Popofleprof a écrit :Hors sujet!
Diantre! quelle idée! " Comment avez-vous vécu ce 11 septembre 2001?" "Ce que vous avez pensé PENDANT le déroulement de ces attentats!" Je crois bien que c'est en plein le sujet!
Après l'éblouissement d'un événement hors du commun, où son éclat aveugle momentanément, lorsque la poussière retombe, c'est là où les détails d'un pointilleux prennent toute leur importance. Lors d'une enquête, aucun détail ne peut être jugé "insignifiant".
Je vous avertis, c'est long!
Bon, j'étais en train de travailler, installé dans mon très petit espace de travail, au bas étage d'un institut scientifique d'une ville où j'étais installé depuis 2 mois et quelques jours.
Je travaillais à l'époque pour un chercheur dans la fin cinquantaine, que je connaissais de réputation avant même penser travailler pour lui un jour. J'avais lu de ses articles au cours de mes études et travailler avec lui était un honneur. Le projet était motivant. Le salaire était correct, sans plus, les conditions de travail inexistantes: pas d'air climatisé, pas de fenêtre directe, présence de rongeurs, assis sur une chaise en bois (excellent pour le dos toutefois) devant un espace de travail bi-dimensionnel (hauteur et largeur, pas de profondeur), dans un couloir où passaient des gens en route vers le toaster, la bouilloire et l'évier. Mon collègue russe au passé nébuleux (ancien prof de mathématique en Afrique), assis derrière moi face à l'autre mur, ne pouvait reculer sa chaise en même temps que moi, à défaut de quoi nous entrions en collision.
Je n'avais aucun syndicat mais je devais me taper les aléas de grèves causées par les employés syndiqués. Mon contrat était d'une durée 4 mois et j'ignorais ce qui allait s'ensuivre en novembre. J'avais juste 25 ans, et je ne me plaignais de rien! L'ensemble de mes possessions entraient dans ma voiture. Je me sentais libre. C'était ma troisième ville en 3 ans.
Ce matin de septembre, vers les 10h (heure locale), mon patron (le chercheur à la tête carrée blanche, ex-blond / rouquin, le dos bien droit, joggeur actif, lucide et en forme malgré une bataille passée contre le cancer) est venu me raconter, avec calme mais gravité, les évènements ayant mené à la chute d'une tour du WTC. Il m'a raconté le tout très chronologiquement. C'est sa femme qui lui avait appris les faits, par téléphone. Elle voyait ça à la TV. À ce moment, d'autres avions étaient encore portés disparus. Par souci professionnel, ni l'un ni l'autre n'avons regardé quoi que ce soit sur le web. Sa femme le tenait au courant par téléphone, et il me tenait au courant.
Je continuais de travailler, tout en pensant à ça. J'avais déjà vu le WTC il y avait à peine 4 mois. Je me souvenais de sa hauteur. Je me demandais où aboutiraient les autres avions. Comment ça avait pu se produire? Mon collègue russe m'a parlé d'"hijacking". Jusque là, je ne connaissais pas le terme anglais pour "détournement". Graduellement j'ai appris la suite des évènements, de bouche à oreille.
Des gens ont fait imprimer une des premières photos disponibles sur le web d'un avion coincé dans une tour, au moment de la collision et les exhibaient, comme un trophée. Dans les couloirs, des scientifiques, ingénieurs, et surtout informaticiens, s'érigeaient en experts et y allaient de leur petite explication, toute hautaine, sur le comment de la chute des bâtiments, à partir de rien.
Je me suis concentré sur mon travail. "Je regarderai tout ça après le travail", me disais-je (oh, j'ai changé, parfois j'écris sur le forum en plein jour, pendant des pauses.. c'est clair que je n'ai plus la même job).
Sur l'heure du midi j'ai terminé un courriel, commencé deux jours plus tôt, destiné à un copain d'université qui travaillait à plus de 5000 km d'où j'étais, à l'autre océan. Il y travaillait comme scientifique de la défense nationale. Je n'ai pas pu m'empêcher d'ajouter un paragraphe en fin de courriel. Je n'ai plus le courriel en question, mais ça allait comme suit: "Ça va probablement barder à ton travail dans les jours qui vont suivre! Je ne sais pas grand chose. Il y a peut-être des choses que tu comprends mieux que moi dans ces histoires. Je me demande si la réelection frauduleuse de Bush n'a pas quelque chose à voir là-dedans".
