Catastrophe écologique :
un bilan en 15 points
Aurélien Barrau
Intervention au Club 44 à la Chaux-de-Fonds, en Suisse
15/02/2023
Voici un certain nombre de points disjoints que je vais volontairement peu articuler les uns avec les autres puisqu’il y aura ensuite une discussion.
Premièrement, commençons par le commencement à savoir les faits de ces derniers jours. Voilà ce que l’on vient de découvrir :
La fonte des glaciers libérerait des agents pathogènes forts inquiétants. Autrement dit, COVID c’était l’apéritif !
On vient de remarquer que la moitié des arbres plantés pour cette ridicule compensation carbone ne survivent pas. (Et oui, il se trouve qu'un être vivant c'est un petit peu plus délicat et compliqué qu'un gadget d'ingénieurs).
L'eau de pluie sur terre est devenue impropre à la consommation eu égard au taux de produits toxiques qui s'y trouve actuellement (c'est un peu contrariant ça).
L'université de Chicago vient de publier une étude montrant que les particules fines avaient réduit l'espérance de vie mondiale de plus de 2 ans (c’est vraisemblablement 3 fois plus que les ravages de l'alcoolisme).
Le 6 novembre l'ONU a publié un nouveau rapport provisoire qui décrit un état du monde catastrophique, les 8 dernières années (2015 - 2022) y apparaissent comme la période la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés autour de 1850.
Dans un rapport de l'Académie des sciences et des technologies françaises il est estimé que le programme de véhicules électriques national réclamera rapidement des quantités de Lithium et de Cobalt excédant les productions mondiales actuelles. C'est ballot ! Sans compter que l'extraction du Lithium des roches dures implique un traitement à l'acide sulfurique et un traitement thermique qui est lui-même particulièrement coûteux en énergie. Les bassins d'évaporation des Salar d'Atacama auraient déjà provoqué l'épuisement et la pollution de la majorité des nappes d'eau souterraines de cette région. Les voitures électriques ne sont pas aussi vertes qu'on a voulu nous le faire croire, ça alors !
Une nouvelle étude australienne vient de revoir à la hausse les phénomènes prévus d'inondation et de sécheresse extrêmes dans de nombreuses régions du globe.
C'était donc les toutes dernières nouvelles. Si on prend un peu de recul et qu'on essaye de se faire une idée un tant soit peu globale de l'image du monde, ça ressemblerait à ça :
En quelques millénaires nous avons éradiqué à peu près les 2/3 des arbres, en quelques décennies nous avons éradiqué les 2/3 des mammifères sauvages et des poissons, en quelques années nous avons éradiqué les 2/3 des insectes. C’est fait ! La majeure partie des points dits de non-retour a déjà été atteinte. Les espèces disparaissent aujourd'hui à un rythme qui est entre 1000 et 10000 fois plus élevé que la normale. La pollution tue plusieurs centaines de milliers d'êtres humains chaque année en Europe. Seules 20% des terres émergées ne sont pas drastiquement artificialisées. L'océan de plastique dont la taille est déjà le triple de celle de la France est toujours en augmentation ‘mastic’ exponentielle. Les forêts tropicales sont tellement abîmées qu'elles ne jouent plus leurs rôles de puits de CO2 mais commencent à en émettre plus qu'elles n'en absorbent. Dennis Meadows l'un des célèbres auteurs du rapport de MIT de 1972 a récemment déclaré que de tous les scénarios envisagés c'est manifestement celui de l'effondrement qui a été choisi.
Le fait est qu'il n'est pas nécessaire de cumuler les doctorats pour comprendre que la courbe des prélèvements ne peut pas c'est factuel demeurer longtemps au-dessus de la courbe des ressources écosystémiques, ce n'est pas idéologique, c’est vrai.
Mais ce n'est qu'un petit aspect de la question et bien sûr nous allons y revenir, c'est pourquoi j'ai voulu faire assez bref sur la description, alors rentrons dans le vif du sujet.
