@ Shisha
J'ai lu ton lien mais cela n'a pas de rapport avec ce que j'ai dit.
Si. La re-contextualisation. Un problème n'est jamais indépendant d'un autre problème (niveaux d'organisation). C'était pour essayer de disposer d'une vue d'ensemble et d'appréhender la complexité inhérente. Il faut se référer au jeu d'échecs: le déplacement des pièces, et la stratégie d'ensemble. Si on ignore la stratégie globale, on pourra toujours manipuler les pièces, et errer sans objectif clair. L'inverse est vrai également. Ce n'est pas parce qu'on connaît parfaitement le déplacement des pièces qu'on dispose d'une vision globale pour autant.Les options démocratiques en ont pris un coup.
La situation est très complexe, les rapports entre la Russie et l'Ukraine ne peuvent se comprendre qu'en disposant d'une base de références solide, ce qui représente un investissement certain. Poutine est devenu un électron libre qui a surpris son monde, y compris dans son propre camp. On connaissait ses velléités. Et maintenant, que va-t-il advenir?
J'ai cité un expert américain qui me paraît disposer de quelques éléments de réflexion: Gregory Carleton.
« Poutine a fini par croire à ses propres mensonges »
ENTRETIEN. L’universitaire Gregory Carleton, expert du monde post-soviétique et de la civilisation russe, livre son analyse de la guerre en Ukraine.
Propos recueillis par Gabriel Bouchaud
Publié le 13/03/2022 à 12h00 - Modifié le 13/03/2022 à 14h57
La guerre en Europe : après la sidération initiale, il est crucial de comprendre, autant que possible, les raisons et les motivations de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Un objectif moins évident qu'il n'y paraît, tant la machine à désinformation et le « bruit » informationnel semblent omniprésents, en particulier sur les réseaux sociaux. Quoi de mieux, alors, qu'un spécialiste de la civilisation russe, russophile pour décrypter ce qui se passe ? Gregory Carleton est passionné des mondes russes. Professeur à l'université de Tufts, aux États-Unis, il est l'auteur de Russia. The Story of War, dans lequel il explorait le profond malentendu régnant entre la Russie et l'Occident sur la nature des actions militaires russes. La Russie se perçoit comme le rempart historique contre les menaces qui pèsent sur l'Europe, qu'elles proviennent de l'Est ou de l'Ouest, qu'elles soient de nature militaire ou au contraire culturelle et religieuse. Sans cet éclairage, les actions russes semblent profondément irrationnelles, folles même, et nous empêcheront de trouver une solution diplomatique au conflit.
Le Point : Quelles sont, selon vous, les conséquences de cette guerre ?
Gregory Carleton : La plus évidente, c'est que Poutine a ruiné toute forme de bonne volonté dont bénéficiait encore son pays à l'international. L'isolement du pays se vérifie politiquement, culturellement, économiquement. C'est une nécessité malheureuse, mais la responsabilité de Poutine est écrasante. Rien ne le forçait à déclarer cette guerre ; l'idée qu'un « génocide » des populations russophones d'Ukraine ait lieu est risible. Il s'agit pourtant d'un terme utilisé dans le discours officiel russe depuis au moins 2005. Je ne vois pas de situation où quiconque sort gagnant. Poutine ne peut pas gagner, mais ne peut pas non plus se sortir du marasme dans lequel il s'est mis sans perdre la face. Aucune négociation diplomatique n'est possible dans ces conditions. C'est une situation très inattendue : la plupart des experts du monde post-soviétique, moi inclus, ne pensaient pas que nous en viendrions à ces extrêmes.
Vous dites que Poutine est le principal responsable de l'entrée dans ce conflit, côté russe. Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Je n'ai pas d'accès privilégié à ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine, et il semblerait qu'il existe un écart grandissant entre son état d'esprit et celui de certains de ses généraux. Il semblerait que de nombreux hauts responsables russes aient été pris au dépourvu par cette invasion. Cette surprise de l'état-major se vérifie aussi par le biais de l'impréparation de l'armée russe à la tâche qu'elle se voit aujourd'hui confiée. Beaucoup en Russie ont cru, comme moi, que toute cette rhétorique agressive n'était qu'une énième opération de propagande.
Dans Russia. The Story of War, j'explore les mythes historiques nationaux qui servent à donner un sens à la marche du monde, de manière très abstraite. Cette « histoire mythique », sur laquelle la Russie n'a absolument pas le monopole, permet de créer des discours simples, accessibles, reposant sur quelques images d'Épinal et un manichéisme assumé. Le fait de présenter la Russie comme une victime, toujours cible d'agressions extérieures, fait partie de cette histoire mythique, bien utile pour motiver et unir la population derrière un objectif commun. Mais c'est tout ce que c'est censé être, une histoire ! Il semble que Poutine ait fini par croire à sa propre rhétorique, dans son simplisme séduisant. La véhémence de ses propos au début de l'invasion, ses choix de mots comme « blitzkrieg » ou génocide, toutes ces références à la Seconde Guerre mondiale montrent bien que l'histoire russe joue un rôle essentiel dans sa décision d'envahir.
Par ailleurs, son âge l'a peut-être pressé à agir. Sa puissance politique en Russie, l'absence d'opposition ou même de contradiction au sein de son propre camp lui ont peut-être aussi fait croire à sa toute-puissance. Cette impunité se voit dans l'assassinat de Boris Nemtsov ou dans l'emprisonnement de Navalny.
