J'ai du mal à comprendre à partir de quel moment on peut parler d'objectivité en Histoire.
Je n'ai pas dit qu'on pouvait en parler, j'ai parlé de difficulté à l'atteindre.
Ca dépend du point de vue philosophique, mais l'objectivité peut n'être qu'un but inatteignable. Comme je l'ai dit, la science fait le pari que le caractère reproductible des expériences et la multiplication des vérifications permet de s'en rapprocher, mais dans l'absolu, on ne sait pas si l'addition des subjectivité des scientifiques donnent réellement une objectivité. Au mieux, on est à peut prêt sûr que ça représente la vision subjective que peut avoir l'humanité en générale.
L'histoire, plus que la physique ou la biologie, est évidement subjective et sa quête de l'objectivité est rendu plus qu'ailleurs difficile par son matériaux de base et son objet d'étude, mais ça ne l'empêche pas d'essayer au mieux de se plier à une démarche scientifique pour éviter qu'une hypothèse ne finissent pas n'être que le fruit de la vision d'un historien unique.
Je conçois qu'on puisse considérer des évènements comme objectifs
Mais l'historien ne travaille pas forcément sur l'évènement et certains courants historiques considèrent justement l'évènement comme la partie la moins objectives de l'histoire. L'histoire économique, par exemple, inspiré par l'émergence de l'économie et de la sociologie au début du XXème siècle et par le marxisme, privilégie l'approche du temps long, des invariants géographiques et l'aspect statistique de la sociologie et de l'économie au traitement de l'évènement.
Parce que même si deux historiens sont d'accord sur des faits, travaillent sur les mêmes documents archéologiques ou scripturaires, il y a fort à parier qu'ils n'en auront pas forcément la même lecture.
Qu'ils aient une interprétation différente ne les empêche pas d'être contraint par leur matériaux de base, par la méthode qui leur impose un traitement particulier de ce matériaux et qui sera l'objet d'une critique sévère par leur pair s'ils ne la suivent pas. On ne peut pas dire n'importe quoi quand on fait de l'histoire, il faut pouvoir justifier son interprétation à la fois logiquement et en rapport avec ce qu'on sait déjà. Sans compter que plus on accumule les sources, plus la possibilité d'en faire de multiple interprétation se réduit.
Il ne s'agit pas de dire que l'histoire est objective, mais un historien ne peut pas inventer l'histoire pour autant et rester historien.
Parce qu'un fait brut isolé n'a pas de "sens" en soi (d'où mon interrogation sur l'Histoire a-t-elle un sens), il dialogue fatalement avec d'autres faits bruts et c'est de ces mises en relation que nait une lecture de l'évènement. Et qui dit lecture dit interprétation. Je ne vois pas comment on sort de la subjectivité.
Comme pour les autres sciences, on pari sur l'addition de point de vue et la critique par les pairs pour éviter qu'une interprétation d'un fait ne soit l'oeuvre que d'un seul, même bien intentionné et précautionneux dans son approche méthodologique.
L'histoire ne disposant pas d'une partie expérimentale, ça permet moins que d'autres disciplines d'arriver à une forme d'objectivité, mais ça limite la subjectivité, surtout depuis que l'histoire suit les sciences en travaillant plus souvent en équipe et en inter-disciplinaire.
Mais si je cherche à comprendre mieux les enjeux de la guerre du Vietnam, je sais par avance que si je consulte un historien américain, français, russe ou vietnamien, je risque bien d'avoir autant d'histoires, de récits pas mal différents.
Oui, mais sous réserve que les historiens de ces différentes nationalités soient tous sincères dans leur démarche, la différence des récits peut aussi venir de la complexité de l'évènement, et ils peuvent avoir tous raison simplement parce qu'ils aborderont tous le sujet sous un angle différent. Le problème ne sera pas alors celui de la réalité de ce qu'il dise, mais de déterminer l'importance des récits les un par rapport aux autres. Malheureusement, ça n'est pas forcément simple, voir même possible si la question initiale est vaste et ça peut demander des efforts de compilation extrêmement long, que le public interprète parfois comme vous le faites, à savoir que tout n'est qu'une question de point de vue.
Ne croyez pas que je dénigre l'Histoire, je m'interroge seulement sur sa capacité à proposer un récit universel
Je ne pense pas que ça soit possible de proposer un récit universel, il y un trop grand fossé entre la complexité d'un présent donné et les traces que ce présent peut nous laisser.
Mais la question se pose à toutes disciplines de compilation, on pourrait faire le même reproche à certaine branche de la géologie qui tente de connaître l'histoire de la Terre ou à la paléontologie, qui essaie d'explorer la faune et la flore du passé. Entre la réalité de la vie passée et les faibles traces que nous en laisse les fossiles, il y a la place pour pas mal d'interprétation, mais il n'empêche que c'est sans aucun doute la meilleure méthode pour s'approcher de cette réalité passée.
Une question plus complexe alors serait de savoir à quel point ces traces du passé, qui sont la base de cette description qu'on prétend faire faire de lui, forcément incomplète et imparfaite, peuvent nous permettre quand même de le toucher du doigt. Là, il y a deux grandes écoles:
-celle qui pense que la source est un fragment de passé et que la subjectivité de son interpréteur ne joue pas sur la perception initiale qu'on en a. En clair, la source est objective et il suffit de trouver la bonne interprétation.
-celle qui pense que la source est un fragment du passé qu'on voit quoi qu'il arrive au travers du prisme déformant de notre perception contemporaine et donc que l'interprétation ne peut être que déficiente car subordonnée à une observation qui est intrinsèquement subjective (en clair, il n'est pas possible pour nous d'envisager un élément du passé exactement comme nos ancêtres l'ont envisagé, donc notre lecture de leur époque ne peut être qu'au moins partiellement biaisé par notre regard contemporain).
Mais là encore, c'est un questionnement qui existe aussi en science autour de l'observation et de l'expérimentation. Je crois qu'ABC avait fait un recensement à ce sujet des points de vue philosophique dans le topics "les faits ont -il toujours raisons" (si je me souviens bien).
Grosso modo, il y a ceux qui estime que l'observation est neutre et permet d'entrevoir le réel, la modélisation de ce dernier étant une abstraction imparfaite, mais tendant à l'objectivité. Et il y a ceux qui estime qu'on est prisonnier de notre subjectivité parce que notre pensée est intrinsèquement subjective et que ce qu'on voit du monde est toujours une version "subjectivé" du réel par notre cerveau et donc que la réalité est inatteignable et les modélisations scientifiques, des constructions de la pensées humaines plaquées sur une réalité dont l'existence est indémontrable.
Je simplifie évidement grandement le débat, qui, comme je l'ai dit dans mon message précédent, anime ceux qui prétendent comprendre le monde par le savoir depuis aussi longtemps qu'il y a des humains pour se poser la question de "comment on sait ce qu'on sait".
PS: désolé si c'est un peu confus, le sujet mériterait un topic à lui tout seul et beaucoup plus de développement. Et sans doute aussi que je ne me lance pas dans la rédaction d'une réponse alors qu'il est 1h du matin chez moi

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