Salut Mireille!
J'ai décidé d'entretenir cette vision (très générale, cependant) que je te partage, car elle me parait personnellement la plus « raisonnable » que je puisse imaginer. En passant quelque temps (peut-être trop dans mon cas) à philosopher, on en vient éventuellement à se poser des questions sur ce qui arrive après notre mort. Évidemment, il me semble que personne n’ait trouvé « la » réponse et quelqu'un qui prétendrait le contraire serait très suspect à mes yeux. J'ai tout de même pensé qu'en te la partageant, ça pouvait t'aider à considérer une autre façon de voir les choses.
Tu dis :
Si on agit d'une manière bienveillante quand c'est possible de le faire, bien sûr, mais comment est-ce possible dans un éventuel retour aléatoire de pouvoir affecter positivement cette autre moi dont tu parles?
(J'ai ajouté la conjonction « mais » dans ton énoncé.) C'est bel et bien dans la notion de « moi » qu'il semble y avoir une difficulté de compréhension, ce qui est normal. Le « moi » n'est le même que selon un certain référentiel arbitraire/intuitif qui est permanent plus longtemps que l'expérience dans laquelle il est subjectivement immergé. Je serais incapable de te formuler une définition précise et cohérente du « moi », car, comme je l'ai auparavant mentionné, le « moi » est toujours le même (pour nous), mais change pourtant continuellement. Il y a, à première vue, un paradoxe difficile à résoudre (voire impossible). Si l'on projette un « moi » existant au-delà de notre mort physique, on risque de créer une contradiction en le « fixant/figeant » sachant qu'il change continuellement en relation avec l'activité physique par laquelle il est supporté (voire défini!).
On ne cesse de découvrir à quel point le « moi » existe d'une façon intimement liée à l'environnement, au corps et à l'activité cérébrale (la mémoire, le conditionnement, par exemple). Une fois cette activité cérébrale éteinte, il n'y a aucune raison objective pour que ce « moi » (fixé!), cette mémoire, ne disparaisse pas du même coup.
Si l'on aide naturellement son prochain, il se peut que, un jour, notre prochain (pas nécessairement le même) soit porté à nous aider et qu'il le fasse gratuitement. Tout cela est très évident, mais il n'y a aucune garantie d'être aidé du fait que l'on a aidé notre prochain. Ce n'est juste pas une raison pour devenir complètement égoïste, c'est simplement un vote, une question de probabilité, une contribution à un monde plus sain. Le « moi » est aussi un autre. Tu demandes comment c'est possible d'affecter un autre « moi ». Simplement en contribuant à construire quelque chose de durable positivement. Par exemple, la chance de pouvoir aujourd'hui jouir de la technologie ou des avancées de la médecine ne serait pas aussi présente sans le dévouement de personnes (peut-être un ancien autre « toi ») qui ne penseraient pas à découvrir/construire des choses dont l'aboutissement serait bien au-delà de leur vie et sans les autres qui favoriseraient ce climat de découverte/construction.
Aussi, je ne pense pas que le moustique soit très conscient du temps qui passe ou d'une grande souffrance potentielle. L'exemple du moustique n'est donc pas vraiment problématique. Tu ne vois pas très bien à quoi la bienveillance accumulée d'une vie nous aurait servi si, par malheur, nous naissons dans un environnement cruel. Je comprends! Mais, c'est un vote, tout simplement. Si tu votes pour le meilleur candidat (disons que tu as toutes les raisons objectives de penser que tu votes pour le meilleur candidat), mais que c'est le pire qui entre au pouvoir, faut-il cesser de voter? Comme je le dis et je le redis, ce n'est pas une garantie, c'est seulement collaborer, voter. Évidemment, « faire sa part », c'est loin de toujours être plaisant, mais c'est une façon moins absurde de souffrir. J'ai exprimé en quoi (selon moi) les autres façons générales d'envisager un sens à nos vies n'étaient pas vraiment meilleures (étaient pires).
L'ascension spirituelle n'est qu'une structure sophistiquée de croyances basée sur des expériences subjectives, le renforcement de l'ego et une logique douteuse. N'est-il pas égoïste et honteux de penser que si nous avons la chance de mener une vie heureuse, ce soit que nous sommes rendus à un stade plus évoluer que notre voisin qui souffre? Le « moi » n'est qu'une activité spécifique de conscience-inconscience (d'une complexité inouïe), des manières d'être. Tu peux devenir complètement différente si, par exemple, tu développes une tumeur au cerveau. Aussi, un accident est vite arrivé. On ne choisit pas d'avoir un accident qui rend notre vie insupportable. Il me semble que ma pensée est différente de la tienne en ce sens. Quand tu dis :
quelque chose de nous se retrouverait attiré par ce qui lui ressemble,
il faut rester prudent. Parfois, les mots ensorcellent notre façon de comprendre les choses. Ton expression signifie, selon moi, que nous cherchons à améliorer notre bien-être en cherchant un environnement qui nous aide dans notre épanouissement. Il ne faudrait pas croire que cette « attirance » nous empêche/protège d'être dans un environnement non voulu. Cette pensée tordue qui affirme que les victimes d'une catastrophe (par exemple) ont choisi cette expérience afin d'évoluer spirituellement me semble intolérante ou difficile à accepter. Si, par hasard, c'est là une croyance profonde pour toi, je t'invite fortement à la remettre en doute et à constater ses failles logiques. Par exemple, elle maintient une vision dualiste (en désaccord avec les faits) de la conscience et un manque de considération de l'environnement qui affecte directement le « moi ».
