Ni Guaido ni Maduro:
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Chers amis,
Les medias donnent ces jours-ci une grande couverture au Venezuela, où il y a deux présidents : Nicolás Maduro et Juan Guaidó. La France, ainsi que plusieurs pays européens ont choisi de reconnaître Guaidó. L’affaire suscite polémique, mais rares sont les analyses de la situation au Venezuela. Avec la condescendance habituelle vis-à-vis de l’Amérique latine, si on est de droite on est pour Guaidó et si on est de gauche, on est pour Maduro, sans trop s’embarrasser de détails.
Ayant séjourné dans ce pays pendant dix-huit mois en 2016 et 2017, j’aimerais vous faire part de quelques faits et commentaires personnels afin d’étoffer la réflexion et de sortir des clichés droite-gauche qui hélas contaminent trop souvent la discussion politique sur l’Amérique latine.
Faits anciens
Pendant longtemps, le Venezuela a été un pays béni des dieux, une grande production pétrolière lui garantissait un confortable PNB. L’abondance permettait à certains un comportement de nouveaux riches notoire. On attribuait aux Vénézuéliens voyageant à Miami la phrase :« ‘tá barato, dame dos », soit « C’est pas cher, donne-moi en deux », tel un leitmotiv. Pendant ces années d’argent facile et d’insouciance deux partis politiques se partageaient le pouvoir politique Acción Democrática (AD / de centre gauche) et COPEI (centre droit / démocrate-chrétien).
Il y avait certes des classes populaires moins opulentes, mais le système a pris longtemps avant de montrer des failles. Une des premières craquelures fut la révolte de 1989 appelée « El Caracazo ». Suite à une augmentation du prix de l’essence, les quartiers populaires ont mis à sac Caracas et la répression a causé plusieurs centaines de morts. Ensuite, en 1992, le lieutenant-colonel Hugo Chávez tenta des coups d’état à deux reprises, sans succès et finit deux ans en prison. Néanmoins, il en gagna une grande popularité. Sorti de prison, il crée un parti politique de tendance socialiste, le Mouvement de la Cinquième République (MVR) qui attire les mécontents fatigués de l’alternance AD/COPEI. En 1999, il est élu Président de la République. Il le restera jusqu’à sa mort en 2013 en se faisant réélire régulièrement. Il n’y a pas lieu de s’étendre ici sur les réalisations heureuses, les échecs et les péripéties de ce personnage haut en couleurs.
On peut retenir que les deux principaux soutiens du chavisme ont été le prix élevé du pétrole (frôlant les US$ 150 en 2008) et la personnalité d’Hugo Chávez.
Politique d’opérette
En 2013, Chávez meurt en désignant Nicolás Maduro comme successeur. Ce dernier se fait élire, mais de justesse. Il hérite d’un prix du pétrole très bas et pour compliquer sa situation, le Parlement élu en décembre 2015 est à majorité d’opposition (56% des voix et 112/167 sièges).
Depuis l’élection de ce Parlement d’opposition, la vie politique vénézuélienne se limite aux tentatives de l’opposition de renverser le gouvernement et du gouvernement de neutraliser l’opposition. C’est une succession de faits politiques d’opérette joués par les uns et par les autres, sans grandes réalisations concrètes tant la bataille politicienne est tout ce qui compte.
Début 2016, ce nouveau Parlement veut faire passer une loi écourtant le mandat présidentiel de six à quatre ans. La Cour Suprême n’objecte pas le projet, mais signale qu’un tel changement ne pourrait intervenir qu’après la fin du mandat de Maduro. Objection légale justifiée : on ne change pas les règles au milieu du jeu et Maduro a été élu pour six ans. Face à cet échec l’opposition retire son projet, mettant ainsi en évidence que son seul désir de se débarrasser de Maduro. Aucune réflexion constitutionnelle derrière ce projet de la droite !
Très vite après les premières séances, la Cour Suprême conteste la légalité de l’élection de trois députés et décrète donc le Parlement « en desacato », c’est-à-dire en désobéissance avec la loi. Les 55 députés chavistes cessent définitivement de siéger, même si élus.
