Merci beaucoup pour cette traduction. Elle m'a donné l'occasion d'analyser plus en détails cette conférence et d'y repérer des affirmations à mon sens erronées ou a minima très discutables (un excès de confiance dans l'auteur, lié à d'autres conférences du même auteur, lues en détail et avec attention elles, a engendré une lecture trop confiante et bien trop superficielle). Je remets une grande partie de ta traduction avec des modifs mineures non signalées (visant le plus souvent à raccourcir certaines phrases) et des remarques importantes (de ma part) rajoutées en bleu et italique.
Philosophie : l’argument du réglage fin et l’hypothèse du multivers.
1/ Constantes de la physique et très faible entropie de l’univers à ses débuts
Certains paramètres physiques de notre univers sont ajustés de manière à rendre possible l’existence de la vie.
Mmmm... Plus correctement, l’appartenance de certaines constantes de la physique de notre univers à une plage de valeurs extraordinairement étroite est requise pour que l’émergence de la vie soit possible.
C’est extrêmement improbable en l’absence d’explication. En effet, ces paramètres doivent avoir des valeurs extrêmement spécifiques pour que la vie soit possible. Exemples :
- Si la constante gravitationnelle G était légèrement plus grande que ce qu’elle est, l’univers se serait effondré bien avant que la vie ait pu émerger.
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- Si cette constante était légèrement plus petite, l’expansion de l’univers aurait été trop rapide pour permettre la formation des étoiles — et donc, là encore, aucune vie ne serait possible.
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- si les protons étaient 2,2 % plus lourds, ils se désintégreraient en neutrons. Cela déstabiliserait les atomes et aucune forme de vie ne pourrait apparaitre.
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- Enfin (entre autres) l’entropie de l’univers lors du Big Bang, est extraordinairement faible. Selon Roger Penrose sa probabilité serait de l’ordre de 1 sur 10 puissance 10 puissance 123. Cet état initial d’entropie extraordinairement faible est à l’origine de tous les processus que nous observons dans le monde aujourd’hui.
Là un commentaire est nécessaire :
cette probabilité est celle du macroétat de l’univers à ses débuts. Ce macroétat rassemble le très, très, très, très… petit ensemble de microétats indiscernables quand ils sont connus par leurs seules grandeurs macroscopiques associées (les grandeurs pertinentes à notre échelle d’observation macroscopique). Les microétats, eux, sont équiprobables pour la mesure canonique ayant cours dans l’espace des phases. L’extraordinairement faible probabilité du macroétat rassemblant les microétats ayant mêmes grandeurs macroscopiques n’a pas d'existence sans recours à notre grille de lecture d’observateurs macroscopiques (les êtres vivants)…
…cela fait dire à Carlo Rovelli (cf. Why do we remember the past and not the future? The ‘time oriented coarse graining’) que l’hypothèse du passé, c’est-à-dire la croyance dans le fait que les traces du passé nous fournissent une information correcte sur ce qui s’est « réellement » passé malgré la probabilité quasiment nulle qu’elles soient justes (et ce sans même remonter plus loin que quelques mois d’ailleurs) est perspectivale (je n’ose pas traduire) autrement dit, que cette très faible entropie est une conséquence de notre grille de lecture d'observateurs macroscopiques…
…ce qui est (semble ?) en fait tautologique puisque l’entropie dite pertinente (cad le manque d’information dont les observateurs macroscopiques disposent sur l’état des systèmes avec lesquels ils interagissent, cf. Incomplete descriptions and relevant entropies) caractérise précisément notre grille de lecture thermodynamique statistique d’observateurs macroscopiques (d’êtres vivants).
Notre grille de lecture fait émeger, en fait, toutes les lois et propriétés physiques que nous observons et auxquelles, fatalement, nous attribuons un caractère objectif (en raison de la reproductibilité et de l'intersubjectivité des informations sur notre interaction avec l’univers émergeant de notre grille de lecture thermodynamique statistique commune).