Ce que je croyais, en cet instant même, c'était que ces "évènements du 11 septembre" étaient le début d'une guerre. Ne riez pas! Les actes terroristes de cette magnitude, en sol américain n'avaient jamais eu lieu. Les histoires de Proche et Moyen-Orient, je ne m'y attardais jamais. Les attentats terroristes avaient souvent lieu dans des ambassades étrangères. Les terroristes locaux du type McVeigh ou Unabomber ne visaient pas de tels moyens. Je connaissais mieux le conflit bosniaque que le conflit israelo-arabe, c'est pour dire. Je n'avais pas pensé à la thèse "kamikaze". "Un acte de la sorte, ça ne peut être effectué par un groupe à moins qu'il ait les moyens de se défendre suite à ces attaques, donc de mener une guerre", pensais-je. Je n'avais pas appris la simplicité des moyens. Je croyais qu'un commando armé avait détourné des avions. Je pensais donc, en terme historiques, à l'attaque d'une nation (ou d'une faction d'une nation) envers les USA.
Mais petit à petit, les rumeurs ont fait leur chemin. Et j'ai entendu parler de musulmans, de kamikazes, de liens avec l'attentat du WTC en 1993. J'ai abandonné l'hypothèse du début d'une guerre pour de bon.
En début d'après-midi, ma copine m'a appellé. Les mardi et jeudi nous allions méditer dans un temple bouddhiste vers 19h. Parfois nous nous rencontrions avant. Elle vivait avec ses parents, ne travaillait pas, demeurait un peu loin du centre-ville et ne savait pas conduire. Elle profitait donc de ces sorties au temple pour aller prendre un verre avec moi, parfois avant, et toujours après. Elle m'appelle donc ce mardi là, pour planifier une rencontre avant d'aller méditer. Cette fois-ci je lui ai dit non.. car je voulais retourner chez-moi et écouter la télé un peu, pour en apprendre sur ce qui s'est passé. Elle ne comprenait pas ma réaction. Elle avait baigné dans les échos médiatiques toute la journée, donc elle en avait assez. Pas moi..
On a donc décidé de se rejoindre au temple. Cette fois-ci, ses deux parents y allaient. Son père n'y allait presque jamais. Sa mère y allait toujours (j'avais d'ailleurs fait connaissance de la mère avant de rencontrer la fille).
En sortant de l'institut, juste parvenu à l'entrée, j'entendais des bruits de télévision. Les gardiens de sécurité avaient fait installer une petite télé pour suivre tout ça. À travers la télé, j'entendais les sirènes de police, voix de correspondants, témoignages hystériques, en pleurs, etc. Je me suis dit.. "ça commmence". Ça a duré !
En retournant chez-moi, à vélo, j'entendais beaucoup de sirènes de police. C'était la frénésie. J'habitais à 1500 km de New York par voie terrestre, mais à environ 500 miles nautiques par voie maritime. C'est une ville côtière possédant une flotte militaire et qui est dépositaire d'une importante réserve de munitions militaires du pays. Bref, il y avait du travail à faire en ce 11 septembre chez les militaires et la police (escortes, etc). S'assurer de sécuriser tous les lieux, mettre la marine en garde. Un navire militaire a même été déployé dans le port, exceptionnellement, en guise d'exercice, question de montrer les dents.
Il y avait de l'agitation, ça se sentait. Je suis arrivé chez-moi, je me suis fait des pâtes et me suis écrasé devant la télé. J'avais l'impression tout à coup que le quotidien faisait relâche. Je trouvais frustrant que l'information soit confuse, parfois contradictoire, changeante.
Ma coloc est arrivée. C'était une femme plus âgée, qui travaillait avec les handicapés, fanatique de vélo et d'écologie. En voyant les images des avions dans les tours elle m'a dit : "Combien de fois doivent-ils le montrer ?". J'étais d'accord.. c'était redondant, presqu'en boucle. On écoutait encore les développements, et ça parlait déjà de retaliation. Elle a dit, ironiquement : "Ça va régler le problème!!! Tuer plus de gens!!". J'étais d'accord avec elle, mais elle l'a dit et pensé bien avant moi.