L’opposition lance alors un referendum révocatoire contre le Président utilisant un article de la Constitution qui prévoit un vote populaire révocatoire du Président si un 20 % des électeurs le demande. L’opposition a récolté dans les temps les signatures nécessaires, mais le Conseil électoral, en janvier 2017, invalide tout le processus argumentant que certaines signatures étaient frauduleuses.
Le Gouvernement annonce l’élection d’une Assemblée Nationale Constituante (ANC) en juin 2017. L’opposition l’objecte argumentant que le législatif appartient au Parlement élu. L’opposition organise en réponse un plébiscite contre cette ANC. Ce plébiscite ne peut se baser sur les registres électoraux, mais sur simple présentation de la carte d’identité. Il obtient plus de sept millions de suffrages.
Le Gouvernement fait quand même élire l’ANC le 30 juillet avec un nouveau système électoral apparemment entâché de quelques irrégularités. Tous les députés de l’ANC sont chavistes.
En mai 2018, donc six mois avant la date prévue, Nicolas Maduro se fait réélire avec 68 % des voix, mais seulement 46% de participation. Il n’y avait pas de gros ténor de l’opposition en lice. Certains candidats de l’opposition ont été empêchés de se présenter, d’autres n’ont pas voulu.
Nous avons donc un Parlement qui ne vote pas de lois, et où la minorité chaviste a cessé de siéger. A côté il y a une Assemblée Nationale Constituante, constituée exclusivement de chavistes, qui ne prépare pas de Constitution, mais dit avoir le pouvoir législatif. Il y a des votes et des plébiscites organisés par les uns ou par les autres et qui ne sont pas reconnus par ceux qui ont refusé de participer… Doit-on dès lors s’étonner d’avoir aujourd’hui deux présidents ?
Le choix de l’Europe et les forces en présence
Le Parlement est acquis à l’opposition au Gouvernement. La Cour Suprême et le Conseil électoral sont acquis au Gouvernement.
Surtout et avant tout l’Armée est acquise au Gouvernement. Chávez a fait le ménage et a viré ou mis à la retraite tous ceux qui auraient pu lui faire de l’ombre. Les officiers de grade supérieur ont de très bons salaires. Ils peuvent en outre acheter des dollars à un prix très faible et très probablement ils les revendent au noir (gain parfois de un pour mille).
Guaidó n’a que la droite traditionnelle et les Etats-Unis comme soutien. Il profite donc en ce début 2019, à grand renfort de médias, de mobiliser ceux qui pourraient à niveau international soutenir sa cause. Ses manifestations monstres mobilisent surtout des classes moyennes. Les « barrios » ou quartiers populaires ne se joignent pas. Ils ne sont pas pour autant tous acquis à Maduro, loin s’en faut. Mais ils n’ont pas confiance en la vieille droite et centre-droit traditionnels.
Internationalement, Cuba est un soutien inconditionnel du Gouvernement. Il y a des milliers de Cubains qui travaillent dans les Ministères, les dispensaires de santé, etc. Le Venezuela en échange donne une partie de son pétrole à Cuba.
Pourquoi dans ce capharnaüm la France choisit son camp ? N’aurait-elle pas eu intérêt à se profiler comme intermédiaire ? Pourquoi des présidents français (Chirac mis à part) s’alignent à ce point avec les Etats-Unis ? De Gaulle est bien loin hélas !
La crise économique et l’aide humanitaire
Les hôpitaux sont dans des conditions lamentables. Les médicaments manquent, surtout ceux nécessaires à traiter des maladies chroniques (diabète, hypertension, etc.). L’équipement des hôpitaux n’est plus entretenu, appareils pour dialyse, rayons X, etc. sont souvent endommagés.
L’agriculture a été souvent délaissée au Venezuela, puisque le dieu pétrole pouvait tout payer. Des spécialistes disent que pour avoir une agriculture vraiment productive au Venezuela, il faudrait au moins trois ans.