Deuxièmement, Les causes
- Interruption des cycles biogéochimiques
- Acidification des océans
- Pollution
- Artificialisation des terres
- Destruction des habitats
- Surexploitation des ressources
- Réchauffement climatique
- Déploiement des espèces invasives introduites par les humains
On mentionne aussi souvent la chute de la biodiversité. C'est vrai et c'est le pire.
Mais je me refuse à la voir comme une cause, ça n'a aucun sens. Evidemment que c'est grave pour nous ! Evidemment que ça entraînera des conséquences pour les humains et leur survie. Mais le voir ainsi je crois que c'est déjà se placer dans le schème mental dramatique. La chute de la vie sur terre, ce n'est pas une cause du problème, c’est le problème. On y ira au-delà …
Mais je voudrais déjà vous faire remarquer que le climat quant à lui n’est qu'un aspect du cataclysme. La crise est fondamentalement systémique et pluri factorielle. Rien à mon sens ne saurait être plus naïf et erroné que de croire que notre grand problème unique et cardinal est le réchauffement climatique. Vous le savez, même sans un seul degré de réchauffement, nous serions quand même dans la 6e extinction massive qu'il convient d'ailleurs d'appeler la première extermination délibérée.
Alors pourquoi dans la presse, dans les médias sur les réseaux ‘asociaux’ cette sur-focalisation sur le climat ? Parce que je crois (et c'est un peu tragique de le dire comme ça) que c'est le plus simple de nos problèmes. C'est celui qui fait perdurer encore un peu l'illusion délirante que nous sommes face à un problème technique qui aurait une solution technique parce qu'en réalité c'est à peu près tout ce que notre société d'ingénieurs est capable aujourd'hui de penser. Pour paraphraser l'adage de Maslow, vous savez que quand notre tête ressemble à un marteau on voit tous les problèmes en forme de clou, mais c'est un biais. Nous en sommes là, nous sommes tellement obnubilés par la technique que nous ne parvenons plus à raisonner au-delà de son horizon qui est pourtant très limité. Prométhée est à la fois déchaîné et aliéné.
Troisièmement, L’instable
Il commence (il était temps) à être compris qu’une croissance illimitée n’est pas durablement possible dans un monde fini. (Ce n’était pourtant pas très difficile à comprendre). Quiconque connaît un peu les fonctions exponentielles voit que changer la normalisation ne change quasiment pas le moment de passage des seuils autrement dit le temps des petits efforts est derrière nous.
Or les exponentielles il y en a partout, il suffit d'avoir une variation qui est proportionnelle au phénomène, dès que vous avez d(n) proportionnelle à n, d(n) / n = dt comme vous le voyez toute de suite cela s’intègre en logarithme et donc n est en exponentiel du temps.
Les exponentielles sont omniprésentes et elles sont catastrophiques du point de vue de leurs conséquences.
On sait en physique que dans ce type de situation donc instable le temps de vie du système est typiquement 2 à 3 fois le temps de doublement, le temps de doublement pour ce qui est de l'usage des ressources est typiquement de 20 à 30 ans autrement dit le temps de vie est de l'ordre du siècle. Vous voyez que l'analyse physique la plus rudimentaire concorde avec les analyses biologiques, médicales, climatologiques et ainsi de suite…
La non-durabilité de notre monde elle peut se voir de multiples autres manières, (je donne juste quelques exemples),
- (je le disais tout à l'heure) La courbe des prélèvements est supérieure à celle des ressources. Vous savez que quand on est à découvert sur son compte en banque, on peut l’être mais jamais très longtemps et on paye des intérêts. Il se trouve que les lois de la physique sont encore plus draconiennes que les requins de la finance, autrement dit à intégrale constante plus on met de temps avant de faire repasser (parce qu'elle y repassera de toute façon) la courbe des prélèvements sous la courbe des ressources plus la chute sera brutale, c'est mathématiquement inéluctable.