2/ Les explications proposées
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4] grandes explications sont généralement proposées :
1. Le dessein intelligent, parfois appelé Dieu : certains pensent qu’un être intelligent et extrêmement puissant a intentionnellement réglé les paramètres de l’univers pour rendre la vie possible. Cet être devrait être presque surnaturel, puisqu’il aurait la capacité de modifier les constantes des lois de la nature.
2. L’hypothèse du multivers : selon cette théorie, il existerait un très grand nombre d’univers différents, chacun ayant des constantes physiques distinctes. Par exemple, la constante gravitationnelle pourrait varier d’un univers à l’autre. Seuls les univers dont les constantes permettent l’existence de la vie contiennent des observateurs. Ainsi, chaque fois qu’un observateur regarde, il constate que les constantes sont dans la bonne plage.
3. La très faible entropie d l’univers et la valeur des constantes de la physique sont la conséquence de notre grille de lecture d’êtres vivants (caractérisant notre mode d’interaction avec l’univers). L’émergence de la vie pourrait donc être interprétée comme une cause et non comme une conséquence des propriétés que nous attribuons à l’univers.
4. On n’en a pas la moindre idée
Ces deux théories — le dessein intelligent et le multivers — sont les principales explications proposées. Il est très difficile d’en imaginer d’autres, même s’il est possible qu’une explication encore inconnue existe. En général, les partisans de l’une de ces théories cherchent à critiquer l’autre.
3/ L’explication par l’existence d’une multitude d’univers (inobservables)
L’explication par le multivers est parfois considérée comme un exemple de raisonnement anthropique, faisant appel au principe anthropique. Mais lorsqu’on lit la littérature sur le sujet, il est difficile de déterminer exactement ce que ce principe signifie, car les définitions varient et les auteurs ne sont pas toujours d’accord.
- Parfois, le principe anthropique est présenté comme une tautologie : si vous êtes un observateur, alors vous devez vous attendre à vous trouver dans un type d’univers qui permet aux observateurs d’exister car les observations ne se produisent que dans des conditions où les observations peuvent avoir lieu.
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- Mais parfois, il semble que ce soit une idée plus forte — et apparemment fausse — selon laquelle, par exemple, il ne serait pas nécessaire d’avoir une autre explication pour le réglage fin, parce que les observateurs ne peuvent exister que dans des univers où les paramètres permettent la vie.
Cela ne répond pas vraiment à la question de savoir pourquoi ces paramètres ont les valeurs qu’ils ont. Dire simplement que nous ne pouvons observer que des univers compatibles avec la vie ne nous dit rien sur la probabilité [
très gênant ce qualificatif non défini de probabilité. Cela laisse entendre que cette probabilité aurait une existence objective/absolue ne nécessitant pas de définition et d'explication à donner quant à ce que signifie cette définition] que de tels univers existent en premier lieu.
Certains défenseurs de l’hypothèse du multivers affirment que le réglage très précis de notre univers constitue une preuve en faveur de l’existence du multivers. Rappelons une citation de Tegmark : « La plupart, sinon toutes les propriétés déterminées par la rupture de symétrie semblent être finement réglées. Modifier leurs valeurs même légèrement aurait donné lieu à un univers qualitativement différent — un univers dans lequel nous n’existerions probablement pas… Ces exemples suggèrent l’existence d’univers parallèles avec d’autres valeurs des constantes physiques. »
Est-ce vrai ? Le réglage fin est-il réellement une preuve de l’existence d’autres univers ?
J'aurais plutôt dit : l'existence d'une multitude d'univers inobservables (tant pis pour Occam), munis de propriétés et constantes physiques différentes, pourrrait-elle être une explication envisageable quant à la très faible probabilité qu'un univers possède des valeurs, pour ses propriétés et constantes physiques, contenues dans les très étroites plages compatibles avec l'émergence de la vie ?
4/ L’objection dite « cet univers » à l’hypothèse des univers multiples
Pour expliquer cette objection, commençons par une analogie : on lance une pièce 10 fois, successives. Imaginons que l’on obtienne 10 fois face. Question : est-ce une preuve qu’il existe beaucoup d’autres pièces lancées quelque part ?
