Mila...
juste à rappeler un prénom, une vie, une existence, une personne, à redonner un visage, à replacer une personne dans la vraie vie, à lui restituer une existence...
juste à ne pas oublier que Mila reste une victime, jusqu'à quand?...
juste à rappeler que les abrutis responsables de la situation de Mila, encore anonymes,"courent" toujours...
juste à rappeler que l'intolérance au nom d'une idéologie, quelle qu'elle soit, surtout à ce point, n'est pas justifiable ...
juste à rappeler qu'on a parfaitement le droit légitime de ne pas se sentir concerné(e)(s) mais, jusqu'à quel degré?
juste à rappeler qu'il existe encore des media avec des journalistes qui font leur boulot, qui assument et s'assument
juste à rappeler que quand on la ferme,quand on détourne le regard, quand on change de trottoir, on sait où ça peut très vite conduire
juste à rappeler que ça peut toucher n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, 24 heures sur 24, tous les jours de l'année...
juste à rappeler que Mila est plutôt lucide, déterminée, et qu'elle possède des neurones qui fonctionnent
EXCLUSIF. Mila : « Ça fait un an que j’ai perdu ma vie »
GRAND ENTRETIEN. À 17 ans, Mila est toujours menacée par des islamistes. Nos lâchetés, la « mini-charia », la sexualité, Macron... Elle se confie au « Point ».
Propos recueillis par Peggy Sastre*
Publié le 20/01/2021 à 18h30 - Modifié le 21/01/2021 à 06h34
Un an que la vie de Mila a basculé. Le 18 janvier 2020, cette jeune Franco-Allemande née en Essonne, installée depuis l'enfance dans la région lyonnaise, lance un « live » sur Instagram. Elle ose y affirmer ses goûts amoureux (« les Reubeus » c'est « pas trop mon style ») et se fait copieusement insulter (« gouine » ; « inch'Allah tu meurs, sale pute… »). En réaction, elle s'en prend à l'islam en des termes crus. La vidéo - censée rester privée - devient virale et signe le début de « l'affaire Mila ». Depuis, ces images ont été vues 35 millions de fois ; plus de 50 000 menaces de mort ont déferlé sur la jeune femme, qui, en mars, fêtera ses 18 ans.
Elle est l'adolescente la plus menacée de France, une énième victime de l'obscurantisme islamiste, mais, au fond, qui est Mila ? Cet entretien exclusif éclaire la personnalité de cette jeune fille au courage admirable, qui revendique son droit au blasphème quand la République semble prête à y renoncer. Ce qui frappe, c'est sa force, sa résilience, son courage. Elle ne s'excuse pas, car elle n'a jamais dérapé, versé dans l'injure raciale. Notre entretien s'est déroulé le samedi 16 janvier, durant deux heures, via Skype. Un dialogue s'était engagé quelques mois plus tôt, sur les réseaux.
« Harcelée ». Dans un tweet posté le 17 janvier, quelques heures après cette interview, Mila a mêlé gravité et dérision : « Aujourd'hui, ça fait un an que je suis harcelée sur Internet et que je risque de mourir égorgée, chaque jour, dans le monde réel. Un an que j'ai appris que ma vie ne serait plus jamais la même. Mais faites péter la vodka, il faut fêter ça bordel ! » Des centaines de « followers » lui ont apporté leur soutien, mais les insultes ont vite repris le dessus. « Tu mérites qu'on t'enterre vivante », a réagi Fadia, planquée comme les autres derrière son pseudo. « Je vais encore devoir aller déposer plainte », soupire la maman de Mila.
Procès « Charlie » : « Ces complices intellectuels qui ont du sang sur les mains » « Qui peut imaginer ce que vit cette jeune fille, bunkérisée comme les gens de Charlie Hebdo ? » s'indigne l'avocat de la famille (et de Charlie), Me Richard Malka. « Mila a compris qu'elle ne pourrait plus retrouver sa vie d'avant : sortir, recevoir ses amis… Notre domicile est protégé nuit et jour. Alors, forcément, elle a des hauts et des bas », confie sa mère. Ses parents évoquent une « cinglante désillusion » : « Constater à quel point la haine est répandue à travers la manière dont notre fille est salie, le plus souvent par des jeunes, nous afflige. On se dit : "Avec de telles personnes, de quoi sera fait l'avenir ?" »
Le 4 décembre, le président Macron confiait au média en ligne Brut : « Vous avez une jeune fille qui critique l'islam sur les réseaux, elle est harcelée, elle ne peut même plus être dans une école […]. Ça veut dire qu'on est devenus fous. » Une semaine plus tard, Mila était exclue de son lycée militaire. Le ministère de la Défense, qui lui imposait le silence, a invoqué des motifs de sécurité. Elle suivra bientôt des cours à distance.
