Ovnis, vaccins, Ukraine… Qui est Silvano Trotta, égérie de la "réinformation" ?
Imagination fertile
Par Jean-Loup Adenor et Margot Brunet
Publié le 14/03/2022 à 12:30
Patron d’une entreprise de télécoms le jour, désinformateur en puissance sur le Covid et l’invasion de l’Ukraine la nuit. Depuis deux ans, Silvano Trotta s’est imposé comme un point névralgique de la sphère complotiste en France. Portrait d’un homme à la recherche de notoriété… Au détriment de la vérité.
Extraterrestres qui manipulent l’humanité, puces 5G sous la peau, président Ukrainien dépeint en « drogué nazi », vaccins inutiles et dangereux… En matière de théories du complot, Silvano Trotta* y connaît un rayon. L’homme, né en 1967 et installé dans la région strasbourgeoise est devenu l’une des figures de la désinformation sur la crise sanitaire les plus écoutées. Sur VK, le réseau social russe, il compte 37 000 abonnés, sur Odysee, 68 000 et sur Télégram, il atteint des sommets avec plus de 150 000 abonnés… Sur tous ces réseaux, il prétend informer, pêle-mêle, sur les dangers des vaccins, l’inutilité des masques, et, depuis quinze jours, sur le conflit ukrainien, avec des vidéos prétendant délivrer « la réalité que l’on ne vous montre pas sur l’Ukraine ».
C'est pourtant sur un tout autre registre que Silvano Trotta s'est fait connaître. Le chef d'entreprise est avant tout un « ufologue », ou « soucoupiste », soit un « expert » des ovnis et des aliens. En 2013, il ouvre une chaîne Youtube à ce sujet. « Ce sont les personnes qui s’intéressent à la compréhension et à l’étude des ovnis, ils cherchent notamment à les recenser », explique à Marianne Thomas Margout, historien ayant rédigé une thèse sur le « soucoupisme », synonyme d’ufologie en français. Et d’expliquer qu’il y a « autant d'ufologues que de courants de pensée en ufologie ». Tous, donc, ne portent pas des idées conspirationnistes comme Silvano Trotta. « Ce sont les plus médiatisés, mais pas du tout les plus représentés, ils sont 5 ou 6 %. ils sont vus comme des clowns par le reste de la communauté, qui leur en veut de les décrédibiliser », continue le spécialiste.
Et en la matière, Silvano Trotta est un des plus extrêmes. « Il soutient par exemple que la Bible a été écrite par des extraterrestres, qu’ils ont influencé toute l’histoire de l’humanité », raconte Thomas Margout. Ou encore que ces ovnis sont en réalité… des dieux. Leur durée de vie, beaucoup plus longue que la nôtre, et leur technologie beaucoup plus avancée aurait poussé les Hommes à les confondre avec des divinités. Une théorie proche de celle des « anciens astronautes », mise en image dans le film Prometheus de Ridley Scott, selon laquelle l'humanité aurait été créée par des extraterrestres.
UNE « RÉFÉRENCE » CONSPIRATIONNISTE
Ces théories diffusées par Silvano Trotta auraient pu rester confinées dans le petit cénacle restreint des amateurs d'aliens. Mais lorsque survient la crise sanitaire et qu'il commence à disserter sur le Covid, ses origines et les manipulations des gouvernements, son audience explose. Il s'affiche alors avec d'autres covido-sceptiques très en vue. « Je l’ai connu au printemps 2020, quand il a fait une vidéo avec Thierry Casasnovas », raconte un membre du collectif l’Extracteur – ce même Thierry Casasnovas objet d'innombrables signalements auprès de la Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pour ses régimes pseudo-scientifiques à base de jus de fruits.
Trotta se rapproche aussi de Jean-Jacques Crèvecoeur, complotiste ésotérique canadien, ou de Christian Tal Schaller, qui promeut des médecines parallèles comme « l'urinothérapie » (qui consiste à consommer sa propre urine) et le chamanisme. Les quatre « réinformateurs » participent ensemble à un live sur Youtube en mai 2020.
Quel rapport avec les extraterrestres ? « Pour lui, les vaccins sont le prolongement de ce contrôle de l’humanité, que ce soit par des extraterrestres, par des puces sous la peau… », explique Thomas Margout. Son fil Télégram devient même central dans la sphère covido-sceptique. Chaque jour, il partage autour d’une vingtaine de messages aux 150 000 abonnés qui le suivent. « C’est boulimique chez lui ! », assure-t-on à l’Extracteur. « Il est devenu une référence chez les conspirationnistes de la crise sanitaire, qui le citent très souvent », abonde l'Extracteur.
