ABC a écrit :Considérer l'état quantique comme une propriété du système ET l'environnement avec lequel il interagit (le contexte) est intéressant, mais je ne vois pas facilement comment ce point de vue permet d'éliminer l'observateur de cet environnement.
Emanuelle a écrit :Je ne sais pas vraiment ce que vous entendez par "éliminer l'observateur de cet environnement". Pour ma part, je n'ai aucun problème à faire le deuil de l'objectivité pour la remplacer par l'intersubjectivité.
Peut-être, mais ce point de vue est contraire au point de vue réaliste défendu par Alexia Auffèves Garnier et par Philippe Grangier. C'est à ce point de vue que je répondais.
Philippe GRANGIER a écrit : Cf.
Donner du sens à la mécanique quantique
Ce qui est curieux est que la mécanique quantique soit une science extraordinairement précise, dont les prédictions ont toujours été vérifiées jusqu’à aujourd’hui. Mais pourtant son interprétation reste soumise à débat : différentes visions du monde s’opposent à son sujet. Beaucoup de physiciens ou de philosophes ont même dit que la mécanique quantique signifiait la mort du réalisme physique, d’une réalité extérieure à l’observateur, sur laquelle on peut acquérir des certitudes. Notre approche veut replacer la mécanique quantique dans le cadre de ce réalisme physique.
Emanuelle a écrit :Pour ma part, je n'ai aucun problème à faire le deuil de l'objectivité pour la remplacer par l'intersubjectivité. Je trouve que cela redonne sa place véritable à l'être humain dans l'élaboration des connaissances.
Ce n'est pas une bonne raison. On ne peut pas choisir de croire telle ou telle chose parce qu'on trouve cette chose préférable. Pour ma part, si je commence (plus ou moins) à pencher vers le point de vue des positivistes (les Bohr, Heisenberg, Bohr, Fuchs, Peres, Leggett, Grinbaum, Rovelli...), ce n'est pas parce que ça me plait, mais parce que je n'ai pas trouvé de moyen simple d'y échapper (à part peut-être le point de vue des Aharonov et Vaidman, ou encore, bien que ce soit différent, le point de vue d'un Jaynes, mais il y aurait des choses à dire).
Emanuelle a écrit :A priori, je serais plutôt "réaliste" dans ce sens que ce n'est pas l'être humain qui crée la réalité, qu'elle existe bien en dehors de l'être humain (ouf!)
Pour moi, le vrai réalisme va plus loin. Il consiste à considérer que les propriétés que nous attribuons aux objets et phénomènes observés sont propres à ces objets et phénomènes eux-mêmes (indépendamment de toute relation à une classe d'observateurs) et que ces objets et phénomènes auraient ces mêmes propriétés, même dans un univers fictif dépourvu de tout être vivant, où ces objets et phénomènes "existeraient" (en un sens bien difficile à définir du coup puisqu'un "truc qui existe" c'est, plus ou moins par définition, "un truc qu'on peut observer" ou, a minima, dont on peut subir certains effets).
La position positiviste est très nettement opposée à ce point de vue. Elle consiste à considérer que la seule chose que nous sachions observer, ce n'est pas la réalité (on ne sait pas ce que c'est) mais des résultats d'observation. Les propriétés ne caractérisent pas intrinsèquement les objets observés, mais notre relation avec ces objets.
Un point très difficile à accepter (pour moi), c'est l'hypothèse (encore objet de débat, cf. le point de vue d'A. Auffèves Garnier et P. Grangier par exemple ou encore de Bricmont, Scarani, Valentini, Percival, Popper et quelques autres) selon laquelle la fonction d'onde d'un électron par exemple, n'est pas la propriété d'un système individuel (cet électron), mais un outil d'inférence bayesienne, propre à la connaissance d'un observateur, un outil permettant d'optimiser les prédictions qu'il puisse faire quant aux résultats d'observation (notamment, par exemple, s'il réalise telle ou telle mesure relativement à cet électron).
A titre d'exemple, E.T. Jaynes, ne rejette pas la notion d'ontologie dans le domaine de la simple philosophie (le domaine des questions sans réponses si on présente les choses de façon un peu caricaturale). Il estime même essentielle la notion d'ontologie. Il défend ses points de vue par des exemples très intéressants (comme celui de la détermination de la modélisation, par la loi de Fick, de la vitesse de
diffusion du sucre dans une solution sucrée initialement inhomogène pour montrer l'importance de la notion non objective d'inférence Bayesienne). Il indique que l'ontologie, "la réalité objective" sous-jacente à l'information subjective et incomplète détenue par un observateur, se manifeste chaque fois qu'une inférence, prenant en compte l'information propre à cet observateur, produit des prédictions distinctes de ce qui est observé.
Son point de vue est donc nettement distinct de celui des positivistes. Pourtant, Jaynes défend l'idée selon laquelle la fonction d'onde n'est pas une grandeur physique objective, mais la connaissance qu'un observateur possède de l'objet auquel est associé cette fonction d'onde. De ce point de vue, il est en accord avec les positivistes.
Emanuelle a écrit :mais je suis parfaitement d'accord avec ceux qui disent que nous n'y avons accès qu'à travers nos sens, nos concepts, nos outils de mesure etc...
J'aurais plutôt dit à travers la notion d'
entropie dite pertinente pour limiter la part subjective au strict minimum (celui qui ne peut-être évité, celui d'un cadre se voulant le plus intersubjectif possible).
ABC a écrit :Bref, selon ce point de vue, quand Alice mesure la polarisation de son Photon, du côté de Bob, aucune entropie n'est créée, "donc" il ne s'y passe rien. Le changement d'état du photon d'Alice quand elle mesure sa polarisation est interprété, par les Fuchs, Peres et autres positivistes, comme un changement d'état de la connaissance d'Alice sans effet sur ce qui se passe à distance du côté de Bob.
Je ne suis pas encore totalement convaincu, mais bon, plus vraiment sur qu'ils aient tort.
Emanuelle a écrit :Je suis très loin d'avoir compris ce problème...
Je commence plus ou moins à accepter l'idée selon laquelle, quand Alice mesure la polarisation de son photon, rien ne se passe du côté de Bob. La difficulté que nous avons à accepter ce point de vue découle du sentiment que le temps est un objet physique, réel, objectif, indépendant de toute considération d'observateur et de l'entropie caractérisant ses limitations d'accès à l'information, alors qu'il est très vraisemblablement une émergence de nature thermodynamique statistique (comme la température).
Une modélisation respectant, explicitement, l'invariance de Lorentz dans le cadre de l'expérience d'Alain Aspect, est d'ailleurs possible dans le cadre du
formalisme quantique à deux vecteurs d'état (cf. un article de Yakir Aharonov, Sandu Popescu et Jeff tolaksen, "
Each Instant of Time a New Universe" (video de S. Popescu
Each Instant of Time a New Universe), dans
Quantum Theory: A Two-Time Success Story conférences organisées à l'occasion du 80ème anniversaire d'Aharonov)