Aujourd'hui, Le Point lui redonne sa liberté de parole.
Le Point : Vous donnez l'image d'une jeune femme vivant pour ses passions, quelles sont-elles ?
Mila : J'en ai trois, à égalité. La musique, l'écriture et le maquillage artistique et d'effets spéciaux. Cette dernière est la plus récente. J'ai commencé à me maquiller comme toutes les adolescentes, vers 11-12 ans, au départ parce que j'étais complexée par mes cils et sourcils, que j'ai très blonds. Ensuite, je me suis mise au fond de teint pour cacher mes boutons. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à regarder des vidéos de maquillage, mais sans plus, ce qui ne m'a pas empêchée de passer par toutes les étapes foireuses [rires]. Les trop gros sourcils, le fond de teint orange alors que je suis très blanche de peau… J'ai mis des années à apprendre. C'est avec le premier confinement que j'ai commencé le FX [maquillage effets spéciaux, NDLR], à me faire des flammes sur le visage, à me colorer le torse en rose, ce genre de choses, en improvisant ou en prenant des modèles. Et là, j'ai compris que ce n'était pas qu'un passe-temps. Que ce soit un loisir ou un métier, peu importe, je veux me lancer dans le maquillage. C'est une activité qui me fait tellement de bien. Quand je me maquille ou quand je maquille quelqu'un avec un maquillage sophistiqué, élaboré, atypique, c'est une manière de m'exprimer très importante pour moi. Je me sens davantage moi-même. Et ce n'est pas forcément pour être plus jolie. Autour de moi, quasiment tout le monde dit me préférer le visage nu, mais la Mila beaucoup maquillée, c'est moi. Si je n'ai pas plein de couleurs, des dessins sur le visage, je ne me sens pas moi-même. Ou je me sens moins moi-même.
Et l'écriture ?
L'écriture et la musique, c'est plus ancien. Je crois que j'écris depuis toujours, que ce soit des poèmes ou des chansons. J'ai toujours rêvé d'écrire un livre. Mais ça s'est accéléré au lycée, lors de ma première année de seconde dans un établissement privé catholique. Il y avait ce cours de « littérature et société » qui était génial. J'adorais ce cours où tout était consacré à l'écriture. On arrivait, on posait nos fesses et on était libres d'écrire ce qu'on voulait durant tout le cours. Avec ma prof, je me suis sentie très libre. Elle m'a dit que je pouvais tout écrire, un livre, des poèmes, des chansons, ce que je voulais. C'est là, il y a deux-trois ans, que je me suis mise à vraiment écrire, pour moi ou pour le publier. En plus, c'était un moyen de me sentir moins seule.
Pourquoi ? Vous n'aviez pas d'amis dans ce lycée ?
Non, c'était l'établissement où j'ai fait toutes mes classes de collège, mais mes amis étaient partis dans d'autres établissements. Je me suis donc retrouvée avec des nouveaux, ou des anciens qui ne m'aimaient pas. Entre les cours, je passais donc énormément de temps seule à écrire, quel que soit le support. Des carnets, mon téléphone, une tablette…
Créativité. « Si je n’ai pas plein de couleurs, des dessins sur le visage, je ne me sens pas moi-même. Ou je me sens moins moi-même. »
Vous savez ce que vos camarades vous reprochaient ?
Oui, mais je n'avais rien à me reprocher, en réalité. Si les élèves ne m'aimaient pas, c'est parce que je m'habillais court, trop sexy, ou dans un style vestimentaire très différent et décalé. Je pouvais arriver en mini-short, crop top [haut découvrant le nombril, NDLR], décolleté et collants résille. J'avais donc la réputation de la prostituée de service, j'étais très mal vue et insultée en permanence.
Et comment vous le viviez ?
Mal. Sur les réseaux sociaux, quand je me fais insulter, ce qui arrive tous les jours et plusieurs fois par jour depuis un an [rires], je bloque et je passe à autre chose. Mais dans la vie, non, je n'arrive pas à ignorer. Sans compter qu'il y avait aussi des réflexions du côté des adultes…
De professeurs qui vous reprochaient votre look ?
