Lundi, sous la pression de l’opposition, le Premier ministre Stefan Löfven a annoncé qu’une commission d’enquête sur les conditions de lutte contre le coronavirus en Suède sera lancée avant l’été. De petits groupes de manifestants se réunissent régulièrement au centre de Stockholm, fleurs à la main, pour dénoncer le nombre de morts en Suède (4639 au dernier bilan). Pour Déborah, une dentiste, « c’est le résultat du non-confinement qui a permis au virus de se diffuser, lentement ». « Il faut être stupide pour faire les choses différemment que dans le reste du monde, en étant persuadé qu’on a raison », déplore August, étudiant.
Ce n’est pas la première fois que des critiques sont émises contre la stratégie du gouvernement suédois. Sur les réseaux sociaux, des groupes ont toujours dénoncé les « mensonges » des autorités. Des médecins publient des tribunes dans les journaux depuis le début de l’épidémie, dénonçant un bilan « catastrophique » : « Si l’Agence de Santé n’en tient pas compte, il est temps que le gouvernement et le Parlement le fassent », pouvait-on lire récemment sur le site d’Aftonbladet.
Depuis le 14 mai, cependant, force est de constater que ces « opposants » ont plus d’audience. Selon les tableaux comparatifs dressés par l’université d’Oxford, le pays a commencé à cette date à afficher le taux quotidien de mortalité le plus élevé… au monde. Une place peu envieuse qu’il a occupée depuis pendant treize jours, et sans discontinuer dans la semaine qui vient de s’écouler. Pour Anders Tegnell, l’imperturbable épidémiologiste d’Etat, « il faudra attendre la fin de l’épidémie » pour établir un bilan et « ces chiffres doivent être remis dans leur contexte », car les morts ne sont pas comptés partout de la même façon. Mais le taux de mortalité n’est pas la seule mauvaise nouvelle.
Si les autorités suédoises n’ont jamais dit que leur stratégie était d’obtenir l’immunité collective, elles ont toujours sous-entendu que l’absence de confinement obligatoire pourrait la favoriser, protégeant la population dans l’hypothèse d’une deuxième vague. Cet espoir a été douché par la publication d’une large étude montrant qu’à Stockholm, foyer de l’épidémie, il n’y avait début mai que 7,3% de la population qui présentait des anticorps, soit beaucoup moins que les 26% prédits par l’Agence de santé. Encore une fois, cette dernière a essayé de temporiser, en avançant que les anticorps du coronavirus pouvaient mettre plus de temps que prévu à apparaître, que le taux réel d’infection était plus élevé...
Autre point noir : la mortalité dans les maisons de retraite, où ont été recensés plus de la moitié des décès. Pour les autorités, qui admettent cet échec, c’est une fatalité qui n’a épargné aucun pays européen. Yngve Gustafson, professeur de gériatrie à l'Université d'Umeå, déplore cependant que les soignants suédois aient choisi le plus souvent d’administrer des soins de fin de vie, notamment de la morphine, à leurs patients les plus âgés, au lieu de les prendre en charge à l’hôpital avec de l’oxygène et des perfusions. « Alors que 20 à 30% des lits en soins intensifs ont toujours été disponibles, on a délibérément refusé l’accès à l’hôpital à des patients qui avaient des chances de survivre. A Stockholm, seulement 12% de ceux qui ont été infectés en maison de retraite ont été hospitalisés », a-t-il regretté.
La Suède, pour l’instant, n’a pas changé de cap, mais ses voisins ne restent pas les bras croisés. Pour cet été, le Danemark et la Norvège ont décidé de rouvrir leur frontière entre eux, mais pas avec la Suède. La Grèce, autre exemple, va demander une quarantaine aux touristes suédois. A Chypre, ou en Lituanie, on n’en veut même pas. Stockholm fait du lobbying depuis plusieurs jours auprès de la Commission européenne pour que l’ouverture des frontières à l’intérieur de l’Europe se fasse de façon coordonnée, dans tous les pays, le 15 juin. Mais les Suédois craignent aujourd’hui de devenir… les parias de ces prochaines vacances.