Le Huffington Post maghrébin a écrit :RELIGION - "Rjaâti ihoudi...nsrani...âala chouha" (Tu es devenu juif, chrétien...quelle honte), ce sont ces mots qui reviennent à l'emporte-pièce dans la bouche de l'entourage de ceux qui ont choisi une autre religion que l'islam. C'est le cas de Abdou, Badi et Moussa, qui se sont tournés vers le christianisme.
Ils prient en arabe comme certains de leurs compatriotes, sauf que leur livre sacré à eux, c'est la bible, qu'ils connaissent sur le bout de doigts.
Convertis au christianisme après avoir été musulmans pratiquants pendant plus de 20 ans, ils se définissent désormais comme des Marocains chrétiens évangéliques.
Il est 10 heures du matin, un lundi ensoleillé, dans le centre de Casablanca. Fadi, la quarantaine, se dirige vers ce café vide d'une rue très passante de la ville blanche, où il a visiblement ses habitudes. Il monte les escaliers d'un pas déterminé pour arriver à l'étage où deux de ses acolytes l'attendent. Assis sur un canapé, dans un coin discret, ils finissent d'engloutir leur petit déjeuner autour d'un thé à la menthe dans une ambiance joviale. Ils ne semblent pourtant pas tout à fait détendus, et restent à l'affût du moindre va et vient.
Ils parlent de leur expérience personnelle, plus à l'aise que lorsque nous les avions contactés par téléphone. Mais avant que Fadi se lance dans son récit sous l'oeil de son frère Abdou, Moussa tient à préciser une chose: "Sachez avant tout que nous ne sommes pas dans la révolte". C'est noté.
Comment se sont-ils connus? "Allah jamaâana" (Dieu nous a réunis), répond Fadi, en arabe dans le texte.
À chacun son histoire
"J'étais musulman pratiquant jusqu'à mes 18 ans. Un jour, j'écoutais à la radio une émission qui parlait de chrétienté et je me suis senti attiré vers cette religion. Du coup, j'ai commencé une correspondance. "Avec qui", tentons-nous? Le quadragénaire refuse de nous répondre.
Il en dit plus sur sont cheminement: "Après 4/5 ans, j'ai pris ma décision de devenir chrétien. Ça a été l'aboutissement d'un long processus personnel: tout sauf une décision facile", explique-t-il.
Comment sa famille a-t-elle réagi? Son entourage? Fadi a un léger mouvement de recul. À cette époque, dans les années 90, sa famille savait pour sa correspondance mais ne s'imaginait pas qu'elle allait aboutir à quoi que ce soit.
"Selon eux, soit je n'avais pas compris l'islam, soit j'étais motivé par un mariage pour gagner de l'argent avec une étrangère qui m'imposait la conversion, soit par un passeport pour émigrer". Or, j'ai décroché une licence en "charia islamique" avant de me pencher davantage sur la chrétienté, une quête que j'ai prolongée via un master en théologie chrétienne dans un pays du Moyen-Orient (qu'il refuse de citer, ndlr)", raconte-t-il d'un ton ferme.
Si ses parents et ses deux frères ont fini par accepter sa conversion et garder un contact avec lui, ce n'est pas le cas de ses beaux frères. "Les maris de mes soeurs ont menacé de m'assassiner", lâche-t-il au détour d'une phrase, sans vouloir s'y attarder davantage.
Coming out
Son frère, Abdou, un peu plus sur la réserve, commence par admettre après deux gorgées de café que sa conversion est liée à celle de son frère, même s'il s'y est opposé, au départ. "Enfin, pas vraiment", nuance-t-il.
Son premier contact avec la religion chrétienne s'est fait par hasard pour passer le temps, dans la maison de vacances familiale à la campagne où il "mourait d'ennui". Parmi une panoplie de livres religieux, une bible lui est tombée sous la main. C'est son frère qui l'avait laissée, à ce moment-là parti faire ses études au Moyen-Orient.
Plus tard, à son retour, Fadi fait son "coming out". Il le révèle à sa famille, Abdou s'en rappelle: "j'étais toujours musulman à l'époque". L'ambiance à la maison était chaotique, "comme si on était en temps de guerre", dit-il.
Abdou était alors du côté de sa famille, opposé à son frère. "On complotait pour essayer d'obliger Fadi à revenir dans le droit chemin" relate Abdou. En vain. Du coup, j'ai failli sur les recommandations d'un fqih voler à mon propre frère son passeport et le dénoncer aux autorités. Les beaux frères appartenaient à "chabiba islamiya", un mouvement islamiste conservateur, confie-t-il avant de baisser d'un ton. Un client du café vient de monter à l'étage.
"J'ai continué à me poser des questions qui se sont avérées de plus en plus entêtantes au jour le jour", poursuit Abdou. Mais ce n'est qu'en 2003 que le frère cadet a pris sa décision. Il ne la révèlera au grand jour qu'en 2006.