Totalement. Souvent, je rentrais en classe et on me virait du cours juste parce qu'on voyait un tout petit bout de mon ventre. Alors j'allais dans le bureau du CPE, un monsieur très gentil qui ne savait pas trop quoi faire ni dire. On m'a fait aussi une réputation de droguée, alors que, si c'est vrai que j'ai un peu fumé, jamais je ne me suis affichée en cours. Mais voilà, j'étais la camée, la pute, et j'étais tout le temps dans ma bulle.
À cause du regard des autres ?
Oui et non. J'ai toujours été dans un autre monde, mais c'est vrai aussi que j'ai toujours été harcelée, même en sixième. Une fois, par exemple, je sortais de cours, je descendais les escaliers, et il y avait un attroupement d'élèves qui m'attendaient pour me cracher dessus. Et, à l'époque, ce n'était pas à cause de mes tenues, c'était parce que j'avais raconté que je rêvais d'être chanteuse et actrice ! Des filles étaient allées raconter à tout le monde que je prétendais être une chanteuse et une actrice très connue… et on a commencé à se moquer de moi et à me faire la vie impossible. Par exemple, quand je passais dans un couloir, il y avait toujours des gens pour me faire des croche-pieds. Je tombais, je me relevais, ça partait en baston. Des fois, il m'arrivait d'ignorer, comme me le conseillaient mes parents. Mais ça ne changeait pas grand-chose.
Repères
18 janvier 2020 : publication sur Instagram d'une vidéo de Mila dans laquelle elle critique l'islam en des termes crus, après avoir été elle-même insultée.
30 janvier 2020 : classement de la plainte ouverte contre elle pour « incitation à la haine raciale ».
3 février 2020 : dans l'émission Quotidien (TMC), Mila revendique son « droit au blasphème », mais adresse ses excuses à « ceux qui pratiquent leur religion en paix ».
21 février 2020 : un mineur soupçonné d'avoir divulgué sur les réseaux des éléments permettant d'identifier Mila est mis en examen pour « harcèlement électronique et usage de données d'identification d'autrui ».
17 juin 2020 : deux autres adolescents mis en examen pour menaces de mort.
1 er octobre 2020 : un homme de 23 ans est condamné à dix-huit mois ferme pour avoir menacé Mila et mimé un égorgement sur Facebook.
15 novembre 2020 : le parquet de Vienne ouvre une nouvelle enquête pour « menaces de mort et harcèlement électronique », à la suite d'une nouvelle vidéo de Mila.
Pourquoi ?
Parce que c'est pareil dans tous les établissements, les gamins sont dégueulasses. Souvent, on m'a dit que j'étais problématique, et j'ai longtemps pensé que le problème venait de moi, mais non. Il vient peut-être de moi avec les autres, effectivement, mais c'est un phénomène très courant, très banal. Tous mes amis se sont fait harceler. C'est le cas de tout le monde que je connais. Comme si c'était un passage obligé pour grandir.
Vous subissez aussi du cyberharcèlement. Vous diriez que les réseaux sociaux aggravent le problème ?
Peut-être qu'ils ne l'aggravent pas, mais ils l'amplifient. C'est réciproque. Ce qui se passe sur les réseaux déborde dans la vraie vie, et réciproquement. Les réseaux sociaux sont devenus un défouloir où les gens se cherchent toujours une bête de foire. Et pour les années 2020-2021, la bête de foire, c'est moi !
Pourquoi, à votre avis, ce besoin de bouc émissaire ?
Désolée d'être cash, mais moi j'appelle les lyncheurs des réseaux sociaux des frustrés et des suicidaires. Les gens qui ont toujours besoin d'un souffre-douleur, toujours besoin de quelqu'un à martyriser, en fait ils déchargent leur malheur sur autrui et ils sont prêts à tout pour nuire. Franchement, je ne comprends pas ce que ça peut leur apporter d'accuser quelqu'un de tous les « phobes » de la planète. Moi, par exemple, je suis raciste, grossophobe, transphobe, homophobe, psychophobe. Et islamophobe aussi, mais bon, ça, c'est vrai [rires]. En vrai, ça me fait peur, c'est dingue. La voilà, mon explication. Les gens qui sont vraiment heureux ne cherchent pas à créer des problèmes aux autres.