Intuitivement, vous voyez bien que la réponse est non.
Si vous pensez que 10 faces consécutives sont une preuve qu’il existe beaucoup d’autres pièces lancées au moins 10 fois, alors n’importe quel résultat que vous obtenez pourrait être interprété comme une preuve de l’existence d’autres pièces. Car chaque séquence de 10 lancers a la même probabilité — soit 1 sur 1 024.
On retombe, au passage, sur le caractère seulement intersubjectif (propre aux êtres vivants) de la notion de probabilité (du macroétat initial de l’univers) introduite sans qu’elle soit précisée et interprétée par Michael. La faible probabilité que nous attribuons à l’état macroscopique initial de l’univers découle de notre façon (seulement intersubjective) de partitionner son espace de phase, c’est-à-dire de regrouper en un même état dit macroscopique des états microscopiques distincts (et fictifs. Un seul microétat est réel) équivalents du point de vue de notre « myopie » d’observateurs macroscopiques (d’êtres vivants).
De façon imagée, si on considère chaque série de lancer de 10 pièces individuellement (cad sans regrouper ces séries de 10 lancers en séries ayant le nombre de faces) alors toutes les séries de 10 lancers possibles sont équiprobables (tous les microétats fictifs de l’univers ont même probabilité que son microétat réel).
Donc, si vous considérez que ce résultat particulier est une preuve de l’existence d’autres pièces, alors tout résultat le serait aussi. Et cela ne tient pas.
Mouais… On peut quand même noter, quand on obtient 10 faces successives, qu’avant d’obtenir ce résultat bien d’autres personnes ont effectivement déjà tenté l’expérience et ont obtenu moins de faces nettement plus souvent.
L’existence de plusieurs pièces ne permet pas d’expliquer la preuve, car elle n’augmente pas la probabilité que cette pièce tombe sur face dix fois…
…Ma foi… si les autres pièces sont inobservables (parce que l’obtention de 10 faces est requise pour qu’elles deviennent observables) la probabilité de 10 faces successives observables devient égale à 1.
Maintenant, si vous acceptez cela, appliquez-le à l’hypothèse du multivers : L’existence d’autres univers augmente la probabilité qu’il y ait au moins un univers qui permette la vie. Mais elle n’augmente pas la probabilité que cet univers permette la vie… …mais elle augmente considérablement la probabilité pour que cet univers soit observé (car observable).
Donc, tout comme dans le cas du lancer de pièce, notre preuve est totalement sans rapport avec la théorie du multivers. L’existence de ces autres univers n’a aucun effet sur la probabilité de notre preuve, et donc notre preuve ne soutient pas du tout cette hypothèse…
…je ne suis pas d'accord avec ce raisonnement.
5/ Conclusion
Une autre analogie est celle du peloton d’exécution… …Cette analogie est similaire à celle du lancer de pièce, mais elle montre aussi que le raisonnement anthropique — quelle que soit sa définition exacte — n’est pas pertinent ici.
Il est vrai que vous ne seriez pas là s’ils n’avaient pas tous raté leur cible — ce qui est exactement comme le fait que nous ne serions pas là si les paramètres de l’univers n’avaient pas été ajustés de manière à rendre la vie possible…”
La preuve du réglage fin soutient le multivers uniquement si les personnes peuvent exister dans plusieurs univers. Sinon, la théorie du dessein intelligent reste la principale alternative…
Pas, du tout en phase avec le caractère inacceptablement affirmatif de cette conclusion, ni avec la quasi élimination de l’hypothèse d’une multitude d’univers inobservables, ni avec l’absence d’autres alternatives (dont notre parfaite ignorance de ce qu’elles pourraient être) ni avec l’importance non signalée du caractère seulement intersubjectif du fine tuning et de la faible probabilité de l’état initial de l’univers (comme d'ailleurs toutes les lois et propriétés que nous attribuons à nos interactions avec l’univers, cf. La vidéo conférence sur flèche du temps) …
… mais cela n’élimine pas le fait qu’à ce jour il n’y ait pas d’explication convaincante et unanimement acceptée relativement au fine tuning.