- On peut le voir cette instabilité, la voir en remarquant que la plupart des seuils de relaxation sont d'ores et déjà dépassés, l'idée est extrêmement simple… Vous savez que si on appuie un peu sur une branche celle-ci va plier et quand on relâche la contrainte elle reprend sa position d'équilibre mais si vous appuyez trop fort, la branche casse et même si vous relâchez la contrainte elle ne peut plus reprendre sa position d'équilibre. C'est l'état dans lequel nous sommes en train de placer pourrait-on dire, les conditions d’habitabilité de cette planète.
- On peut le voir l'instable avec les stocks d'énergie qui s'épuisent. Ce dernier point me semble particulièrement intéressant à scruter pendant un instant : d'abord à l'échelle globale, à l'échelle mondiale, vous savez que l'énergie ce sont les fossiles. Et vous savez que quand une nouvelle énergie est découverte, elle ne supplante pas une énergie ancienne, elle s'ajoute à nos usages. Et vous savez enfin que depuis que l'on commence à parler de ces crises et catastrophes écologiques l'énergie dont l'usage a le plus augmenté est : le charbon.
Ce qui est intéressant, c'est de comprendre qu'on vient vraisemblablement de passer le ‘’Peak Oil’’ c'est-à-dire le sommet de la production mondiale de pétrole. Il en reste donc vraisemblablement à peu près autant que ce qu'on a utilisé jusqu'alors. Et là, cela devient intéressant parce que 2 choix s'offrent à nous :
Le premier c'est de ne rien changer. On demeure ensorcelé à la croissance c'est-à-dire à l'énergie. On suce le pétrole jusqu'à la dernière goutte et alors c'est une double catastrophe. Evidemment une catastrophe climatique puisque nous serions sur le pire scénario du GIEC avec des conséquences (je pèse mes mots) inimaginables. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans un système très non linéaire, pour reprendre l'exemple de Jancovici, vous savez que quand votre température corporelle s'élève d’un degré vous avez simplement un peu mal à la tête quand elle s’élève de 5° vous n'avez pas 5 fois plus mal à la tête vous êtes mort. C'est un effet non linéaire. Donc 5° d'élévation climatique par exemple cela conduirait notre biosphère à un état tellement loin de son état d'équilibre que nous n'avons aucun moyen d'imaginer ce que seront les conséquences. De plus ce serait aussi une catastrophe géostratégique parce qu'une décroissance non souhaitée est toujours la cause de cataclysme : les dictatures, les génocides, ce genre de choses pas particulièrement sympathiques naissent presque toujours dans ce type de situation.
2ème scénario (choix) : On fait ce que font les artistes c'est-à-dire que l'on comprend que la contrainte est un extraordinaire moyen d'engendrer de la création. On tente enfin de se réveiller par la factualité, par la raréfaction des ressources et nous comprenons que notre chemin est non seulement impraticable, ça c'est un fait mais qu'il est aussi et surtout (je vais y revenir) non souhaitable. Il faut alors inventer un ailleurs radical, (j'insiste une dernière fois) de toute façon nous irons vers un ailleurs radical. La seule question est de savoir si on le choisit ou non. Et cet ailleurs j'aimerais que nous l'inventions sans nostalgie et sans aigreur parce que je vous assure : vivre sans Twitter c'est tout sauf un effort en réalité. C'est un peu une renaissance, c'est le petit geste libérateur contre la vulgarité, l'imbécillité, la hideur veule et la vacuité sale. Ça c'était la version euphémisme.
Quatrièmement, Les vraies causes
Parce que les causes que j'ai présenté il y a 5 minutes ne sont pas les vraies. Celles que nous venons d'énoncer, ce sont en réalité bien sûr des conséquences.
Première remarque, ces conséquences : réchauffement climatique, pollution, artificialisation … etc nous ne les traitons pas. Les COPS se succèdent avec un effet nul, je dis nul au sens littéral pas métaphorique. Regardez les corrélations, là encore les exposés de Janco sont très bien entre les émissions de gaz à effet de serre et les décisions annoncées aux COPS, elle est nulle, c'est un résultat mathématique, ce n'est pas une idéologie. L'influence sur les émissions de CO2 n'existe pas.