Dans votre génération, vous estimez que c'est un phénomène très important ?
Oui, parce que ma génération n'est faite que d'effets de mode et d'illusions. Les réseaux sociaux amplifient tout cela, et ça monte à la tête des gens en prenant une ampleur pas possible. Il y a vraiment un essor de tous les fanatismes, et pas que religieux. C'est comme si plus rien n'était vrai. Le vrai problème, c'est que, comme les gens veulent se sentir exister tout en ne sachant pas réfléchir par eux-mêmes, les réseaux sociaux aggravent leurs frustrations car ça leur fait comprendre qu'ils ont une vie de merde. Et, pour l'oublier, ils vont aller emmerder quelqu'un.
Par exemple ?
Sur TikTok, on attaque beaucoup les faiblesses, et ça peut tourner au lynchage. Il suffit que quelqu'un soit handicapé, gros, pas beau, n'importe quoi, et ça part. Le pire, c'est que je ne peux pas m'empêcher de regarder les commentaires. Ça me monte les nerfs, ça me rend dingue. Sur les réseaux sociaux, derrière l'écran, les gens ont trop la confiance. Bien plus que dans la vraie vie.
Et les échanges sont plus violents ?
Largement. Dans la rue, imaginons une personne à qui il manque un œil : oui, bien sûr, on va la regarder. Quand quelqu'un est différent, ça attire l'attention. Mais rien à voir avec ce qui se passe sur les réseaux sociaux, avec l'effet de masse et d'entraînement des insultes. Le paradoxe, c'est que sur Internet, quand je me fais déglinguer, j'ai pas d'autre choix que d'ignorer. Par contre, dans la vraie vie, je claque et c'est fini.
Votre génération ne serait pas aussi tolérante et sensible à la diversité qu'on le dit…
Pas du tout. Les gens défendent simplement les causes qui les arrangent. Comme je le disais, tout est un effet de mode, et c'est très hypocrite. Prenez le mouvement LGBT. D'un côté, c'est très bien, je suis moi-même pansexuelle et mon amoureux est un homme trans. Mais, d'un autre, tout est devenu si excessif. On est dans le totalitaire, le tyrannique, la dictature de la pensée. Par exemple, il suffit de « mégenrer » quelqu'un, même sans le faire exprès, pour que ça parte en drama incroyable. Plus généralement, dès que monte un phénomène de défense collective d'une cause, ça devient très difficile de faire entendre une voix contraire, des critiques. On vous tombe tout de suite dessus.
Expressivité. « Dans ma famille, on est athées de génération en génération. »
Sur les questions de genre, par exemple ?
Pas seulement. Une fois, j'ai dit que je soutenais les forces de l'ordre, que je n'étais pas ACAB [All cops are bastards, « tous les flics sont des ordures », NDLR] et c'était parti. En fait, je suis le grand méchant loup des gens de ma génération les plus actifs sur les réseaux sociaux, à savoir les jeunes d'extrême gauche. Toutes mes idées s'opposent à eux. Mais je pense qu'en réalité ce sont leurs idées qui s'opposent à celles de la majorité, et même à une certaine vérité. Leur virulence est inversement proportionnelle à leur représentativité dans la population générale. C'est aussi pour ça que je dis que les réseaux sociaux amplifient tout. C'est quelque chose que mes parents me répètent depuis longtemps, mais j'ai fini par le comprendre de moi-même. On est face à des petits soldats qui feraient n'importe quoi pour imposer leurs idées. Et tout est dit dans ce verbe : ils imposent. Ce sont de petits groupes hypertyranniques qui tyrannisent les autres.
Et qui ne font rien pour faire progresser les mentalités de façon positive ?
Non, d'ailleurs on pourrait trouver cela bizarre que beaucoup de fanatiques se revendiquent LGBT. Le concept, à la base, il était bien. Comme je disais, j'ai une sexualité qui pourrait être classée comme décalée et il m'est arrivé de participer à des prides et de trouver ça sympa. Mais il y a trop d'abus, ce qui fait que je n'ai pas envie de m'inscrire dans ces communautés. Je n'ai pas envie de revendiquer ma sexualité dans un drapeau. Ce qui me pose aussi un énorme problème, c'est la montée de la haine envers les cis, de la honte d'être cis. La pire personne pour ces jeunes ? Un homme cisgenre hétéro blanc et flic [rires]. Ce qui fait que tout le monde en est à se déclarer trans ou non-binaire du jour au lendemain. Sauf que trans, on l'est ou on ne l'est pas depuis toujours, ça ne se déclenche pas sur un coup de tête. C'est une mode que je trouve parfaitement débile, et le pire, c'est qu'elle concerne des gens d'une vingtaine d'années. Ils me donnent l'impression d'être coincés en enfance.
