Raphaël a écrit :Quant à la relativité de la flèche du temps, il n'y a rien dans la théorie de la Relativité qui prouve que ça soit le cas (du moins à ma connaissance).
En fait, la flèche du temps en Relativité est bien relative à l'observateur (c'est un point difficile à "avaler" au début quand on lit cette théorie).
La flèche du temps d'un référentiel inertiel :
- a pour sens le sens passé futur (ça ce n'est pas relatif).
- a, par contre, pour direction la direction commune de toutes les droites parallèles modélisant les observateurs au repos dans ce référentiel (un feuilletage 1D de type temps donc), c'est à dire encore la direction (pseudo)orthogonale aux feuillets 3D de simultanéité de ce référentiel. Un feuilletage 3D c'est (avec une dimension de plus) la même chose qu'un feuilletage 2D. Un feuilletage 2D, ce sont des feuilles 2D empilées les unes sur les autres sur une table (dans la direction perpendiculaire à la table, la 3ème direction).
En Relativité, il n'y a donc pas une flèche du temps unique pour tous les observateurs mais autant de flèches du temps que de référentiels inertiels.
Cette multiplicité de directions d'écoulement du temps possibles donne lieu au problème du temps quand on veut marier la Relativité avec la physique quantique. La physique quantique a en effet besoin d'un écoulement du temps privilégié faisant évoluer toutes ses observables à l'unisson.
In a general covariant theory there is no preferred time flow, and the dynamics of the theory cannot be formulated in terms of an evolution in a single external time parameter....Thus, a basic open problem is to understand how the physical time flow that characterizes the world in which we live may emerge from the fundamental “timeless” general covariant quantum field theory.
nous rappellent A. Connes et C. Rovelli.
Ce conflit a été (partiellement) levé par A. Connes, C. Rovelli puis C. Rovelli et P. Martinetti dans le cas particulier d'une théorie quantique des champs conforme en relation avec un observateur de durée de vie finie (un segment de droite donc) dans un espace-temps de Minkowski.
cf.
Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis et
L'algèbre d'observables associée à cet observateur, c'est l'algèbre des observables locales dans son diamant de Lorentz. Le diamant de Lorentz de l'observateur, c'est l'intersection du cône de futur de sa naissance avec le cône de passé de sa mort. C'est donc l'ensemble des évènements, au sens "point" de l'espace-temps, qui lui sont causalement reliés :
- dans le sens observateur évènement à un moment de sa vie ET
- dans le sens évènement observateur à un moment ultérieur.
Une observable locale de cet observateur est une observable dont l'action se limite à son diamant de Lorentz. Il n'a donc pas accès à tous les degrés de liberté des champs physiques qui peuplent l'univers. Physiquement, c'est ce manque d'information qui fait émerger un écoulement privilégié du temps (et une température, les deux notions sont très liées) dans la construction mathématique de C. Rovelli et P. Martinetti.
Je préfère passer sous silence une multitude de considérations mathématiques et physiques absolument passionnantes reliées, notamment, à la façon dont C. Rovelli et P. Martinetti font émerger :
- une algèbre de Von Neumann étroitement reliée à un état de vide quantique et à un opérateur (sur cette algèbre) étroitement relié au renversement du temps,
- puis le flot temporel unique sur l'algèbre de Von Neumann pour lequel cet état est un état d'équilibre (un état dit KMS=Kubo Martin Schwinger)
pour mettre surtout en valeur les idées physiques présentées dans le résumé (partiel) de l'article de A. Connes et C. Rovelli
Von Neumann Algebra Automorphisms and Time-Thermodynamics Relation in General Covariant Quantum Theories.
We consider the cluster of problems raised by the relation between the notion of time, gravitational theory, quantum theory and thermodynamics; in particular, we address the problem of relating the ”timelessness” of the hypothetical fundamental general covariant quantum field theory with the ”evidence” of the flow of time. By using the algebraic formulation of quantum theory, we propose a unifying perspective on these problems, based on the hypothesis that in a generally covariant quantum theory the physical time-flow is not a universal property of the mechanical theory, but rather it is determined by the thermodynamical state of the system (”thermal time hypothesis”). We implement this hypothesis by using a key structural property of von Neumann algebras: the Tomita-Takesaki theorem, which allows to derive a time-flow, namely a oneparameter group of automorphisms of the observable algebra, from a generic thermal physical state.
In this paper, we consider a radical solution to this problem [of timelessness of covariant theories]. This is based on the idea that one can extend the notion of time flow to general covariant theories, but this flow depends on the thermal state of the system.
L'écoulement du temps relatif à un système dépend donc, selon A. Connes (voir par exemple le théatre quantique de A. Connes et ses vidéo conférences), C. Rovelli et P. Martinetti, d'un état d'équilibre de ce système (le moins que l'on puisse dire, c'est que ça ne saute pas instantanément aux yeux).
In a conventional non-generally covariant theory, a hamiltonian H is given and the equilibrium thermal states are Gibbs states ρ = exp{−βH}. Notice that the information on the time flow is coded into the Gibbs states as well as in the hamiltonian. Thus, the time flow αt can be recovered from the Gibbs state ρ (up to a constant factor β, which we disregard for the moment). This fact suggests that in a thermal context it may be possible to ascribe the dynamical properties of the system to the thermal state, rather than to the hamiltonian: The Gibbs state determines a flow, and this flow is precisely the time flow.
