Premier point important, l'ambiguïté du mot hypnose. C'est un terme qui définit, selon le contexte, un état, les techniques pour provoquer cet état, ou l'utilisation qui peut-être fait de cet état. Pour des raisons de simplicités, j'utiliserai le mot hypnose pour parler de l'état, le mot hypnotisme pour parler des techniques, et enfin je spécifierai un terme précis pour les utilisations (essentiellement "hypnothérapie" et "hypnose de spectacle").
Les limites sceptiques de la définition classique
Aujourd'hui la plupart des gens pratiquant l'hypnotisme se rallie à l'expression État modifié de conscience (EMC). Si cela peut se justifier, cela n'éclaire pas nécessairement sur ce que c'est et cela pose la question de ce qui est désigné par "conscience". Est-ce que c'est un terme qui s'oppose à "inconscient", auquel cas il existe de multiples EMC (comme l'état d'ébriété ou plein d'autres choses)? Est-ce que cela la désigne la Conscience avec un C majuscule, auquel cas ça nous devons en plus définir conscience? Et les sceptiques savent bien que dès qu'on met un C majuscule à conscience, c'est le début des dérives mystiques (et des dérives mystiques, en hypnotisme, il y en a).
Il est très souvent aussi fait mention d'une dissociation entre conscient et inconscient en état d'hypnose. Mais les concepts d'inconscients qui sont alors invoqués sont tout à fait dans la lignée freudienne (même si l'inconscient tel que le voit Érickson est moins conflictuel et bien plus aidant). En fait, historiquement c'est même l'inverse puisque Freud a étudier auprès de célèbres médecins hypnotistes du XIXème siècle et que la psychanalyse prend racine dans l'hypnothérapie. À écouter certains hypnothérapeute, l'inconscient serait quasiment une personnalité autonome qui saurait mieux certaines choses que le conscient. Cette position est notamment défendu dans la littérature du siècle dernier avec l'aide des troubles de la personnalité multiple (des expressions de l'inconscient, donc).
Ainsi, si en hypnose de spectacle je colle les pieds au sol d'un spectateur, ce serait son inconscient qui bloquerait la demande du conscient de lever le pied. En hypnothérapie éricksonienne, si une personne fume, par exemple, c'est parce que son inconscient pense que c'est la meilleure façon de faire face à un problème qui n'est pas nécessairement connu ou identifié par le conscient.
Le problème, c'est que cette conception de l'inconscient ne semble pas, en l'état actuel de mes recherches, avoir de grands fondements neurologiques. S'il existe clairement des processus cérébraux inconscient et autonome, on est clairement pas dans une personnalité autonome ou semi-autonome. Il s'agit d'un modèle de pensée au mieux, mais je n'ai vu aucun auteur ou aucun professeur étayer sa position à l'aide d'études sérieuses sur l'inconscient.
Hypnose état ou hypnose non-état
C'est le grand débat scientifique de la fin du XXème siècle sur l'hypnose, débat qui n'est absolument pas présent chez ceux qui pratiquent l'hypnose. Est-ce que l'hypnose est un état, c'est à dire une activité cérébrale spécifique propre à l'hypnose? Sinon n'est-elle que la conséquence d'un certain dispositif social qui laisse penser à la personne qu'elle doit faire telle ou telle chose (soumission librement consentie par exemple)?
Pour ma part, les travaux en neuroscience que j'ai pu lire me laissent penser qu'il existe un état spécifique. Le Docteur Rainville de Montréal, par exemple, à beaucoup étudié les anesthésies sous hypnose et il existe quelque études intéressantes sur les paralysies induites (Corgan, 2009, notamment). Mais je crois de plus en plus que cet état est provoquée par un contexte psycho-social: la personne entre en état d'hypnose parce qu'elle croit que c'est ce qui doit se passer. Je n'ai malheureusement aucune étude pour soutenir mon point de vue, même si cette idée d'une position mixte existe, elle n'est pas étayée expérimentalement. Je n'ai donc que mon expérience personnelle qui ne peut servir de preuve car elle court le risque d'être entaché par un biais de confirmation.
Il y a aussi des parallèles intéressants qui sont menés entre les transes hypnotiques et les transes vécues lors de cérémonies religieuses, avec des activations des mêmes zones cérébrales. Il semblerait aussi que l'état cérébral relié à l'hypnose n'est pas de rapport direct avec celui relié à la méditation (il n'en reste pas moins que les personnes qui pratiquent assidûment la méditation sont des personnes que j'ai beaucoup de faciliter à hypnotiser).
Hypnose classique, éricksonienne ou autre, les querelles de clocher
On va tout de suite écarter les illustres ancêtres de l'hypnose, les sieurs Frantz-Anton Mesmer et Armand Marie Jacques de Chastenet de Puységur. Quiconque de sérieux qui s'intéresse à ce que ces personnes faisaient vraiment n'a aucune envie d'être associé à eux.
L'hypnose directe, ou classique, c'est l'idée de faire des suggestions directes (des injonctions) à une personne passive en état de transe hypnotique. C'est celle qui s'est développé majoritairement à la fin du XIXème siècle et pendant la première moitié du XXème siècle. On peut éventuellement poser des questions précises à l'individu pour l'amener à répondre ou à agir d'une certaine façon, mais la personne reste "sous le contrôle" de l'hypnotiste.
Milton Érickson a changé les façons de faire en proposant une participation plus active à l'hypnotisé, en lui demandant des rétroactions, en lui laissant plus de latitude pour réagir. Ses structures de phrase étaient aussi plus permissives en apparence. Quoi qu'en disent certaines personnes aujourd'hui il était néanmoins tout à fait autoritaire dans certaines séances. Une chose qui est souvent perdue de vu sur lui. c'est qu'on a beaucoup étudié sa façon de faire à la fin de sa carrière, lorsqu'il était une sommité. Les gens qui le rencontraient savaient qui il était. Et ça c'est un élément qui conférait beaucoup d'autorité à Erickson sans qu'il ait besoin de l'affirmer. C'est aussi un élément qu'on peut mettre en lien avec l'hypothèse d'un facteur psycho-social.