Vous pensez que ces effets de mode sont dangereux ?
Oui. C'est peut-être aujourd'hui à peu près cantonné sur les réseaux sociaux, mais j'ai peur que cela prenne trop d'ampleur dans la vie réelle. Globalement, la montée des fanatismes m'effraie, et je pense que les réseaux sociaux sont un accélérateur. C'est quelque chose que je peux noter depuis le début de mon adolescence. Les jeunes sont beaucoup plus violents, sur la défensive, dans l'excès sur plein de choses. Les sentiments semblent aussi artificiels qu'exacerbés, les relations éphémères et explosives, on passe de l'amour à la haine en un rien de temps. Quand il y a une rupture ou des embrouilles d'amitié, il y a toujours une base dans les réseaux sociaux, ils sont toujours impliqués d'une manière ou d'une autre.
Vous y êtes d'ailleurs depuis quand, sur ces réseaux ?
Depuis le début du collège. Vous allez rire, mais je n'ai vraiment pas été dans les plus précoces de ce côté-là. Mes camarades me parlaient d'Instagram, ça ne me disait rien, je n'étais pas du tout intéressée. Et puis un soir, comme tout le monde n'arrêtait pas d'en parler et que cela avait visiblement beaucoup d'importance, je suis allée voir et je suis tombée amoureuse de ce réseau. J'ai commencé à poster des photos, je réfléchissais beaucoup à mes mises en scène, c'est devenu comme un petit travail ! J'ai eu assez vite beaucoup d'abonnés et cela me plaisait énormément. J'adore quand on communique avec moi, qu'on rigole, qu'on réagit…
Et aujourd'hui, après l'affaire Mila ?
Les réseaux sociaux m'apportent toujours une grande communauté. Beaucoup de gens me suivent et adorent ce que je fais. Je reçois énormément de soutien, de messages de remerciement. Des filles qui me disent que je leur donne confiance en elles parce que je m'assume. Cela me fait beaucoup de bien et ma communauté me sera sans doute très utile pour des projets qui verront le jour en 2021.
Vous pourriez imaginer la vie sans Internet ?
Pas du tout ! D'ailleurs, même si je connais des gens qui ne sont pas actifs sur les réseaux ou qui postent de manière anonyme, tout le monde y est. Je ne connais aucun déconnecté, personne. Même mes grands-parents, qui ont entre 70 et 80 ans, ils sont à fond sur Apple. Et mon papy me défend beaucoup sur Twitter [rires].
Vous êtes née en banlieue parisienne, mais vous avez grandi dans la région lyonnaise. La vie en province est-elle aussi difficile que les Parisiens veulent le croire et le faire croire ?
Pas du tout, c'est même tout l'inverse ! [rires] J'adore Lyon, j'adore sortir, faire des soirées au bord du Rhône, même si c'est plus trop possible aujourd'hui. Jamais je ne me suis sentie isolée par rapport à Paris, ce n'est pas une ville qui m'intéresse.
Et la politique, cela vous intéresse ?
Pas du tout, je suis totalement apolitique. Je n'y comprends rien.
Emmanuel Macron vous a-t-il appelée l'année dernière ?
Je crois me souvenir que j'ai eu des contacts avec des politiques, mais pas avec Macron, non, il ne m'a jamais appelée.
Aujourd'hui, si vous l'aviez en face de vous ou au bout du fil, que lui diriez-vous ?
C'est une question difficile, on ne parle pas comme on veut à un président ! [rires] Mais si je m'imagine en mesure de lui conseiller de faire quelque chose… Je crois que ça serait de poser certaines limites à la pratique de l'islam en France. De mieux sanctionner les insultes faites au nom de la religion. De tolérer le voile simple, mais pas le voile intégral.
Le port du voile intégral est interdit depuis 2010 dans l'espace public…
Ah bon ? Alors la loi est mal appliquée, car moi j'en vois partout, des femmes Batman, comme je les appelle.
Et vous réagissez comment, dans ces cas-là ?