2ème remarque : quand bien même nous le ferions de les traiter ces petites conséquences, ce serait à peu près comme diriger l'extincteur vers le sommet des flammes ou traiter un cancer généralisé avec du paracétamol. Ça ne peut pas marcher. La véritable cause, celle à laquelle il faut s'atteler est évidemment ailleurs je crois que c'est d'une part la valeur nulle que nous conférons à la vie et par ailleurs notre addiction pour ne pas dire notre envoûtement à la technologie. Pour le dire autrement encore, la méta cause extraordinairement simple je crois, c'est que nous n'avons pas posé la question la plus élémentaire et la plus désuète mais aussi la plus importante et la plus profonde : qu'est-ce que l’on veut ? Est-il absolument évident que nous souhaitons ce délire qui par ailleurs nous tue ?!
Alors ce soir on est en Suisse, effectivement dans le berceau de l'horlogerie traditionnelle.
Vous me direz si ça se passe comme ça avec la CFF mais en France prendre le train est devenu un enfer ! Pour les plus âgés c'est même devenu une angoisse pour ne pas dire une impossibilité. Entre les portails automatiques qui barrent l'accès aux quais et ne marchent d'ailleurs jamais, les tarifs qui évoluent suivant des lois obscures et fluctuantes, les sites web multiples qui plantent à chaque clic, les applications dont on ignore évidemment laquelle est la bonne, les promotions en temps réel qui écœurent, les montages entre sociétés privées dont on ne sait plus laquelle est ou n'est plus la SNCF, les annonces : « attention ! les billets ouigo ne sont pas valables dans ce TGV », les promotions débiles sur les hamburgers à la voiture-bar, les grands-mères qui n'ont plus le droit de se faire porter par la famille les valises jusqu'aux wagons qu'elles empruntent, les petites lignes qui ferment, les problèmes et Dieu sait qu'ils sont nombreux qu'ils ne peuvent plus se résoudre en échangeant avec un être humain mais seulement via des interfaces numériques dont on ne sait plus très bien si elles ont été à dessein ou non imaginées pour rendre fou, des poubelles connectées dans les gares, des trains rebaptisés inouï mais accessibles seulement sur « Connect » mais quelle bouffonnerie !! C’est l’enfer ce truc ! Ce n'est pas une question de bilan carbone, ce n’est pas une question de durabilité, c'est juste que c'est intrinsèquement pourri !!! On n'en veut pas de cette merde ! ça répugne, ça fatigue, ça dégoûte, ça attriste et ça agace un tantinet quand même.
Est-ce qu'on est heureux de ça ? Qui ne regrette pas le temps ou le train était le moyen d'aller d'un point à un autre avec sa poétique (ça fait complètement dépassé hein) avec sa poétique avec sa symbolique et non pas un rouage de cette machine de guerre économico financière enrubannée de techno débilité ! Et je suis à peu près certain (je n’ai pas fait de sondage, c'est une intuition) que la grande majorité des personnels de la SNCF ou de son équivalent Suisse sont d'accord avec cette analyse.
Ce n'est qu'un exemple mais l'idée est élémentaire, je veux dire pourquoi ne mettons-nous pas sur la table ce que l'on veut ? Nous sommes en train de construire une dystopie qui n'est pas seulement intenable mais qui est en soi méprisable.