L'hypnose dite éricksonienne n'a pas été développée par Milton Érickson, étonnant non... Les fondateurs de la PNL ont cherché à modéliser les structures de langage de Milton Érickson et on en déduit, tout à fait arbitrairement, que c'est ce qui permettait à Érickson d'être si efficace. Autant vous dire que mon cher effet psychocial de l'autorité morale d'Érickson n'est même envisagé. Aujourd'hui tout le courant des écoles d'hypnose éricksonienne se fonde sur la PNL et ce "Milton model".Autant dire qu'en tant que sceptique, j'ai un peu de mal avec le concept initial. Mon gros problème aussi, c'est que le gens de ce courant ont tendance à mélanger tout ce qui est de l'ordre de la suggestion, ou de la persuasion, avec de l'hypnotisme. Sans autre preuve que des validations circulaires bien sûr. Exemple de ce type d'affirmation: Hitler aurait utilisé des techniques d'hypnose.

Évidemment chaque praticien revendique sa technique comme étant la plus efficace, la plus "écologique" pour le client, etc... Depuis on a vu toute sorte de variation plus ou moins douteuse apparaître, hypnose humaniste, hypnose fondamentale ou même hypnose entero-cérébrale (toute avec un copyright derrière bien sûr).
Les effets réels de l'hypnose
Et bien honnêtement on n'en sait pas tant que ça. Il y a des preuves expérimentales intéressantes concernant les anesthésies et les paralysies, mais la plupart des autres phénomènes semblent peu ou pas étudiés. L'hypnose de spectacle, si méprisée par nombre de thérapeute, n'a jamais fait l'objet de véritables investigations scientifiques. Alors bien sûr quand j'hypnotise quelqu'un dans la rue et que je lui fais oublié son prénom en quelques minutes, il se passe quelque chose... Mais quoi. Difficile à dire. En tous cas la personne semble vraiment avoir oublié son prénom.
L'hypnothérapie elle-même ne dispose pas de données fiables sur son efficacité (non, l'article d'Alfred Barrios, cité occasionnellement par des hypnothérapeutes, n'est pas une source sérieuse). Il est vrai que la mise en place d'un contrôle d'efficacité sur une psychothérapie est toujours complexe. Si quelqu'un va faire de l'hypnose pour perdre du poids, il y aura sûrement d'autres facteurs qui vont l'influencer dans la réussite ou non de la psychothérapie (soucis de santé, environnement familiale, etc...). Certaines personnes arrêtent de fumer du jour au lendemain avec une séance d'hypnose, mais quelle proportion? On en sait rien. D'ailleurs certaines personnes y arrivent aussi sans hypnose et sans aide...
L'hypnothérapie peut être efficace pour quatre raisons:
- Les mots et les actes de l'hypnothérapeute nous permettent de puiser dans nos ressources inconscientes pour faire face au problème,
- L'état d'hypnose nous permet effectivement de puiser dans des ressources inconscientes, sans l'intervention de qui que ce soit, l'hypnothérapeute pourrait alors nous réciter une recette de pâte à crêpe, cela ne changerait rien (coucou neuneu),
- Le fait de croire aux effets de l'hypnose suffit à nous aider à mobiliser les ressources sans que cet état soit vraiment impliqué,
- Le simple fait de parler de ses problèmes à une oreille attentive fait du bien, alors la séance d'hypnose qui suit n'a en fait aucun effet.
Aujourd'hui je ne dispose d'aucune donnée expérimentale qui me permette de privilégié l'une ou l'autre de cette hypothèse. Empiriquement, je me situe entre la première et la deuxième position, dépendant des situations. Mais encore une fois, mon expérience personnelle n'a pas une grande valeur scientifique.
Quelques mythes sur l'hypnose
- L'hypnose permet de se souvenir d'événement précis du passé. Non. L'hypnose permet d'accéder à des souvenirs, mais la subjectivité de ceux-ci reste complète. Impossible de faire le tri facilement entre vrai et faux souvenir.
- L'hypnose donne des pouvoirs. Non. L'hypnose ne permet rien de faire de plus que normalement. Il peut éventuellement faire sauter certaines limitations psychologiques, mais si vous pouvez faire la "planche" entre deux chaises en état d'hypnose, vous pouvez la faire sans être en transe.
- En état d'hypnose, on ne peut rien faire contre ses valeurs. Ah ah... En fait, on fait souvent des choses contre nos valeurs, notre volonté, dans la vie, sans état d'hypnose. Alors l'hypnose ne le permet probablement pas plus que la vraie vie. Il y a des expériences contradictoires sur le potentiel d'un individu hypnotisé à commettre un acte dangereux pour lui ou pour un autre, mais toute ces expériences ont été menée avant les années 60 et leur méthodologie, quand elles sont disponibles, sont contestables. L'hypothèse la plus intéressante que j'ai lu à ce propos est que le sujet agit généralement en conformité avec les attentes de l'expérimentateur (Estabrook, 1959).
- Enfin, non Derren Brown n'utilise pas l'hypnose cachée pour payer avec du papier... C'est un magicien, un homme de spectacle, il y a des trucs.
Vous m'avez lu, jusque là? Merci. J'espère que vous aurez des commentaires, des réflexions des hypothèses... L'aspect de ce qui rend efficace une séance d'hypnothérapie est clairement un de mes axes de réflexion principaux.