Je ne vais pas vous mentir, je trouve ça lamentable. Mais de la même manière que, si je croise une femme voilée dans la rue, elle n'a rien à dire sur ma tenue, moi je n'ai rien à dire sur la sienne. Bien sûr, cela ne m'empêche pas de penser que c'est de la soumission, que c'est ridicule, etc., mais je ne vais pas aller l'embêter. Par contre, des agressions verbales de la part de femmes voilées, ça m'est arrivé souvent. Tellement que je ne peux plus les compter.
Affectivité. « Si j’ai toujours rêvé d’être chanteuse, d’être un personnage public, c’est pour être aimée. »
Par exemple ?
Un jour, j'étais au Primark et il y avait deux femmes très voilées. L'une avait l'air d'avoir la vingtaine et l'autre un peu plus vieille. Elles mettaient le bazar dans le rayon des soutiens-gorge et quand je suis passée près d'elles, mais sans rien leur dire ni même les regarder, l'une m'a jeté un vêtement au visage de manière très agressive, puis une casquette et encore ensuite un petit miroir. Elles me traitaient de « sale pute », « sale kalba » [« chienne », en arabe]. Et pourquoi ? Parce que, ce jour-là, j'avais un short et un débardeur. Et c'était bien avant l'affaire Mila !
Vous n'avez jamais eu d'accrochage avec des hommes musulmans ?
Si, mais plutôt avec des garçons de mon âge au lycée. Certains m'avaient demandé de mieux m'habiller. Un autre encore d'arrêter d'être lesbienne et de ne plus me montrer avec ma copine devant le lycée parce que c'était « haram ». Après, je ne vais pas faire ma gamine et condamner tous les musulmans parce que certains m'ont agressée, mais je pense qu'il faut mettre des restrictions au développement des formes les plus extrêmes de cette religion afin qu'elles ne s'imposent pas dans nos vies, qu'elles ne nous dictent pas leurs normes. Peut-être qu'il n'y a pas la charia en France, mais la mini-charia, elle est là et bien là.
Pendant l'affaire Mila, vous avez reçu le soutien de féministes ?
Je me rappelle avoir été contactée et soutenue par des Femen, mais c'est tout.
Le féminisme est-il important pour vous ?
Il est important pour moi comme il devrait l'être pour tout le monde, parce que l'égalité hommes/femmes est importante. Mais le problème, et on en revient à la flambée du fanatisme, c'est que les féministes de ma génération ne veulent pas l'égalité, elles veulent écraser les « hommes cis blancs hétéros », comme elles disent toutes, comme s'il s'agissait d'un seul mot.
Vous vous voyez comme quelqu'un de courageux ?
Je ne sais pas. C'est sûr que je ne recule devant rien et que j'essaie d'avoir des projets, de me focaliser sur autre chose que ce que je vis depuis un an. Je refuse que l'affaire Mila me définisse. Ce n'est pas ce que je suis et j'essaie de me battre tous les jours pour que ça ne me représente pas à 100 %. Mais est-ce du courage ou de la persévérance ?
Qu'est-ce qui vous semble courageux ? Comment définiriez-vous le courage ?
Le courage, je dirais que c'est d'abord faire en sorte d'arriver à ses objectifs et après de résister à la douleur et à l'oppression. Être végan ou végétarien, par exemple, je trouve cela très courageux et je sais que j'en serais incapable. Même arrêter de manger de la viande pendant un mois, je pense que je n'y arriverais jamais.
On dit votre génération très sensible aux questions environnementales, c'est votre cas ?
C'est mon cas, oui, mais quand j'entends dire que ma génération s'intéresse beaucoup à l'écologie, j'ai envie de rire et de pleurer à la fois, car c'est totalement faux. Je vois tellement de jeunes de mon âge qui jettent leurs mégots par terre, qui gaspillent de l'eau… Alors oui, il y a sans doute une minorité très engagée, et j'ai d'ailleurs une amie qui monte une association et qui organise des marches dans Lyon pour ramasser les déchets, mais ce n'est pas du tout la majorité.
L'environnement est important pour vous depuis longtemps ?
Oui, c'est ma mère qui m'a tout appris. À ne pas gaspiller l'eau, à faire attention aux déchets, au tri sélectif, au compost…
Lexique
Cis : diminutif de « cisgenre », personne dont le sexe et l'identité sexuelle psychique (le genre) sont identiques ; contraire de transgenre.