DES DIZAINES DE MILLIERS D'ADEPTES
Antoine Bayet, journaliste et directeur éditorial de l’Institut national audiovisuel (INA), a publié le 17 février Voyage au pays de la dark information, une enquête sur les réseaux de désinformation en ligne. « Je suis arrivé assez vite sur Silvano Trotta », explique l’auteur. Car en plus de ce fil Télégram, Silvano Trotta ouvre un canal de chat, sur lequel les quelque 9 000 abonnés peuvent cette fois également envoyer des messages. Avec un rythme boulimique, là aussi : jusqu’à 9 500 messages par jour. « Les abonnés sont très engagés, connectés : ils sont des milliers en permanence à suivre le chat, il n’y a aucune modération : c’est là que tout et n’importe quoi s’échange », continue-t-il. Même constat sur la plateforme de vidéo Odysee : là non plus, aucune modération. Pain béni, après que ses comptes Twitter et YouTube ont été suspendus par les plateformes.
Mais l'influence de Silvano Trotta ne se cantonne pas aux réseaux sociaux. « Il a relayé un appel à manifestation à Nancy le 3 juillet 2021 », relate le journaliste. Alors que la préfecture prévoit la venue d’environ 200 manifestants, « ils étaient autour de 3 000. Ce n’est pas un raz de marée, mais au début de l’été, à Nancy, alors que le passe sanitaire n’était pas encore instauré, cela montre que ce genre de réseau a une réelle capacité d’organisation », pointe l'auteur.
« UN COMPLOTISTE NE LAISSE AUCUNE PLACE AU HASARD »
Comment passe-t-on de l’un à l’autre, du covido-scepticisme à la contestation du récit de l’invasion de l’Ukraine, bien souvent lié à un soutien à Vladimir Poutine ? « C’est le principe du complotisme, tout est lié, un grand complot mondial explique tout : les vaccins, la 5G, les guerres, les conflits… », note Thomas Margout. Et après le covid, c'est désormais la crise en Ukraine qui occupe la majeure partie de l’espace médiatique. « Un complotiste ne laisse aucune place au hasard », complète l’historien.
Surtout, la suspension de la chaîne russe RT France électrise le chat de Silvano Trotta. « Pour moi, cela a fédéré la communauté autour du sujet de la crise en Ukraine note Antoine Bayet. Ils reprennent l’idée de l’atteinte à la liberté d’informer, c’est vécu comme une censure ». Une polémique qui s’installe sur un terreau fertile. « Il avait déjà tenu des propos pro-Poutine avant l’invasion de l’Ukraine. Et il est très proche de l’extrême droite américaine, où on retrouve la même rhétorique », continue Thomas Margout.
Depuis que la sous-secrétaire d'État américaine Victoria Nuland a confirmé l'existence en Ukraine de laboratoire de recherche bactériologique, Silvano Trotta relaie plusieurs fois par jour des articles à ce sujet à ses abonnés. Selon lui, les Américains développeraient dans ces laboratoires des recherches des armes biologiques – ce que les Etats-Unis ont fermement réfuté, plusieurs experts indépendants s'accordant aussi à penser qu'il n'existe pas d'armes biologiques en Ukraine. Mais pour Silvano Trotta, aucun doute : « Les Russes parlent d'études d'agents pathogènes ethniques. » « Nous avons découvert qu'ils prélevaient des échantillons de sang de Slaves qui peuvent être utilisés pour créer des agents pathogènes pouvant cibler spécifiquement certains groupes ethniques. »
PÉTRIS DE CONTRADICTIONS
Silvano Trotta est donc un penseur complexe, un homme « pétri de contradictions, note Thomas Margout. Il est antivax, pro-ovni, complotiste, pro-Poutine… Chez lui, il y a à boire et à manger, il coche toutes les cases du complotiste peu instruit ». Quitte à mentir ? « Ce sont des gens qui brassent tellement d’idées complotistes qu’on a l’impression qu’ils veulent surtout le buzz », analyse l'historien. « Pour moi, il y a trois gros profils des promoteurs de la dark information : les motivations politiques, économiques, et personnelles », décrypte Antoine Bayet. Ici, pas de motivation économique. « C’est un patron d’une grosse PME », argue l’auteur, pour qui Trotta ne paraît pas spécialement promoteur d’un courant politique. Ne reste donc que la dernière catégorie. Même constat pour l’Extracteur : « Lui, c’est la gloire qu’il recherche ! ».
En septembre 2020, Silvano Trotta lance l’association Bon Sens avec le gratin de la sphère antivax la plus médiatisée. Objectif affiché : veiller « à ce que toute activité et tout projet médical, de transition énergétique ou environnementale quels qu’ils soient tant à l’échelon local (municipal, départemental, régional) que national s’exerce dans le respect des Français, de la Constitution », selon les statuts de l’association. Le signe que l'influenceur cherche à structurer son mouvement ?
*Contacté, l'intéressé n'a pas souhaité répondre aux questions de Marianne
Par Jean-Loup Adenor
Ce type est une véritable curiosité.
Et il en fait.