À propos du karma, tu dis :
Je ne trouve pas que ce soit très éloigné même si ta forme diffère quelque peu.
C'est assez différent à mon avis. On sent bien l'idée d'une continuité linéaire du « moi » (séparé des autres, de l'environnement) dans cette définition, alors que je considère le « moi » comme étant non linéaire (pouvant éclater à tout moment) et non disjoint des autres et de l'environnement. Je comprends que ma vision n'est pas très réjouissante, mais elle me semble moins risquée et plus courageuse à la fois, puisque la possibilité de « payer » pour le manque de conscience d'un autre me semble tout à fait réelle.
Pourquoi serions-nous dans un monde qui cause tant de souffrance?
Tu cherches sûrement à trouver une raison spirituelle à l'existence de la souffrance. Il y a parfois des choses qui n'ont pas de raison (apparente, du moins) d'être. En chercher une ne ferait que nous plonger dans une croyance de plus en étant très loin d'être assuré que la raison que nous entretenons soit la bonne. Selon moi, la simple constatation contradictoire de la notion de « moi » suffit à envisager raisonnablement la possibilité de la souffrance. Pourquoi la souffrance aurait-elle forcément une « ultime » utilité? À moins que son utilité soit de ne pas être nécessaire?
Nous sommes limités et conditionnés. Il faut bien accepter ce fait. Il y a plusieurs possibilités. Il y a des gens qui ne pensent qu'à eux et qui sont moins heureux que d'autres gens plus intelligents et plus généreux, par exemple.
Je pensais aussi que de goûter à la souffrance nous faisait perdre notre insouciance et de ce fait nous forçait à évoluer.
Je dirais « oui et non ». Sachant que nous sommes en proie à d'innombrables souffrances (perte de l'insouciance), cela devrait suffire à l'esprit intelligent pour être naturellement bienfaisant/altruiste. Celui-ci n'aura pas besoin de tant souffrir, contrairement à ce que tu sembles suggérer, pour comprendre cette simple constatation de l'importance de faire les choses de la bonne manière. De même, d'autres souffriront beaucoup sans réussir à trouver le moyen ou l'énergie pour s'affranchir de leur conditionnement souffrant. Ce n'est pas parce que nous déciderons de voler (oiseau) que nous allons réussir à voler. Même que parfois trop de souffrance nous aveugle/insensibilise à la beauté de la vie, puisque l'on en vient à ne connaitre que cela. Je comprends que certains plaisirs à son prix/souffrance à payer, mais je doute que le plaisir et la souffrance soit l'exact reflet inverse l'un de l'autre.
Pour ce qui est de nous « forcer à évoluer », personnellement, je me dis qu'il est inévitable d'évoluer. Peu importe ce que nous faisons, nous « évoluerons » (avec ou sans souffrance), de toute manière. Pour moi, ça règle le problème, c'est en accord avec le premier principe. Au lieu de me contenter à trouver une multitude de raisons philosophiques ou spirituelles à l'expérience de la souffrance (surtout extrême), c'est-à-dire au lieu de justifier l'injustifiable, je préfère demeurer mécontent par rapport à elle et ainsi tout faire pour la diminuer significativement à long terme.
Si tu espères toujours découvrir l'existence (ou non) d'une intelligence divine/créatrice ou de la raison ultime de la souffrance, je crains que ce soit un espoir vain, une recherche trop difficile (impossible/illogique) à mettre à bon escient. Penses-tu un jour pouvoir (disons) comprendre parfaitement la démonstration de l'égalité évoquée maintes fois par Denis liant Pi avec les nombres premiers? Non? Peut-être? Et bien, dis-toi que comprendre/démontrer parfaitement la raison ultime de la souffrance (si cette raison existe) est probablement infiniment plus difficile que de comprendre cette démonstration de l'égalité de Pi en question. Du moins, en ce qui me concerne, j'ai dû faire un deuil de cette grande question (de la finalité) totalement invérifiable logiquement et concrètement (ne l'oublions pas!). Il se peut que ce que nous faisons ne serve parfois/souvent à rien. C'est comme ça.
Amicalement.