Cogite Stibon a écrit :
Avez-vous des exemples réels de religions au Québec qui serait dans une telle difficulté financière que l'abolition de l'exemption de taxes les contraindraient à fermer leurs lieux de culte ?
Non. Je ne défends pas cette mesure d'exemption générale en tant que telle (même si mon premier post le laissait penser, je m'étais mal exprimé et j'ai corrigé cette erreur par la suite). Simplement, je persiste à voir les religions comme un phénomène particulier. Je ne leur reconnais aucune légitimité pour ça, c'est un simple constat. Si vous n'êtes pas d'accord, ce que je peux tout à fait concevoir, pourriez-vous m'expliquer pour quelles raisons ?
Je vois, vous êtes du genre à céder aux caprices d'un enfant qui dépasse les bornes pour le faire taire. Personnellement, je serais plutôt d'avis de lui apprendre que dans la vie, on ne peut pas tout avoir, qu'il existe un monde autour de lui et que tout ne tourne pas autour de son petit nombril.
La question est : pourquoi céder ou ne pas céder aux désirs immédiats d'un enfant ? Il y a plusieurs motivations possibles, et personnellement j'en dégage deux principales : intérêt personnel et empathie. Donc, si je cède ce peut être par pitié ("oh kilémeugnon"), ce qui nous sommes d'accord ne mène pas bien loin mais n'est pas forcément mauvais en soi (sinon une opposition systématique aux désirs du gosse quels qu'ils soient serait une politique parentale valable - efficace peut-être, d'ailleurs, si on veut fabriquer un soldat ou un révolté agressif, mais passons) ou par intérêt ("il me casse les oreilles ce con, tiens le voilà ton AK47" ou dans une optique de marchandisation consciente des services "ok mais tu fais la vaisselle puisque je te donne de l'amour").
Si je m'y oppose, même dialectique, je peux imposer ma volonté par pur égoïsme ou en voyant à long terme, en ayant en tête son bien futur que j'estime pouvoir compenser les désagréments subis, pour lui apprendre la vie, effectivement, à réfréner ses désirs ou du moins à les contrôler dans leurs effets. Vous avancez cette dernière raison, mais ce pourrait aussi bien être l'expression socialement acceptable d'une réelle volonté de domination, lorsque l'on perçoit l'autre comme un ennemi ou avec un mépris de classe. Notez bien que je ne juge rien, ce n'est pas forcément votre cas, je parle d'une manière générale.
Cela nous mène au second problème : de quelle manière convient-il de voir la religion ? Je vous ai expliqué mon point de vue dans mon dernier post, et je précise une fois encore que je considère presque une appartenance à un culte comme un handicap. Lorsque j'ai été endoctriné depuis mon enfance par des dogmes catholiques, musulmans ou quoi que ce soit d'autre, il est difficile pour moi de jeter toutes ces influences d'un claquement des doigts, comme un habit sale, simplement en me disant "il n'existe aucune preuve concrète de l'existence de dieu, les religions sont un outil de contrôle des masses", etc (même si personnellement je sursois totalement à ce dernier point de vue). On pourra effectivement se dire que cette opération n'est pas impossible, que tout le monde doit faire face à des difficultés dans sa vie et que, quelque part, ceux qui n'ont pas réussi à se détacher de leur religion (voire qui en ont rejoint une en chemin), que ces esprits faibles ne méritent pas les efforts que l'on pourrait faire pour eux (je pars du principe, au vu de votre réponse que je cite et du ton employé, que c'est, quelque part, votre point de vue ; si ce n'est pas le cas, je vous remercierai de m'éclairer sur ce dernier). Sauf que d'une part la notion de mérite est pour moi un parfait non-sens d'un point de vue systémique (encore faut-il se demander ce que l'on donne comme but à l'humanité, mais je m'égare), et que de l'autre il faut voir les conséquences d'une telle considération antagoniste du rapport humain, qui est par ailleurs tout à fait défendable et que je ne juge pas plus que n'importe quelle autre.
Cependant, comme dans le cas de l'enfant à qui on refuse un caprice, les motivations importent pour l'analyse et la décision, et il convient de les dégager avec précision. Le fait de refuser des avantages ou des dispositions spéciales aux croyants peut-il, selon vous, conduire quelqu'un à abandonner sa foi ou en tous cas à la questionner d'un point de vue pratique ? (Notons que je ne m'intéresse plus ici spécifiquement au problème de l'exemption de taxes, au sujet duquel j'ai exprimé mon point de vue plus haut, et que je parle encore d'une manière générale.) En réalité, je crains que la manière dont vous voyez une religion diffère de la mienne. Je considère avant tout les individus qui en font partie et qui la constituent en tant que formation. Certes, ces mêmes individus voient leur religion comme une institution quasi tangible, et personnalisent les représentations qu'ils s'en font. C'est également ce que vous faites, j'ai l'impression. Il me semble que vous considérez le problème à travers le spectre d'une lutte d'entités distinctes (laïcité/République et religions), et c'est effectivement un aspect des choses. Cependant, et c'est l'essence de mon discours depuis le début, circonvenir par la force (pas forcément physique, mais par le biais de lois ou de manière générale à travers un comportement déterminé agressif que l'on adopte à l'égard de l'autre) ne fonctionne durablement que si l'on s'assure, soit de se débarrasser définitivement du problème (éradication
manu militari ou maintien sous menace permanente, et la première de ces solutions me semble certes nécessaire dans certains cas, la seconde étant fortement instable), soit que le dominé (au niveau individuel) fasse finalement sienne les conceptions fondamentales que le dominant cherche à lui imposer (ou enseigner, ce qui arrive au bout du compte dans une relation parents/enfant "réussie"). Ce dernier phénomène, valable pour un enfant, me semble illusoire en ce qui concerne la religion. Il est très complexe de parvenir à un changement profond du paradigme religieux, celui qui menace la laïcité en se considérant justement comme une entité ennemie de celle-ci, sans exacerber les antagonismes ni passer par une solution de force, certes efficace mais questionnable. En effet, si l'individu seul peut changer d'avis sans trop de mal (encore que, vous connaissez comme moi les biais intellectuels dont nous sommes victimes), c'est beaucoup moins le cas d'une institution qui tire précisément sa force et son être même de l'idée qu'elle défend et par laquelle elle s'est initialement définie (cette définition par la croyance est présente également au niveau de l'individu isolé, mais à un niveau moindre en général ; cependant, l'importance de ce phénomène croît avec la taille du groupe social).
Par ailleurs, une religion plutôt initialement neutre à l'égard de la république pourra passer à l'opposition si elle considère que celle-ci a fait le premier pas dans ce sens ; c'est dans cette optique que je conteste une politique de confrontation systématique ; en se montrant trop laxiste envers les religions, on peut certes favoriser leur pouvoir et nourrir leur envie de grandeurs, tout comme en essayant de les "éradiquer pacifiquement", quoi qu'on puisse penser de la légitimité d'une telle campagne, on s'expose à des conséquences du même type.
On peut certes débattre de moyens alternatifs pour concilier pratique de la religion, république et égalité autant-que-faire-se-peut.