Bon, je suis un peu hors sujet car mon post n'évoque absolument pas les considérations de conscience (je préfère la physique parce que je la comprends mieux). Je réponds quand même car certains points évoqués (sans rapport avec la notion de conscience) m'intéressent.
Wooden Ali a écrit :L'impossibilité d'avoir une connaissance absolue (idée philosophique quasi religieuse et opérationnellement très faible) empêche d'avoir une représentation totale, absolue mais n'implique en rien l'inexistence d'une réalité indépendante de tout observateur.
Ce n'est pas l'impossibilité d'avoir une connaissance totale qui rentre en conflit avec nos convictions philosophiques. Ce qui rentre en conflit avec l'intuition que nous forge notre vécu (en tout cas pour moi), c'est le fait que les propriétés observées ne sont pas absolues (une idée philosophique de propriété absolue que je ne crois ni quasi-religieuse, ni même un peu opérationnelle mais tout simplement fausse). Pour ma part (et je ne pense pas être le seul) je suis convaincu de l'existence d'une "réalité extérieure indépendante de l'observateur". Par contre, les
propriétés de cette réalité dépendent de la façon dont les états microscopiques sont regroupés (de la même façon) en classes d'états macroscopiques.
Ces états macroscopiques (des groupes d'états microscopiques) sont à nos yeux un peu comme des groupes de chinois, de même taille, de même age et habillés de la même façon au yeux des européens par exemple. La où ça devient surprenant (et où l'analogie ne marche plus du tout), c'est que ce manque d'information est nécessaire...
...pour recueillir de l'information.
Par chance, il existe une très large classe d'observateurs (qualifiés de macroscopiques) attribuant les mêmes grandeurs macroscopiques aux mêmes états microscopiques (pourtant distincts). Du coup, "nous" attribuons les mêmes propriétés aux mêmes objets et aux mêmes phénomènes (un "nous" très large
qu'il faut décorréler, selon moi, de la notion de conscience et plus encore de présence sur les lieux du phénomène considéré. Dans cette discussion, cette notion de conscience ne fait qu'embrouiller une question déjà assez difficile sans rien y apporter).
On pourrait se dire : "soyons patients, le "problème" de "connaissance" des "propriétés" des objets et phénomènes observés finira par faire disparaître le socle sur lequel repose le processus d'enregistrement de ces propriétés : la notion de grandeur macroscopique (et la notion d'irréversibilité qui en découle). Or ce n'est pas possible. La notion d'état macroscopique (et les grandeurs macroscopiques qui leur sont associées) n'existe pas indépendamment des agents procédant au regroupement des états quantiques dans les classes d'équivalence correspondantes.
Le principe même d'attribution de propriétés aux objets et phénomènes observés nécessite de faire des observations, actions indissociables d'un enregistrement irréversible. Il consiste à stocker une information (pertinente à notre échelle d'observation) dans un bain thermique (dont l'état nous est inconnu. Si cet état était "connu", c'est à dire enregistré, cette information serait stockée dans une gigantesque quantité d'autres bains thermiques, dont l'état serait inconnu).
Wooden Ali a écrit :Le concept d'intersubjectivité implique d'ailleurs que "n'existe pas pour nous" n'est pas équivalent à "n'existe pas".
A mon sens, le concept d'objet ou phénomène qui existerait mais serait totalement inobservable, et ce depuis toujours et pour toujours (même indirectement, même plus tard, même par de simples traces), est métaphysique. Il sort du domaine de la science sans qu'il soit nécessaire de recourir au concept d'intersubjectivité pour l'affirmer.
Par contre, on peut envisager qu'un objet ou un phénomène
ne soit pas encore observable alors qu'il existe déjà. Dès que l'on peut faire référence à des enregistrements, même seulement observables après coup, attestant du phénomène en question, on peut envisager que ce phénomène existait avant qu'on ne le sache.
Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde sera d'accord là dessus dans tous les cas. L'interprétation des résultats de mesure faible est un bon exemple des controverses possibles à ce sujet. Les positivistes, par exemple (les Legett, Peres, Biltbol, Grinbaum...) refusent de considérer les résultats de mesure faible anticipant un résultat de mesure forte comme une preuve que le résultat d'une mesure quantique dite forte existait avant même que la mesure forte ne soit réalisée...mais au moins, on peut en débattre sans sortir de la physique puisque la discussion repose sur des faits d'observation, c'est à dire sur des informations enregistrées irréversiblement (qui plus est en évoquant des prédictions qui ont été vérifiées expérimentalement par les Aharonov, Albert, Lebowitz, Albert, Vaidmann...)
Wooden Ali a écrit :La MQ pose des problèmes d'interprétation, d'accord. Ces problèmes n'existent cependant que dans le domaine où elle s'applique et ne concernent que ceux qui l'utilisent.
En fait non. Le problème remonte à l'époque où les physiciens ont découvert que les lois de la physique étaient symétriques vis à vis de l'écoulement du temps. Le problème du chat de Schrödinger n'est pas décorrélé du problème qui a été abordé en son temps par Boltzmann avec son théorème H. Il s'agit du paradoxe de l'irréversibilité, la possibilité de faire apparaître des évolutions irréversibles et des résultats de mesure dans un univers dont les lois sont réversibles et où il n'y a donc jamais de mesure terminée parce que les évolutions des systèmes physiques sont hamiltoniennes, donc déterministes, réversibles et isentropiques. Les systèmes physiques ne sont jamais à l'équilibre à l'échelle microphysiques. C'est seulement à notre échelle qu'apparaît la notion d'état d'équilibre, des états "fixes" (nous semble-t-il) qui servent à enregistrer des informations, des situations dans lesquelles on peut dire (en raison de notre échelle d'observation) : "c'est fini" (la goutte d'encre s'est dissolue dans l'eau par exemple, etc, etc).
C'est la fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique qui fait émerger tant la notion d'enregistrement d'information que la notion d'écoulement irréversible du temps. Dans le théorème H de Boltzmann, cette fuite d'information se cache dans l'hypothèse dite du chaos moléculaire.
Il y a quand même une porte de sortie intéressante, une issue qui mérite d'être approfondie. C'est le travail d'Ilya Prigogine. Pour lui, l'irréversibilité est quasi-indépendante de la notion d'observateur puisque la plupart des évolutions sont régies par une dynamique du chaos déterministe, une dynamique ayant la propriété d'être imprédictible au bout de quelques fois le "temps de chaos" en raison de sa propriété de sensibilité aux conditions initiales (l'effet papillon).
Dès lors, on a beau recueillir de plus en plus d'information sur l'état initial du système, la quantité d'information requise pour prédire l'évolution (pourtant déterministe) du système croit exponentiellement en fonction du nombre de fois le temps de chaos auquel on veut obtenir cette prédiction.
Quand on raisonne, non plus sur une trajectoire du système considéré dans son espace de phase, mais sur un ensemble d'évolutions voisines et qu'on applique une modélisation probabiliste appropriée, on fait émerger une notion d'irréversibilité. Elle est indépendante de toute fuite d'information hors de portée d'une classe d'observateurs
particulière puisque l'information sur l'état initial requise pour une prédiction exacte
échappe à tout observateur au bout de quelques fois le temps de chaos quelque soit sa finesse d'observation. Bref, vu sous cet angle, il est assez tentant d'attribuer à l'irréversibilité (l'information manquante cause de l'irréversibilité) un caractère objectif...
...Et c'est ce que propose Prigogine.
Wooden Ali a écrit :Une mesure est une interaction. La plupart du temps, on s'arrange pour que cette interaction soit négligeable. Quand cela devient impossible (on ne peut observer une particule que par son interaction avec ... une autre particule), la notion classique de mesure devient caduque.
Tout à fait. En fait, elle devient caduque (au moins implicitement) dès que l'on entre dans le domaine de la physique statistique. Il n'est pas nécessaire de recourir à la physique quantique pour faire apparaître ces considérations. La physique quantique a seulement mis le problème en relief. Il s'est vu comme un nez au milieu de la figure. Mais le problème de la mesure, autrement dit le paradoxe de l'irréversibilité, était déjà identifié et posait déjà problème dès la fin du 19ème siècle, bien avant le chat de Schrödinger donc.
A mon sens, ce problème n'est pas encore vraiment résolu, mais c'est un problème qui peut (et doit) être abordé scientifiquement.