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par Carabistouille » 22 juin 2020, 11:33
Bonjour à tous,
J'ai parcouru ce sujet avec un grand intérêt.
Je suis végétaRien depuis environ 15 ans. Pour diverses raisons, mais ce qui m'a motivé en premier, historiquement, est que j'ai été sensible à la souffrance animale. Ou plutôt "j'ai été sensible à ce que je percevais comme étant de la souffrance animale" (j'y reviendrai ci-dessous).
En effet, j'ai fait de l'élevage de cochon durant 3 ans. Dans un petite exploitation familiale, entre 6 et 8 cochons par an, élevé en plein air, nourris avec des céréales locales et des légumes racines qui nous produisions dans ce but. Alimentation complétée par le petit-lait issu de notre production fromagère. Le fait de s'occuper avec soin de ces animaux pendant des mois, pour ensuite les amener à l'abattoir, puis transformer leur chair en produits destinés à la vente (et à notre propre consommation également), a initié mes réflexions sur le végétarisme. Nullement aujourd'hui je cherche à convaincre les gens à adopter ce régime qui me convient. Voilà pour ma présentation.
Plusieurs choses me posent encore question aujourd'hui. Ce sont des questions sincères, je n'ai pas pour but de provoquer, de faire l'avocat du diable ou je ne sais quoi.
1) On parle régulièrement des émotions des animaux. Or, si selon les éthologues et biologistes, il semble assez établi que les vertébrés dans leur ensemble aient des émotions, j'ai plutôt l'impression qu'on ne va par exemple pas parler de la "tristesse" d'un chien, mais qu'on reste assez prudent et qu'on préfère dire "tout se passe comme si ce chien manifestait de la tristesse". C'est-à-dire qu'on évite de projeter nos ressentis humains sur des espèces qui sont différentes de nous. Et je rappelle que "animaux", est un règne qui comporte énormément d'espèces bien différentes les unes des autres, et que les vertébrés en sont juste un sous-embranchement. Qu'en est-il des émotions d'un oursin ou d'une mouche ? La question reste pour l'instant sans réponse, me semble-t-il.
2) On parle facilement de "souffrance animale". Or quand on travaille dans le milieu médical, on apprend que la souffrance est subjective. On ne peut uniquement se fier à des signes extérieurs pour estimer à quel point l'individu souffre. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons différentes échelles d'auto-évaluations de la douleur qui viennent compléter les échelles d'hétéro-évaluation. J'ai connu des personnes qui hurlaient de douleur au simple contact physique, et d'autres qui semblaient assez impassible avec une fracture ouverte du tibia, des personnes qui semblaient impassible et qui s'auto-évaluaient en haut de l'échelle de douleur (ceci est un simple témoignage personnel, qui me sert juste d'illustration. J'ai bien conscience que ce n'est pas un argument). Si on admet que la souffrance au sein de la même espèce est une notion éminemment subjective, quid de la souffrance animale ? Comment "quantifier", "estimer", cette souffrance ? Est-elle différente selon les espèces animales ? Et comme précédemment : quid de la souffrance d'un oursin, de la souffrance d'une mouche ?
3) De ces deux points ci-dessus, émerge alors le questionnement suivant : lorsqu'on brandit l'argument de la souffrance animale, ne sommes-nous pas en train de croire que l'on sait, plutôt que de se poser des questions qui nous permettraient d'apprendre ? Est-ce que toutes les souffrances sont égales, en nature et en intensité ? Peut-on tolérer les "petites souffrances", ou doit-on mener de front un combat contre toutes les formes de souffrances, petites comme grandes ? Est-ce que les souffrances peuvent moralement être hiérarchisées ? Personnellement, j'ai la sensation qu'on anthropomorphise beaucoup, et qu'on ne sait pas grand-chose.
4) A ces questionnements, j'ajoute quelque chose qui, dans l'argumentation anti-spéciste, me turlupine : pourquoi se focalise-t-on sur le règne animal ? Et pourquoi, dans ce règne animal, se focalise-t-on particulièrement sur les vertébrés ? Parce qu'il me semble qu'il n'y a pas de raison objective d'oublier volontairement les autres règnes. Quid de l'exploitation des végétaux ? Quid du fait de les tuer ? Est-ce que les anti-spécistes hiérarchisent les règnes du vivant ? Pour quelle raison est-il moral d'exploiter des végétaux mais pas des animaux ? Touche-t-on là aussi à la notion de souffrance ? Est-ce à dire qu'on considérerait qu'il n'y existe pas de souffrance végétale ? (je ne sais pas ce que l'on connaît actuellement de ce sujet).
Malgré ces interrogations, je suis toujours aujourd'hui végétaRien. J'ai du mal à manger de la viande sans que ne me revienne en mémoire des moments difficiles que j'ai vécu, je ne suis pas toujours disposer à faire abstraction. C'est ma sensibilité personnelle. Je ne tolérerai pas qu'on la remette en question, et de la même manière, je n'aurai pas idée de vouloir l'imposer à d'autres.
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Carabistouille le 22 juin 2020, 15:47, modifié 1 fois.