Je suis arrivé au temple déjà un peu saturé. Enfin un peu de silence, me suis-je dit. Mais en entrant j'ai constaté avec effroi qu'il y avait deux fois plus de gens qu'à l'habitude. Pourquoi, tout à coup ? La réponse était évidente. Ils étaient venus chercher "une réponse". Mais en méditant on ne parle pas. Tant mieux.
Il n'y avait qu'un moine au temple, depuis le début de l'été. Il n'était pas de la tradition du temple, donc il n'enseignait pas, ou très peu. Il se contentait de sonner la cloche, et parfois de lire un petit texte et animer une discussion entre ceux qui voulaient bien rester, lors du dimanche avant-midi. Les "vrais" moines de ce temple étaient d'une tradition mahayaniste chinoise, et étaient repartis en Chine depuis le début de l'été pour régler des choses. Le moine ambulant était du Theravada sri lankais, et la "clientèle" du temple s'était élargie en dehors de la communauté chinoise pour la période. En temps normal, il n'y aurait eu que des Chinois.
Cette journée là, pour conclure, le moine a décidé de nous lire un texte sur la mort. Le texte était de Khalil Gibran, ce qui détonne (Gibran n'est pas bouddhiste, mais le moine était très ouvert et peu orthodoxe). Les gens n'étaient pas satisfaits. Quelqu'un a demandé.. "Peux-tu svp nous dire quelques mots à propos de ce qui s'est passé aujourd'hui ?"
Je voulais mourir, ou du moins, m'en aller. Qu'est-ce qu'on peut bien dire? Le moine a dit "Je viens de vous lire un texte sur la mort". En fait, depuis l'après-midi, des gens l'appellaient pour entendre SA version, SES opinions, sur les évènements. On ne pense pas à ça, mais beaucoup cherchaient un renfort "spirituel" ce jour-là.
Les parents de ma copine, qui connaissaient bien le moine bouddhiste, sont restés pour prendre le thé et des biscuits avec lui, en compagnie de quelques autres. Comme d'habitude, ma copine et moi les avons accompagnés. Ses parents, originaires de l'Inde, appartiennent à une secte qui n'est pas bouddhiste, mais quand même syncrétiste, ce qui les amènait à fréquenter ce temple (en plus de conduire des cérémonies plus "sérieuses" dans une pièce de leur maison qui servait de sanctuaire). Ils ont toujours essayé d'être stricts avec leur fille, mais ils avaient perdu le contrôle depuis longtemps sur beaucoup de points qui leur étaient chers. Ils avaient réussi à lui inculquer la secte (la croyance au gourou et à ses "prouesses" surnaturelles, les séjours à l'ashram, etc), mais ils avaient perdu sur les autres plans : drogue, alcool, éducation, style de vie, honnêteté, responsabilités... Je ne suis pas resté très longtemps avec.
Comme j'ai écrit plus tôt, ma copine utilisait ces escapades pour échapper au domaine familial, et ses intentions paraissaient mieux si elle restait pour le thé. De plus, elle aimait bien le moine ambulant. Il était fort sympathique. Originaire de Jamaïque mais à moitié Chinois, il avait un passé de hippie passablement camé, voyageur, amateur de religions orientales, qui l'avait mené à être ordonné moine theravadin au Sri Lanka.
Pour en revenir à cette soirée de septembre, la discussion tournait autour des évènements de la journée, et à un moment donné est sorti le mot que je redoutais depuis le début : KARMA. Le père de ma copine a lancé ce mot. "C'est le karma!!!" Voilà. Tout est dit. "Les américains sont victimes de leur propre karma. Rien de plus à expliquer". Ces gens, qui auparavant semblaient animés d'une peur et d'un désarroi (fallait les voir, suppliant le moine de leur expliquer un évènement tout à fait indépendant de sa qualité de moine) étaient tout à coup soulagés. Un après l'autre.. "Bien sûr, c'est le karma!!". Fiou!! "Moi, j'ai un bon karma", pensaient-ils probablement chacun dans leur for intérieur.