Pansexuel : se dit d'une personne pouvant être attirée par une autre de n'importe quel sexe ou genre.
Trans : diminutif de « transgenre », personne dont le sexe et le genre ne correspondent pas ; contraire de cisgenre.
TDAH : trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité ; les personnes qui en sont atteintes sont dites « hyperactives ».
LGBT : sigle rassemblant les minorités sexuelles non hétérosexuelles ; lesbiennes, gays, bisexuels et trans.
Mégenrer : se tromper sur le genre de quelqu'un.
Quel genre de relation avez-vous avec vos parents ?
Je suis très heureuse et très fière de l'éducation que m'ont donnée mes parents. Si j'arrive à penser cela, c'est parce que j'ai le recul, et si j'ai le recul, c'est parce que j'ai été très bien éduquée. Par exemple, mes parents prennent toujours le temps de m'expliquer ce que je ne comprends pas. En matière de libertés, ils m'ont toujours laissée très libre tout en faisant très attention à moi. On ne va pas se mentir, j'ai pu être une sale gamine qui s'est pris un peu trop de cuites. Mais mes parents ont toujours fait le maximum pour m'encadrer dans un rapport de confiance et me faire comprendre quand je dépassais les bornes. Ils ont toujours su prendre les bonnes décisions en fonction de chaque situation. Avec l'école, aussi, ils m'ont toujours aidée, même si je n'ai jamais aimé ça.
Vous n'aimez pas les études ?
[Elle met deux doigts dans sa bouche, comme pour se faire vomir.] On peut dire ça. En fait, cela a toujours été très compliqué pour moi au niveau scolaire. Je suis TDAH [trouble déficitaire de l'attention] et sous Ritaline depuis octobre 2016. Donc, soit j'ai une concentration excessive, comme maintenant lorsque je vous parle, soit je n'arrive pas du tout à me concentrer. C'est très difficile à gérer car j'ai l'impression que cela empire.
Et le système scolaire n'est pas du tout adapté aux enfants qui souffrent de TDAH…
Oui, c'est sûr. Mais pour finir sur mes parents, à part les embrouilles classiques de crise d'adolescence, je peux dire qu'on s'entend très bien.
C'est d'eux que vous tenez votre athéisme ?
Oui, dans ma famille, on est athées de génération en génération.
Et c'est pour cela que vous êtes aussi sensible au fanatisme ?
Le fanatisme peut prendre plusieurs visages, il n'est pas que religieux. Par exemple, des LGBT peuvent être très fanatiques et former des communautés très sectaires, très hermétiques. Ce que je trouve très triste. Les LGBT ne vont traîner qu'avec des LGBT, les trans qu'avec des trans, etc. L'ironie, c'est qu'ils peuvent être aussi intégristes que des musulmans orthodoxes alors qu'ils les détestent et qu'on ne les verra jamais ensemble. Mais il ne faut pas croire que tout le monde fonctionne ainsi, il y a heureusement beaucoup de gens très divers, ouverts et tolérants dans ma génération. Qui se fichent de l'âge ou de l'idéologie.
Vous êtes de ceux-là ?
Oui, j'ai plutôt des amis plus âgés que moi, d'ailleurs, qui ont la vingtaine ou la trentaine. Par contre, c'est sûr que je ne pourrais pas aujourd'hui être amie avec quelqu'un de beaucoup plus jeune, par exemple de 14 ans. C'est une question de mentalité et de principes, je ne vais pas emmener une fille de 14 ans en boîte…
Et les idéologies, vous y êtes aussi indifférente ?
Pas toutes, non. Si je vois des amis aller dans les manifs pour taper sur la police, c'est sûr que je vais plutôt m'en éloigner.
L'affaire Mila a-t-elle changé vos amitiés ?
Le fait est que, même si j'ai perdu mes comptes, par piratage notamment, j'étais très populaire sur les réseaux sociaux avant janvier 2019, donc j'ai toujours eu des amis hypocrites et profiteurs. C'est comme avec les poules qui vont là où il y a le plus de graines. Ce qui a vraiment changé depuis l'an dernier, ce sont les gens qui me dénigrent et m'humilient sur les réseaux sociaux sans me connaître. Il m'arrive parfois de m'abonner à quelqu'un, par exemple à une fille que j'aime bien, que je trouve jolie ou je ne sais quoi, et après je vais sur Twitter et je vois qu'elle m'affiche, en disant des trucs comme « Je ne veux pas d'une raciste dans mes abonnés », ou pire. Cela me fait beaucoup de mal que les gens me jugent autant sans me connaître, qu'ils suivent le mouvement, qu'ils ne réfléchissent pas par eux-mêmes. Qu'il y ait autant de gens qui me détestent, c'est parfois très dur à supporter. Jamais je n'ai voulu cela. Au contraire, si j'ai toujours rêvé d'être chanteuse, d'être un personnage public, c'est pour être aimée.