Cette remarque suggère (à mon sens) que le zéro temporel du big-bang devrait être interprété comme découlant de la nature thermodynamique statistique "du" temps (tel que nous le mesurons). Au "moment" du big-bang, il fait "tellement chaud" qu'aucune structure ne résiste "très longtemps" à ce "bouillonnement". Pas moyen de stocker irréversiblement de l'information car il n'y a pas d'équilibre. La flèche du temps ne sait plus dans quelle direction pointer, un peu comme la boussole d'un explorateur qui serait placé pile au nord magnétique.
Ilya Prigogine a écrit :La Fin des Certitudes
Le même genre de présentation de la flèche du temps figure dans la plupart des ouvrages. Or cette interprétation, qui implique que notre ignorance, le caractère grossier de nos descriptions, seraient responsables du second principe et dès lors de la flèche du temps, est intenable.
Il est intéressant de préciser les éléments qui tendent à justifier la position d'Ilya Prigogine. En opposition avec un grand nombre de physiciens (probablement une majorité parmi les physiciens théoriciens), il attribue en effet à la flèche du temps un caractère objectif. Son point de vue est étayé par des modélisations mathématiques élaborées, étroitement reliées à la thermodynamique de non équilibre (et aux systèmes dits non intégrables).
Sans entrer dans le détail, la principale justification physique de son point de vue est la suivante :
la plupart des systèmes dynamiques évoluent selon une dynamique du chaos déterministe. La conséquence de ça, c'est qu'il y sont sensibles à de petites perturbations de leurs conditions initiales (l'effet papillon).
Quand on modifie d'une petite valeur epsilon la condition initiale d'une telle dynamique, elle s'écarte de la trajectoire qu'elle aurait du avoir (sans cette perturbation) d'une valeur (proportionnelle à cet écart) croissant exponentiellement au fil du temps.
Au bout d'un petit nombre n de fois le temps tau dit de chaos, la précision epsilon avec laquelle il faut connaitre l'état du système étudié à l'instant t0 pour prédire son état futur à l'instant t= t0 + n tau avec une précision E visée devient inatteignable (la précision initiale epsilon = E/exp(n) requise devient très supérieure à la précision des appareils de mesure). Malgré son caractère déterministe, une évolution régie par une dynamique du chaos devient imprédictible au bout d'un petit nombre de fois le temps de chaos (c'est typiquement le problème auquel sont confrontées les prévisions météo par exemple).
La conséquence de ça, c'est que
le manque d'information de l'observateur dont on a besoin pour faire émerger une flèche du temps découle objectivement de l'impossibilité de connaître l'état initial d'un système donné avec une précision infinie. Quel que soit l'observateur et sa manière de prélever de l'information, une flèche du temps apparaît car un observateur, quel qu'il soit, ne peut pas avoir une connaissance infiniment précise de l'état initial des systèmes dynamiques.
C'est ça l'idée forte de Prigogine pour restaurer un statut objectif à la notion d'évolution irréversible. Elle se traduit par des modèles mathématique élaborés où les évolutions dynamiques ne sont plus considérées isolément. Prigogine considère que seuls ont un sens physique de petits voisinages d'une évolution dynamique donnée dans un espace d'évolutions. De ce fait, la flèche du temps acquière (selon I. Prigogine et I. Stengers) un caractère objectif (en relation avec un effacement de l'approche déterministe des évolutions individuelles au profit d'une modélisation probabiliste d'ensembles d'évolutions).
Vis à vis de la création d'entropie, Prigogine se range donc du côté de Planck et non du côté de Boltzmann. Tandis que, pour Boltzmann, la production d'entropie est une conséquence de notre manque d'information, Prigogine considère au contraire, comme Planck, qu'il s'agit d'un processus dynamique "intrinsèque".
Voilà le débat posé entre Prigogine, interprétant l'écoulement irréversible du temps comme "un fait de nature" et les physiciens partisans, au contraire, de l'hypothèse du temps thermique, convaincus que l'écoulement irréversible du temps est une émergence de nature thermodynamique statistique et que la symétrie T est, en fait, plus fondamentale que l'irréversibilité d'écoulement du temps observable à notre échelle.
Pour ma part, j'ai fini par basculer en direction de cette deuxième option en raison de la vérification de
l'action rétrocausale de mesures fortes sur des mesures faibles. Les résultats expérimentaux ont confirmé ces prédictions. Ces expériences de mesure faible et les prédictions associées ont été suggérées par une
formalisation time-symmetric de la physique quantique (à
deux vecteurs d'état)
Voilà qui suggère fortement l'idée qu'à une échelle fondamentale, c'est la symétrie T (ET l'invariance de Lorentz) qui règne en maître. Moyennant quoi on gagne, en prime, la possibilité de conserver une interprétation réaliste du (double)vecteur d'état. Bon, faut lâcher du lest sur le principe de causalité et l'écoulement irréversible du temps... On ne peut pas tout avoir.