Je n'ai jamais "cru" au bagae surnaturel du bouddhisme, quand il y en a. Je ne crois donc pas au karma surnaturel. J'en ai déjà parlé. J'avais toujours cherché à éviter ces discussions. Mais là, j'étais en plein dedans. La discussion a pris une tournure anti-américaine primaire. Une dame particulièrement chtarbée a fait intervenir les évènements du Viêt Nam dans l'explication du karma menant au 11 septembre. Tout à coup, plein de gens étaient des experts et pouvaient juger.
Ma copine et moi étions dégoûtés. Tout comme la mère de ma copine, qui s'est couché le front contre table, ayant honte de son mari, pourtant prof d'économie, qui réduisait tout au "karma" et qui se plaignait du même souffle qu'il aurait de la difficulté à se rendre en Inde visiter son gourou la semaine prochaine, vu qu'il a le teint foncé et que la sécurité serait renforcie dans les aéroports.
Après avoir quitté le temple, on s'en est allé prendre un verre. Depuis que je connaissais cette fille, je découvrais graduellement tous les bars, j'apprenais les trucs sur les offres spéciales, les stratégies qu'elle affectait pour se saouler la gueule de façon économique. Vraiment génial pour moi qui étais dans cette ville depuis peu et dont mes amis étaient, comme moi, nouvellement arrivés pour la plupart. Je faisais la connaissance de ses vieux copains, je découvrais des groupes de musique, des endroits géniaux et originaux.
Pour une raison que j'ignore, ma copine a choisi un établissement qui avait réouvert récemment, ce soir-là, et où elle n'était pas allée depuis bon nombre d'années. C'était devenu un bar pour gais et lesbiennes. Ce mardi là, il y avait deux filles à l'intérieur et deux types sur la terrasse. On a bavardé un peu, et quelqu'un a abordé les évènements de la journée. Ma réaction fut la même que celle de ma copine .. "On en a assez entendu parler pour aujourd'hui!". Ça n'a pas été long.. Ils ont semblé soulagés de ne pas "devoir" en parler, eux aussi. On a parlé d'autre chose et on est rentrés assez tôt. Depuis, j'ai réalisé que les gens de mon âge, moi-même inclus, et plus jeunes, avons tendance à ne pas aimer parler de ces évènements. Comme ceux-ci ont été récupérés à des fins patriotiques et sentimentales, ça ne fait pas très chic de commenter à leur sujet.
Je me rappelle des jours qui ont suivi .. pompiers, anthrax, Afghanistan, départ des navires, etc. Les grèves qui faisaient rage quelques jours auparavant connaissaient une trève, "par respect des victimes". Notre institut a vu la sécurité renforcie d'un cran. Dans l'autobus, j'ai vu un jeune homme d'origine locale interrompe deux gars qui parlaient en arabe, assez impoliment, pour leur demander d'où ils venaient et ce qu'ils faisaient ici, dans SON pays. Le proprio d'un de mes amis voulait renvoyer des locataires d'un autre logement qui ne payaient pas à l'heure, et qui étaient originaire du Moyen ou Proche-Orient.. tout à coup. Mais en aucun cas je n'ai entendu parler de théories du complot.
La dénonciation de la rétaliation prématurée des américains a largement été décriée, surtout par les médias "alternatifs" (artistiques) au début. Les autres médias ont été un peu lents.
Alors voilà. Dans une seule journée j'ai entendu les commentaires que j'ai entendu 10000 fois depuis. L'approche du je-sais-tout, qui avec un JPG imprimé en couleur théorisait sur la mécanique interne des bâtiments face à la chaleur. L'approche des gens apeurés qui voulaient à tout prix trouver l'explication qui les mettrait hors de portée (ceux qui croient au karma, que c'est bien mérité). La xénophobie..
Et les gens comme ma coloc, qui trouvaient cet attentat moche mais qui demandent un peu de dignité et de logique dans tout ça. C'est le point de vue que je trouve le plus sage.
Le complot, c'est venu après, au début avec le "Réseau Voltaire", mais c'était assez farfelu et pas pris au sérieux dans mon entourage. Les premières questions sérieuses que j'ai entendues sont venues de Michael Moore. C'était avant ses films Columbine et Fahrenheit.. c'était lors d'une entrevue à la radio. Début 2002.
Personne dans mon entourage n'a parlé de complot le jour même ni dans les semaines qui ont suivi.