L'an dernier, le lycée où vous étiez scolarisée n'a pas fait grand-chose pour vous…
C'est le moins qu'on puisse dire. Avec ma mère, on est très remontées, on en veut énormément à ce lycée. Cela fait un an que tout est arrivé, et vous savez quoi ? Les élèves qui m'ont menacée de mort et qui m'ont attendue devant le lycée pour m'égorger, eux, ils continuent leur petite vie, leurs études, ils n'ont pas été sanctionnés. De toute façon, en général, j'ai l'impression qu'on se débrouille très mal avec les menaces islamistes, comme si la police et la justice ne savaient pas comment faire, qu'elles étaient débordées. Parmi les gens qui m'ont menacée, très peu ont été retrouvés et condamnés. Et en attendant, ils ont tout le temps de me tuer.
La pandémie a-t-elle modifié quelque chose à votre calvaire ?
Moi, ça fait un an que j'ai perdu ma vie. Que j'ai l'impression d'être morte tout en restant de ce monde. Observer les autres continuer à vivre, c'est vraiment extrêmement dur. Les voir sortir de chez eux, poser le pied en dehors de leur voiture… Moi, il n'y a qu'en dehors de mon lit que je pose mes pieds ! La privation de liberté - peut-être qu'on va encore se moquer de moi -, ça me fait beaucoup de mal. Je pleure beaucoup, pratiquement tous les jours en pensant à ça. Alors là-dessus, en fait, le Covid a presque été une source de réconfort [rires], car tout le monde est aujourd'hui dans le même bateau que moi. Par rapport à ce qu'il aurait pu être sans la pandémie, le fossé entre ma vie et celle des autres est moins large.
Altérité. « En fait, le Covid a presque été une source de réconfort, car tout le monde est aujourd’hui dans le même bateau que moi. »
C'est même toute votre génération que l'on dit sacrifiée…
Oui, en quelque sorte. Les étudiants sont complètement abandonnés, la jeunesse est en train de pourrir. Et cela ne fait qu'exacerber les problèmes dont on parlait tout à l'heure. Les gens sont de plus en plus frustrés et déversent de plus en plus leur mal-être sur les réseaux sociaux. Après, je suis quand même assez neutre sur le sujet, car peut-être qu'on n'en serait pas là si les jeunes n'avaient pas autant fait les cons cet été. Alors c'est horrible pour tout le monde, pour les vieux qui meurent seuls dans les Ehpad et pour les jeunes, aussi, qui vont mourir de solitude et de restrictions, comme cet étudiant qui a tenté de se suicider à Villeurbanne. Par contre, je dois dire que ma génération est quand même une bande de pleurnichards et de petites chochottes. On est trop des fragiles. On se plaint parce qu'on est confinés et parce qu'on s'ennuie… Les gens, il y a un siècle, ils voyaient leur famille mourir et ils vivaient dans la misère. Et aujourd'hui, quand on voit qu'il y a des gens qui vivent dans la rue et qui doivent en plus gérer le Covid, on peut aussi relativiser nos petits malheurs.
Et vous, qu'est-ce qui vous permet de relativiser ? De voir le bon côté des choses ?
Je ne vais pas vous le dire en mots, mais en images. [Elle se lève et me montre un pan du mur de sa chambre recouvert de lettres et de dessins.] C'est ça, vous voyez, et ce n'est qu'un tout petit échantillon, je ne peux pas tout afficher. Je reçois plein de courriers, des lettres, des colis, des cadeaux. On m'a même offert la palette de maquillage de mes rêves, c'est fou ! Il est là, le positif. C'est tout l'amour, toute l'affection que les gens me donnent et qui me fait énormément de bien§
* Peggy Sastre est chroniqueuse au Point. Elle anime avec Laetitia Strauch-Bonart le podcast « Les Contrariantes ». Dernier ouvrage paru : La Haine orpheline (Anne Carrière).
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