un cylindre de métal. Il existe des pots ayant une telle fonction, datant de l'époque séleucide (juste avant la période parthe, donc cette hypothèse pose un problème de datation).
Une utilisation électrique, quoique improbable, reste possible, même si on ignore laquelle. Chez les amateurs d'archéologie-fiction les piles de Bagdad sont souvent présentées comme une des preuves que les anciens maîtrisaient une technologie impensable pour l'époque. Pourtant il n'y a là rien d'incroyable, ce n'est pas de nature à bouleverser « l'histoire officielle ». Même si ce pot a peut-être servi de pile, c'est un objet très simple et qui ne peut fournir qu'un courant très faible. Technologiquement c'est intéressant, voire étonnant, mais ce n'est pas plus impossible que, par exemple, la pompe à incendie, l'orgue hydraulique ou l'éolipyle (la première machine à vapeur), inventés par Ctésibios vers 200 BC.
Du côté des adeptes de l'archéologie-fiction, l'histoire est considérablement déformée. Par exemple en 1960, Bergier et Pauwel dans
Le Matin des Magiciens. Ils nous offrent une présentation comme d'habitude bourrée d'erreurs grossières. De Wilhelm König, le découvreur de l'objet, ils font un ingénieur chargé de la construction des égouts de Bagdad. Le pot en terre cuite se transforme sous leur plume en plusieurs « pierres plates » utilisées comme des piles électriques. L'objet devient à leurs yeux la preuve qu'une société secrète possédait à l'époque sassanide le monopole de la galvanoplastie. Bref du grand n'importe quoi*.
Et pourtant, c'est à partir de récits aussi foireux que l'histoire des « piles » de Bagdad va se répandre.
D'autres auteurs du même acabit, aussi célèbres et aussi incapables de vérifier leurs sources avant d'affirmer n'importe quoi, se fourvoieront avec des récits tout aussi erronés. Ainsi Rémy Chauvin, dans
Secrets des Portulans, au lieu d'un seul pot, parle d'un objet formé de plusieurs petits vases (sans doute pour donner plus de poids à l'hypotrèse de piles montées en série). Il parvient même à se tromper sur le lieu de la découverte, en parlant de Ninive au lieu de Bagdad.
Notes :
1:
http://en.wikipedia.org/wiki/Baghdad_Battery
2:
http://www.ufo.se/ufofiles/english/issu ... tech2.html
3:
http://news.bbc.co.uk/1/hi/sci/tech/2804257.stm
Autres sources :
G. Rachet,
Reveries, hypothèses, impostures (p.57-62)
H. Broch,
Au coeur de l'extra-ordinaire (p. 66-68 )
*Il faut dire que Pauwels a écrit
Le matin des magiciens à partir de conversations avec Bergier, qui lui racontait de mémoire toutes sortes d'histoires. Bergier était bizarrement persuadé d'avoir une mémoire quasi-parfaite de tout ce qu'il lisait, ce qui explique la rareté des références et le nombre incroyables d'erreurs dans ses bouquins.