Jean-Francois a écrit : 06 juin 2019, 17:54
Ce que je comprends de la première partie de votre message est que Laureys dit qu'ils ne vivent pas la même chose que nous, que l'intensité de l'activité consciente est beaucoup plus faible.
Je pense que vous avez bien compris. Il est réducteur de dire que c'est simplement plus faible. Il y a bien une notion d'intensité inférieure mais je pense qu'il y a également une modification qualitative de l'expérience subjective.
Pour parler de qualias, je pense qu'on ne peut pas se représenter ce que Monsieur Lambert vit si on n'a pas fait des exercices de méditation très intense, permettant d'arriver à la même activité neuronale que Vincent.
C'est sûr que la problème est difficile: même si quelqu'un dans un état végétatif (ou un coma profond) persistant conserve une capacité introspective minimale, que produit-elle subjectivement parlant? Si c'est pour avoir l'équivalent d'une conscience de poisson rouge dans un corps d'humain paralysé, quelqu'un gagne-t-il quelque chose si l'organisme est maintenu en vie? Peut-être est-ce important pour certains proches?
Vous noterez qu'il existe une différence entre l'état végétatif et l'état de conscience minimale (ce dernier étant plus intense). C'est d'ailleurs ce qui fait dire à l'équipe belge qu'il perçoit la douleur et les émotions. Et je pense que les personnes qui vont statuer sur la suite de ce monsieur ne doit jamais oublier cela : il a une réelle vie subjective dont on devrait bien se garder d'avoir un avis d'importance dessus.
C'est d'ailleurs assez rigolo de parler de "minimale". C'est comme si on fixait une borne sur l'état de conscience.
Si on s'en réfère à la théorie de l'information (T2I), il n'y a pas de conscience minimale à ce niveau-là. La question du minimal est purement subjective et arbitraire.
Comment définir que l'état végétatif, lui, ne présente pas de conscience...
Tout cela en référence au modèle de la conscience de Stanislas Dehaene...
Vous demandez ce qu'elle produit subjectivement. Elle produit ce que Matthieu Ricard et les moines bouddhistes vont appeler le vide conscient. Vous m'excuserez pour le terme car ce n'est pas celui-là qui officie dans la philosophie bouddhiste...
ces moines arrivent à se mettre dans un état de conscience minimale.
Il rapporte de leur expérience subjective une expérience ineffable qui n'est pas sans rappeler les expériences de mort imminente (je dire par là le côté ineffable de l'expérience, trop différent de ce que l'on connaît pour pouvoir y mettre dessus).
On peut résumer cette expérience en expliquant la neutralité. Il y a tellement d'afférences perceptives (il se coupe du monde) que l'état émotionnel est vide. Cela paix intérieur absolu, le nirvana pour reprendre leurs expressions.
Tous les bouddhistes cherchent cet état toute leur vie, le Graal en quelque sorte.
Impressionnant de voir la différence de civilisation et de culture ce qui est du but de la vie ;-)
Dans ce cadre, ce paradigme psychologique, il est évident que Matthieu Ricard va exprimer le fait que cet état est digne de la vie. Je pense que pour lui, la vie de Vincent vaut la peine d'être vécue.
La notion de neutralité reste la plus compliquée pour moi. Si ce que je vis ne me fais absolument rien sur le plan émotionnel (ni plaisir ni souffrance), vais-je vouloir me maintenir en vie?
Dans l'absolu, je dirais oui car si je ne souffre pas, où est le problème? La question de vouloir rester en vie est crucial ici. Car "vouloir" nécessite un minimum d'élaboration intellectuelle & émotionnelle. Et cela reste une énigme pour Monsieur Lambert...
Il paraît que les embryons se débattent pour ne pas se faire détruire lors d'un avortement... pulsions de vie obliges... il n'y a pas besoin de conscience élaborée pour cela visiblement...
Si vous vous demandez si quelqu'un a à y gagner à avoir une conscience de poisson rouge dans un corps d'humain paralysé, vous faites une comparaison qui ne me semble pas bien bonne. Le fait qu'il soit paralysé... je n'en doute pas. Ce dont je doute, c'est l'équivalence de conscience entre celle de Vincent et celle du poisson rouge...
comment comparer?
Pour les proches, c'est différent dans la mesure où ils ont une conscience normale. Ils doivent souffrir du deuil à faire de ce qu'était Vincent Lambert avant.
Personnellement, je pense que personne n'y gagne vraiment. En fait, si
Vincent Lambert est minimalement conscient au point d'être capable d'envisager son état, il doit possiblement haïr l'idée de passer encore 10-30 ans de sa vie à se laisser tripoter sans pouvoir rien faire. En tout cas, ça me fait froid dans le dos l'idée de passer de 40 ans de civière au cimetière sans avoir pu bouger un muscle de manière volontaire ou communiquer avec quiconque.
Jean-François
Je ne pense pas que l'état mental de Monsieur Lambert lui permette d'envisager son état. Cela ferait appel à des capacités métacognitives dont je pense il est dépourvu.
Quant à sa capacité à avoir des projections sur l'avenir... je trouve que vous lui attribuez des compétences mentales bien supérieures à ceux dont il est capable.
Mais il est vrai qu'il est difficile de se représenter comment est ce mental.
Si l'on s'en réfère aux études sur le locked-in syndrome, études sur le sentiment de bien-être et de qualité de vie, on sera étonné des résultats contre intuitifs qui expliquent ces personnes aiment leur vie et se sentent bien (du moins pas plus mal que la population normale).
Ça peut faire froid dans le dos à l'imaginer car notre imaginaire projette ce qu'on pourrait être au travers de notre conscience actuelle, ce qui est un biais dans le raisonnement.
En réalité, vous, moi, ou quiconque... serait peut-être pas plus mal dans cette existence. J'entends bien que c'est difficile à se représenter mais c'est fort possible.