DictionnairErroné a écrit : 29 janv. 2021, 18:23En physique le déterminisme est-il devenu une impasse pour expliquer certains phénomènes physiques.
Cette question est extrêmement difficile.
Définir le
déterminisme d'une évolution dynamique,
en mathématiques, c'est faisable sans ambiguïté. Si on considère, un espace mathématique, comme une variété par exemple, et une loi d'évolution temporelle des points de cet espace, cette loi d'évolution est dite déterministe, si et seulement si, par définition, la position d'un point de cet espace à un instant donné détermine
la position de ce même point à tout instant
ultérieur.
Définir la
réversibilité d'une évolution dynamique,
en mathématiques, c'est faisable sans ambiguïté. Si on considère, par exemple, un espace mathématique, comme une variété par exemple, et une loi d'évolution temporelle des points de cet espace, cette loi d'évolution est dite réversible, ssi, par définition, la position d'un point de cet espace à un instant donné détermine
la position de ce même point à tout instant antérieur. La réversibilité c'est du déterminisme à rebrousse-temps.
De cette définition il découle que :
- Il y a indéterminisme de l'évolution considérée dès lors que la loi d'évolution ne permet pas de définir, à tout instant ultérieur et de façon unique, la position ultérieure d'un point de position donnée. L'information déterminant les positions futures de ce point est insuffisante pour caractériser ces positions futures de façon unique.
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- Il y a irréversibilité de l'évolution considérée dès lors que la loi d'évolution ne permet pas de définir, à tout instant antérieur et de façon unique, la position antérieure d'un point de position donnée. L'information déterminant les positions antérieure de ce point est insuffisante pour caractériser ces positions antérieures de façon unique.
Voilà comment on peut définir déterminisme et réversibilité quand on est dans le domaine des mathématiques. La notion de déterminisme et la notion d'irréversibilité deviennent bien plus difficiles à définir quand on passe à la physique. Pourquoi ?
- D'abord il faut associer à l'ensemble de tous les états possibles d'un type de système physique donné, un espace qualifié d'espace des états du système, doté d'un certain nombre de propriétés et d'attributs (topologie, structure différentiable, mesure...) dont chaque point représente un état du système et sensé être apte à modéliser tous les états possibles de ce type de système.
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- Ensuite il faut implanter dans cet espace une dynamique (on appelle ça un flot) sensée modéliser l'évolution du système physique considéré. Ces deux choix de modélisation sont considérés comme corrects s'ils produisent des prédictions conformes aux observations.
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- Enfin, quand on se place dans le cadre de la physique, c'est à dire en faisant reposer le modèle sur des données observationnelles, se pose la question de savoir ce que signifie "un point de position donnée".
C'est quoi,
physiquement, un point de position donnée ? C'est, en fait, un point dont on
connait la position. Un modèle repose nécessairement sur l'information accessible à l'observation (directement en tant que donnée d'entrée ou indirectement par les résultats d'un modèle basé sur ces données d'entrée accessibles à l'observation) ...
...Et là on tombe sur une grosse difficulté :
1/ un point n'a, selon cette définition, jamais de position donnée. En effet, l'information requise pour définir la position d'un point (d'une variété différentiable par exemple) est infinie et on ne sait recueillir, enregistrer et traiter qu'une quantité
finie d'information (un nombre fini de bits).
2/ De plus, si la dynamique modélisant (au mieux de ce que l'on sache faire et observer) une évolution donne des résultats conformes à l'observation mais n'est pas déterministe, pas moyen de savoir si cet indéterminisme est "fondamental" c'est à dire attribuable aux lois de la nature ou s'il est lié à l'incomplétude du modèle mathématique considéré. Cette information manquante (pour déterminer de façon unique les états futurs du système considéré) est-elle "objectivement" manquante parce qu'elle n'existe pas ou manquante parce que nos moyens d'observation actuels ne permettent pas de la recueillir (et donc nos modèles actuels ne la prennent pas en compte) ?