Regardez le monde vulgaire et violent sans étoile et sans paroles que nous prépare Elon Musk. Regardez la dernière escroquerie numérique : le métavers mais quel nom pompeux pour ne rien dire, ce n'est que la n +ième itération d'une méthodique artificialisation. Et tout cela sur fond de la généralisation de l'Intelligence Artificielle. Alors là encore soyons clair, la question à mon sens n'est pas de savoir s'il faut ou non décarboner l'IA. La question est de savoir si même s'il n'y avait aucune conséquence écologique néfaste nous souhaiterions que des algorithmes (qui n'ont rien d'intelligent cela dit en passant) produisent un réel prévisible, normé, calculé, apte à la surveillance sans exubérance et sans protubérance, adaptée et formatée pour la rentabilité. Voulons-nous que les publicités soient ciblées pour décupler nos addictions à nos consommations ? Que le contenu pseudo informationnel que nous recevons soit choisis pour confronter et pour conforter nos biais et nos convictions ? Que nos curriculums vitae (comme c'est maintenant déjà le cas) soient lus par des machines ? Que la finance mondiale qui nous gouverne dans une large mesure soit régie par des programmes dont plus personne même leurs concepteurs et de leurs propres aveux ne comprennent plus comment ils fonctionnent ? Que nos désirs soient anticipés afin que plus aucune excursion hors des attendus ne puissent survenir ?
C'est juste ça la question, même si ça ne faisait pas monter la température du globe, est-ce qu'on voudrait de ça ? Et surtout qu'on ne nous dise pas que l'intelligence artificielle pourrait être la solution au problème, elle est le problème, elle aurait peut-être quelques effets positifs ici ou là nous dit-on, c'est vrai ! C'est évidemment vrai comme la plupart des produits cancérigènes qui ont par ailleurs quelques effets positifs. Il n'en demeure pas moins que de façon structurelle et systémique, prenons un peu de hauteur et un peu de sérieux, elle est une partie de ce qui aujourd'hui nous mène au gouffre, un Parangon de notre fascination pour la techno nuisance sans compter d'ailleurs que son caractère intrinsèquement non disruptif parce qu'elle est fondée sur l'analyse de répétabilité la rend particulièrement incapable de faire face par essence aux crises que nous traversons. Ce n'est de toute façon pas elle qui nous dira si nous préférons un casque de réalité virtuelle ou une balade dans une forêt réelle. C'est ça la question simple, notre niveau d'ensorcellement est tel que la seconde (la balade réelle) commence à nous apparaître comme une version atrophiée de la première, la balade virtuelle.
Aujourd'hui la destruction de la vie est notre but. La réification totale du réel est le dessein que nous nous sommes fixés, quelle que soit la manière dont nous y parvenons même avec des outils bio équitables si nous y parvenons, c'est foutu par définition.
Cinquièmement,
(il y en a 14 ou 15, bonne soirée ! bon ouais, ce n’est pas très gai mes trucs hein ?! l’introduction était pourtant très marrante, donc voilà ! il y a eu le bon moment pour commencer, et puis bah maintenant c'est un peu plombé quoi…)
Cinquièmement, Les mots
Ne nous laissons pas voler les mots !
Dans une large mesure, évidemment c'est trop tard et pourtant quand même j'aime à croire qu'au jeu de la création et de la poésie on va gagner, on ne peut que gagner parce que leur idiome est nécrosé parce qu’au défi de la vie, ils ont perdu dès l’origine.
J’ai par exemple parler tout à l'heure de
croissance sans fin (le problème de la croissance sans fin dans un monde fini). Dans la manière dont je l'ai employé cela signifiait donc que croissance sans autre qualificatif référait à la croissance du PIB mais c’est démentiel en fait, c'est fou, c'est d'une extrême violence intellectuelle. La croissance autorisée et même souhaitée celle qui compte, celle de l'amour, de l'amitié, de l'intelligence, de l'inventivité, des poèmes, des équations, des symphonies, des sourires, du rap, du slam, elle n'aurait donc plus droit au mot croissance ? Nous sommes évidemment tous pour la croissance. Soyons simplement pour la bonne, la vraie, pas celle de l'addiction techno délinquante parce qu’honnêtement, il n'y a quand même pas beaucoup d'orgueil ou de vanité à placer dans la croissance de notre surconsommation de drogue. Ne réduisons pas le mot de croissance à son usage détourné.
C'est un peu la même chose pour le mot progrès d'ailleurs. Quand quelques personnes ont osé critiquer la pertinence de la 5ème génération de téléphonie mobile, certains, non tous et toutes se sont émus dans la presse que l'on puisse être contre le progrès.