La production pétrolière elle-même a diminué. En effet, les ingénieurs qui ne prêtaient pas serment de fidélité au chavisme ont été limogés, la machinerie est souvent en panne, la production s’en trouve grippée. Qui plus est une partie du pétrole est vendue au rabais ou donnée à des pays alliés dans les Caraïbes afin d’avoir des voix favorables au Venezuela à l’ONU et à l’Organisation des Etats Américains.
Enfin la mauvaise gestion et la spéculation entretenue par le grand capital ont tué le bolivar avec des taux d’inflation sidéraux.
Une aide humanitaire serait donc bienvenue. MAIS jusqu’à maintenant elle fait partie d’un jeu politique de l’opposition. En 2016, Caritas avec la Croix-Rouge chilienne avaient récolté, à grand renfort de publicité anti-chaviste, des médicaments et vivres pour le peuple vénézuélien. Le tout est resté bloqué à la frontière et n’est jamais entré.
Ce fut la répétition générale de ce que font actuellement Guaidó et Trump.
Interventions ou guerres : toutes possibles, toutes désastreuses
Un dénouement guerrier pourrait venir d’une intervention de Donald Trump au Venezuela pour renverser Maduro. Bien qu’improbable, ce n’est pas à exclure à 100%, tant le fantasque habitant de la Maison Blanche est imprévisible. Inutile de préciser que cette intervention militaire serait couronnée de succès militaire, mais verrait apparaître une guérilla de résistance, déstabiliserait la région pour des décennies et augmenterait la haine anti-américaine en Amérique latine, à un niveau jamais atteint.
La deuxième solution guerrière pourrait venir de Colombie, pays voisin et ennemi traditionnel du Venezuela, au même titre que le Portugal n’aime pas l’Espagne ou l’Irlande n’aime pas l’Angleterre. Pour l’instant les choses sont calmes, mais, ces dernières années, les relations se sont tendues à plusieurs reprises entre les deux pays. Maduro de plus en plus acculé et Duque en Colombie, qui ne cache pas ses sympathies pour l’extrême-droite, pourraient venir à s’affronter. Il faudrait néanmoins des faits nouveaux, des provocations, une escalade, etc.
Si un tel conflit international surgissait ce serait une méga-catastrophe. Les deux armées étant puissantes. Pour les Etats-Unis, cette solution serait plus pratique car ils n’auraient pas à envoyer de troupes sur le terrain. Ils se limiteraient à donner un soutien absolu à la Colombie. Le Venezuela compterait sur Cuba, la sympathie de gauche mondiale, peut-être sur l’appui de la guérrilla colombienne. Mais quel que soit le résultat militaire, cette guerre serait un Iran-Irak à la sauce latino-américaine. Un désastre.
La troisième option militaire viendrait de la frontière Est, avec une guerre contre la Guyana. Depuis de longues années le Venezuela revendique l’annexion du 80% du territoire guyanais. Ce conflit est moins probable, mais qui sait ? Est-ce qu’un Maduro aux abois lancerait cette expédition stupide, de même que Galtieri en Argentine s’est lancé contre les Iles Malouines en 1982 ?
Si tel était le cas, on verrait certainement les grandes puissances venir appuyer la Guyana.
Conclusion :
Guaidó et aide humanitaire sont des miroirs aux alouettes. La solution ne viendra pas de là. Encore moins s’il faut des GI des Etats-Unis pour imposer cette « solution ».
Il faudrait qu’enfin les responsables politiques arrêtent de jouer ce mauvais vaudeville, mais s’assoient ensemble. Les Parlementaires sont faits pour « parlementer » et faire des lois. La discussion entre diverses formations politiques est à la base de la démocratie. Le Gouvernement est fait pour gouverner et non lancer des slogans.
Il faudrait aussi recréer une économie au Venezuela. Il faut que tous les Vénézuéliens arrêtent de penser qu’il suffit de vendre du pétrole et d’acheter la terre entière avec la rente pétrolière. Le chemin sera long et dur, mais il n’y a pas d’autre solution.
Enfin, il faudrait que l’Occident considère l’Amérique latine comme un vrai partenaire et non pas comme un continent amusant où on teste des schémas politiques, voire des opérations militaires.