Ce que l'on peut dire, toutefois, c'est que :
une dynamique déterministe des évolutions quantiques donne des états quantiques corrects...
...mais pourtant, quand on passe à la
mesure de grandeurs observables on perd ce déterminisme. Quand on connait, aussi parfaitement que possible, l'état quantique d'un système donné à un instant donné, le modèle de la mesure quantique prédit seulement divers résultats possibles se distribuant selon des probabilités données par la règle statistique de Born.
On ne peut, en effet, pas prédire de façon autre que statistique les résultats de mesure quantique d'une observable donnée quand le système considéré n'est pas dans un état propre de l'observable en question. Mathématiquement, cela se traduit par le fait que l'algèbre des observables n'est pas commutative, soit encore, plus physiquement, que les grandeurs pouvant être associées à un système dans un état quantique supposé être pourtant maximalement connu
ne peuvent pas être toutes connues en même temps. Par exemple, quand on connait avec une grande précision le spin vertical d'un spin 1/2
on ne connait pas du tout son spin horizontal.
Doit-on en conclure pour autant que cet indéterminisme de la mesure quantique est "fondamental" et que l'irréversibilité de la mesure quantique (la perte d'information sur l'état antérieur à la mesure) est, elle aussi, "fondamentale". Pour ma part (bien qu'il y ait encore débat sur ce sujet) je pense qu'une telle affirmation relève d'une illusion, une confusion entre objectivité et intersubjectivité (un effet d’hystérésis des convictions scientifiques de la fin du 19ème siècle, convictions réalistes imprégnant, de façon latente, notre culture du 20ème siècle et du début du 21ème siècle)
La notion de "loi fondamentale", la notion de "loi de nature", de loi qui ne devrait rien ni à l'observateur ni à l'interaction observateur/système observé est (à mon sens, il y a encore débat
philosophique) une illusion. Les grandeurs physiques et les lois, que nous avons tendance à attribuer intrinsèquement à tel ou tel système ou phénomène physique observé, appartiennent en fait à notre
interaction avec ce système ou ce phénomène physique.
Pour ma part, je pense :
- qu'il n'y a pas plus de déterminisme fondamental que d'indéterminisme fondamental,
- qu'il n'y a pas plus d'irréversibilité fondamentale (comme tendent à le penser les Prigogine, Petrosky, Gadella, de la Madrid...) que de réversibilité fondamentale (comme le pensent le tenants, majoritaires, de l'hypothèse de conservation de l'information).
La question de savoir si "la nature"
est en elle-même déterministe et réversible ou indéterministe et irréversible est donc une question mal posée. Elle repose sur une hypothèse d'objectivité des lois de la physique qui est une illusion, l'illusion réaliste, c'est à dire une erreur d'interprétation. C'est l'
observateur et l'
observation tout autant que l'univers observé qui, par leur interaction, déterminent les "lois de la nature".
- Déterminisme,
- indéterminisme,
- conservation de l'information (réversibilité),
- fuite d'information (irréversibilité),
sont des propriétés de
modèles mathématiques. Ce sont nos modèles qui possèdent les qualités de déterminisme, d'indéterminisme, de réversibilité ou d'irréversibilité. Ils sont jugés valides ou pas selon la fiabilité et la précision de leurs
prédictions et non pas selon une notion de
fidélité de représentation à la "réalité", une notion de fidélité de représentation de la réalité en fait dépourvue de signification physique.
Ce qu'il y a, donc, ce sont des
modèles adaptés ou pas à tel ou tel contexte+objectif de modélisation. La bonne formulation de la réponse à la question posée me semble donc être :
en physique le déterminisme est (à ce jour)
devenu une impasse pour
prédire certains phénomènes physiques.
(1) Pour éviter toute ambiguïté sur la signification du concept d'illusion, un concept plus subtil qu'il n'y parait, une illusion est une erreur d'interprétation.