Définissons le
progrès. Si effectivement la mise en place d'une technologie dont les conséquences sont délétères du point de vue de la pollution, du point de vue de la consommation, du point de vue de l'artificialisation et du point de vue de l'addiction pour un gain réel nul s'appelle « progrès » alors je crois qu'il va falloir effectivement travailler sur le langage.
Un autre mot doublement mutilé :
radicalité. D'abord parce qu’étymologiquement, comme vous le savez, la radicalité ça signifie essentiellement la précision. La radicalité c'est bien, vous pouvez être fiers et revendiquer cette radicalité. C'est un mot qui est mélioratif et non pas péjoratif. Mais ensuite parce que même au sens commun et dénaturé du substantif disons celui de l'intransigeance, ne serait-il pas quand même effectivement souhaitable d'être intransigeant contre la fin du monde ? Même en ce sens appauvri, nous devrions revendiquer une radicalité dans ce combat vital.
D'ailleurs «
fin du monde » pour cela aussi nous sommes moqués, mais évidemment j'ai quelques bases d'astrophysique et je peux vous confirmer que la terre continuera de tourner quelles que soient les conneries que nous fassions, certes ! Mais ce n'est pas ça le monde. Mundus en latin comme cosmos en grec ça réfère à la convenance raisonnable, ça réfère à l'harmonie, ça réfère à une certaine capacité à faire du commun à partir d'un espace et d'un temps partagé. Honnêtement si avec l'éradication des 2/3 des êtres vivants nous nous penchons encore dans l'harmonie je crois qu'il y a effectivement un petit problème qui dépasse là, le langage.
Tout à l'heure j'ai donc évoqué ce joli terme (mais il n'y a que le terme qui est joli) de
métavers. Dans mon domaine c'est un mot qu'on utilise parfois aussi pour référer à quelque chose de beaucoup plus joli pour référer à la possible existence d'univers multiples, c'est une idée qu'on trouve chez Anaximandre, chez Démocrite jusqu'à l'âge classique avec Leibniz en passant par la renaissance avec Rabelais, Nicolas de Cues et en philosophie contemporaine d'ailleurs avec David Lewis ou Nelson Goodman. Elle fait aujourd'hui effraction dans le champ des sciences dures, c'est une idée remarquable qui peut être liée aussi bien à la mécanique quantique qu'à la relativité générale. Voilà ce à quoi devrait référer ce terme et non pas à cette grosse bouse numérique qui est juste une arnaque de plus !
Et enfin
écologie : c'est assez inapproprié en fait ce terme pour parler d'amour de la vie. L'écologie initialement ça signifie basiquement l'économie de la maison, ce n'est pas ici ce dont il est question. C'est un terme qui est héritier de nos vieilles violences métaphysiques, il pense encore dans une dichotomie de l'homme et de la nature et c'est une des causes cardinales de notre incapacité à imaginer tout ailleurs à nos construits. Pensez à Descola et à bien d'autres, cette binarité arbitraire entre nous et le grand autre. Même posée avec bienveillance n'en demeure pas moins scientifiquement fausse et axiologiquement dangereuse.
Sixièmement, La démographie
Ça fait débat. En ce qui me concerne je crois que ce n'est pas le problème. Un seul Elon Musk fait sans doute plus de dégâts que tout le continent africain.
Plus généralement, notre idéologie actuelle consiste essentiellement à maximiser l'impact, si nous étions donc 2 fois moins nombreux nous utiliserions simplement chacun 2 fois plus d'espace et de ressources disponibles. Je crois donc que ce n'est pas la question, nous sommes la civilisation de l’hubris, n'oubliez pas d'ailleurs que c'est ce qui a failli causer la perte de la guerre de Troie parce que l'enlèvement d’Hélène honnêtement, Agamemnon s'en fichait un peu. C'est aussi ce qui explique d'ailleurs Lucrèce et Epicure, finalement Agamemnon et ses reîtres venaient piller Troie parce qu'ils avaient oublié la valeur de la pensée locale.