La tragédie, pour Vladimir Poutine, est que s'il était mort il y a un mois, il serait rentré dans le panthéon de « l'histoire mythique » russe comme un leader d'exception. Mais il a ruiné cet héritage en quelques jours à peine. On le voit dans la différence de traitement de la part des Russes entre l'annexion de la Crimée, en 2014, et l'invasion actuelle.
Pourquoi n'avoir pas cru que Poutine envahirait l'Ukraine, après la Tchétchénie, la Géorgie et la Crimée ?
Deux choses : l'échelle de l'opération et les objectifs affichés. La Tchétchénie fait partie du territoire administratif russe, les opérations militaires là-bas, pour violentes qu'elles furent, renvoyaient une autre image à la communauté internationale. Par ailleurs, l'opinion publique russe était largement mobilisée contre les Tchétchènes, à l'époque, du fait d'une série d'attentats visant des civils. La Géorgie, si elle fut une opération contre un autre État, avait des buts limités, d'ailleurs atteints en quelques jours. L'armée russe ne fit jamais le siège de Tbilissi. Idem pour la Crimée, un territoire russe jusqu'en 1954. L'objectif était limité et largement soutenu par l'opinion publique russe. Par ailleurs, les lois sur la pratique du russe mises en place au lendemain de la révolution de Maïdan avaient été vues comme une agression. Il faut aussi rappeler que les troupes russes n'étaient pas officiellement présentes, il n'y avait que des « volontaires » russes.
Hors de Russie, même si nous n'aimions pas la situation en Ukraine, il s'agissait d'un « conflit gelé », comme en Bosnie. C'était plus ou moins acceptable. Mais aujourd'hui, nous assistons à la Guerre avec un grand « G ». Il ne s'agit pas ici de prendre quelques morceaux de territoires de Géorgie ou d'Ukraine, mais bien d'attaquer tout le pays. Il devient très difficile de voir une fin rapide au conflit, ou même une paix qui convienne même marginalement à toutes les parties.
Poutine a donc commis une erreur ?
Il en a même commis plusieurs. Il pensait certainement que cette guerre serait comme la prise de la Crimée, simplement à une plus grande échelle. Il a sous-estimé la réaction occidentale et l'ampleur des sanctions. Il a aussi mal évalué l'impact des technologies de l'information sur les opérations : il n'est plus possible, dans un conflit de cette ampleur, de garder le contrôle de l'information, et la Russie est clairement en train de perdre à ce niveau. Enfin, et c'est lié au point précédent, si l'opinion publique russe était largement en faveur de l'annexion de la Crimée, on ne peut pas en dire autant de cette guerre.
Vladimir Poutine semble croire à ses propres mensonges ; il est enfermé dans une bulle informationnelle, entouré d'intrigants, ce qui le conduit à mal évaluer la situation.
Vous dites que la guerre n'est pas populaire en Russie. Comment le savoir ?
Pour faire un parallèle, il était parfaitement vrai de dire que Trump n'était pas populaire, tout en étant soutenu par des millions d'Américains. Mais les Russes vivant dans les grandes métropoles, largement exposés au monde extérieur, qui sont aussi ceux qui ont le plus d'influence culturelle, ont plus à perdre de cette guerre et des sanctions qui l'accompagnent. Ce sont eux qui peuvent encore changer la donne en Russie même.
Pourquoi l'invasion a-t-elle eu lieu maintenant ? Pourquoi n'avoir pas pris plus de temps pour la préparer ?
Je crois que plusieurs facteurs peuvent l'expliquer. Tout d'abord, la pandémie, qui a divisé les sociétés occidentales, particulièrement aux États-Unis. Il fallait aussi que la guerre n'interfère pas avec les Jeux olympiques de Pékin. Il fallait aussi que l'invasion se déroule pendant l'hiver, afin de prendre les Européens en otage grâce à leur dépendance au gaz naturel russe. Par ailleurs, il fallait attendre un peu après la prise de la Crimée, dans l'espoir de ne pas provoquer de réactions trop virulentes de la part de la communauté internationale. Enfin, il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine est relativement âgé. Combien de temps lui reste-t-il à exercer un pouvoir aussi absolu ? Il ne pouvait pas se permettre d'attendre encore trop longtemps. Il semble évident que beaucoup en Russie réfléchissent à l'après-Poutine.
Le recours à la force est toujours un signe significatif et manifeste d'incompétence. Les problèmes de langue, de culture, apparaissent toujours comme des épiphénomènes bien pratiques pour justifier les violences quand elles se produisent. Ce qui concerne les différentes factions belligérantes.
Dans le cas qui nous préoccupe, la Russie poutinnienne est l'agresseur, pas l'inverse.
Si on procède à un recensement des actions des démocraties occidentales, en particulier européennes, pour ne pas mécontenter monsieur Poutine, parce qu'il a toujours été, d'une certaine façon, ingérable, on se demande si on n'a pas contribuer à le renforcer dans ses convictions guerrières.
J'ai indiqué que Poutine était un produit, la résultante de deux systèmes qui s'interpénétraient, se complétaient...: les-URSS et le KGB.
Il faut reprendre l'historique du KGB, depuis ses débuts, soit la Tchéka, qui empruntait à la police tsariste.
Avec qui Poutine s'est-il entouré?