Si demain donc, (et Dieu vous en préserve) votre conjoint décède, allez-vous rendre à la nature les terrains dont il ou elle était éventuellement propriétaire ? Probablement pas, vous les utiliserez, vous les louerez, vous les ferez fructifier. Nous le ferions tous ou presque alors à quoi bon être moins nombreux si notre mentalité n'évolue pas drastiquement ? Ça n'aurait de sens que sous postulat d'auto limitation ou de raison et c'est un peu l'inverse de ce qui est à l'œuvre actuellement. Et puis vous voyez bien qu'il y a aussi quand même quelque chose de terriblement colonialiste et paternaliste dans cette question démographique car la démographie galopante c'est évidemment celle des pays pauvres alors même que ce sont essentiellement les seuls qui n'ont rien à se reprocher dans la catastrophe actuelle.
Septièmement, Poésie
Ames de mes tués ! Tuez-moi ! Brûlez-moi !
Michel-Ange exténué, j’ai taillé dans la vie
Mais la beauté, Seigneur, toujours je l’ai servie,
Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d’émoi.
Les coqs du poulailler, l’alouette gauloise,
Les boîtes du laitier, une cloche dans l’air,
Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,
C’est le luisant joyeux sur la prison d’ardoise.
Messieurs je n’ai pas peur ! Si ma tête roulait
Dans le son du panier avec ta tête blanche,
La mienne par bonheur sur ta gracile hanche
Je m'interromps toujours au milieu des vers de Jean Genet parce que je me dis que c'est tellement insupportable quand s'arrêtant comme ça vous ne pouvez pas ne pas avoir envie de lire la suite tout à l'heure en rentrant chez vous... C'est un extrait du condamné à mort. Oui la stratégie est un peu grossière mais très efficace. Non, parce que la fin est très belle aussi…
Attention ! Roi tragique à la bouche entr’ouverte
J’accède à tes jardins de sable, désolés,
Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,
D’un voile de lin bleu ta tête recouverte.
C’est très long…
Huitièmement, L’arrogance
Nous sommes ceux qui n'ont rien compris, on ne peut plus continuer à donner des leçons au monde entier. Nous sommes la civilisation la plus meurtrière de l'histoire à l'échelle de la biosphère, c'est un fait. Nous nous sommes trompés. Savez-vous ce qui restera de l'humanité sur des échelles de temps géologiques ? Pas des millénaires, des dizaines de millions d'années ? Pas grand-chose ! Nos cathédrales, nos centrales nucléaires, nos clés USB, tout ça on en parlera plus. Il restera une chose qui signera notre présence et nos descendants pourront savoir que nous avons existé. C'est en regardant les fossiles. Ils pourront discerner un effondrement de la vie sans aucune cause météoritique ou volcanique à une rapidité qui vraisemblablement n'a jamais existé dans l'histoire. Voilà la signature que nous laissons pour toujours sur cette planète.
Alors je crois qu'il faudrait regarder un peu ailleurs mais avec le désir d'apprendre et non pas d'enseigner. Regardez par exemple la Caraïbe, les extraordinaires modalités de résistance des peuples réduits en esclavage doucement, méthodiquement dans une logique de diffraction intérieure de plurivers symbolique, ils ont inventé un vivre en mode mineur sur une ligne de fugue en pirate du « nomos », en Cosmo poète du sensible dirait Dénètem Touam Bona. Les passeurs dans leurs conditions d’Humanimo n'abolissent pas les frontières comme dans la globalisation techno nihiliste de nos sociétés de surveillance. Ils les transgressent en ouvrant le cosmos au chaos. Ce ne sont pas de grands sages contrairement à ce que la mystique occidentale imagine à tort, ce sont les maîtres du désordre qui veillent à prévenir l'asphyxie du monde. Toute la cosmopolitique indigène repose sur un réseau hétérogène de liens entre les vivants humains et non humains. L'expérience initiatique de l'existence ne peut se déployer que sur une intuition poétique ou ontologique si loin des binarités de la métaphysique toute puissante de notre bon vieux logos.
Neuvièmement, Sobriété
C'est à la mode tant mieux mais ça pose quand même 3 problèmes :
Le premier : comment est-il donc possible que l'exécutif comprenne cela aujourd'hui alors même que ça fait 50 ans que tout est parfaitement documenté ? Il aura donc fallu que ces hommes et femmes politiques le ressentent dans leur corps cet été ? Parions donc que l'hiver arrivant tout cela sera très vite écarté de leurs préoccupations. Honnêtement quelle inconséquence, quelle coupable frivolité. Les gens sérieux ne sont manifestement pas ceux qu'on croit.
2ème problème : cette idée de sobriété laisse entendre (je l'ai lu ces derniers jours) que le temps de l'abondance était terminé pour les Européens. C'est quand même oublié qu'il n'a jamais existé et cela relève un peu de l'indécence pour tous ceux qui en souffraient
mais surtout
Troisièmement : ça suggère et c'est le point que je veux développer qu'il va donc falloir faire des efforts et je crois que c'est terrible de le dire comme ça parce que ça montre notre niveau d'incompréhension ou peut-être de pauvreté sémiotique. Des efforts ?! Renoncer à la notification snap pour écouter les oiseaux, c’est un effort ? Préférer les livres à Twitter, c'est un effort ? Choisir son lieu de villégiature pour son authenticité plus que pour son Instagram habilité, c'est un effort ? Le réel serait donc à ce point pour nous devenu une atrophie ou une pâle copie, un ersatz du virtuel. C'est quand même pathologique au sens presque littéral. Il n'y a en réalité aucun effort à faire, il y a juste à se sevrer de nos addictions mortifères.
Dixièmement, ITER
C'est le nom d'un projet de fusion nucléaire. Imaginez qu'un jour dans quelques décennies nous jouissions d'une source d'énergie presque propre et presque illimitée. Magnifique ! Nous serions sauvés, les ingénieurs nous auraient sauvés, alléluia !
En fait, non. Pourquoi non ? Ce n'est pas pour jouer les oiseaux de mauvais augures, c'est parce que c'est vrai. Ça serait sans doute (à supposer que ça marche ce qui n'est pas gagné) la pire catastrophe possible. Parce que nous disposerions alors de moyens presque infinis pour parachever notre entreprise d'artificialisation méthodique du réel. Nous n'aurions plus aucun frein pour éradiquer les montagnes, détruire les forêts, bétonner les espaces habitables. Je veux vraiment insister, le vrai problème, le problème réel plutôt, c'est notre objectif pas les moyens avec lesquels nous en parvenons. Nos énergies actuelles sont émettrices de CO2, c'est vrai mais c'est le moindre de leur mal. Si on les décuple ces énergies disponibles même sans émettre de CO2, si on ne revoit pas l'enjeu de notre être au monde, ce qu'on amplifie c'est la catastrophe, pas la transition.
Nous utilisons aujourd'hui l'essentiel de notre pouvoir matériel d'action pour détruire, pour tuer, pour dévaster, pour raser. Regardez les fonds marins par exemple, ils sont totalement mutilés au-delà de ce que vous pouvez imaginer par les filets dérivants, ça n'a rien à voir avec le CO2 et le réchauffement climatique. Si vous avez 10 fois plus d'énergie dans les navires de pêche, vous mutilez 10 fois plus les fonds marins, ce n'est pas un problème de propreté de l'énergie, c'est un problème de ce que nous faisons avec l'énergie. Je reconnais que c'est trivial ce que je dis là, c'est d'une simplicité biblique mais je n’y peux rien, nos décideurs n'ont toujours pas compris. Plus de moyens sans une révolution des désirs ne signifierait qu'une chose le déploiement de ce que Edgar Morin nomme le Thanatocène c'est-à-dire l'air de la mort.
Onzièmement, Richesse
La suite dans la vidéo…
https://www.youtube.com/watch?v=h9T2DyglJn8