Uno a écrit :Mais quels contours?
D'autres contours que purement économique. Il se crée progressivement un sens politique à la zone euro, même si les limites de cette zone reste floue (il n'est pas exclue que certains pays en sortent).
Et quand je parle de sens politique, je ne parle pas d'institution, mais de construction des rapports de force et des intérêts. De manière très claire, on a dépassé en Europe les simples rapports entre nation.
Je vous donne un exemple que je trouve intéressant: le discours de certains courants anti-européen
Si on prend le discours des anti-européens, on a un changement assez radical qui c'est opéré dans les thématiques depuis quelques dizaines d'années (ça date d'avant la zone euro). Alors que, traditionnellement, les craintes des anti-européen ont été de voir un pays en profiter pour s'imposer, ça n'est plus le cas aujourd'hui et ont a une rhétorique des "peuples européens" contre "Bruxelle la libérale".
Ca n'a l'air de rien, mais c'est un changement que je pense assez profond. On a vu émergé, même chez les nationalistes, l'idée qu'il existe un ensemble: "les peuples européens" et l'on est pas si loin de la rhétorique des conservateurs américains qui se plaignent de Washington la fédérale finalement.
Je sais que les peuples c'est différent d'une nation, mais je pense que c'est quand même suffisamment significatif de l'avènement de nouveau rapport entre Européen. On passe progressivement de populations qui, chacune, revendiquait d'avoir sa civilisation, à des populations dont même les anti-union reconnaissent qu'elles sont voisines et que le problème est de moins en moins l'étranger européen et de plus en plus l'européen contre le non-européen.
Alors évidement, les limites de cette rhétorique dépendent du courant et de son extrémisme. Des parties comme l'extrême-droite Hollandaise fixe les limites à l'Allemagne et sont anti-europe de l'est tandis que l'extrême-droite française refusent la roumanie, la bulgarie... mais il y a quand même une évolution.
La zone euro est du même type. Bien sur, il y a des forces qui n'en veulent pas, mais l'ensemble fait néanmoins sens, pour les politiciens qui la gouverne et qui, pour le moment, semble déterminer à la défendre, mais aussi pour les populations, qui finalement, même quand c'est pour en sortir, se sentent dans le même bateaux que les autres. Mine de rien, le fait que l'aide à la Grèce fasse l'objet d'un débat et qu'elle ne soit pas unanimement refusée par les populations, que la sortie de la Grèce fasse aussi l'objet d'un débat est significative qu'il y a quand même un sens qui n'est pas uniquement économique derrière tout ça, même si c'est encore flou et que ça n'a qu'une expression restreinte.
Économiquement la Grèce va mal, les Grecs ont peur de sortir de l'Euro mais en même temps ne supporte plus ses cures de cheval les maintenant dans le cercle vicieux d'une récession et donc d'un gonflement de la dette!
Justement, la peur est un ferment bien plus solide pour bâtir faire société que l'idée surannée du destin commun. L'impression de se retrouver dans un même bateau est plus efficace que l'idée de construire un avenir, même si ça ne construit pas une nation.
Encore une fois, la crise de l'euro enseigne sur les dysfonctionnements politiques et économiques de la zone, mais aussi sur les évolutions majeures sur le plan politique.
Qu'un seul pays réussissent tant bien que mal à imposer à quasiment tout un continent une même politique c'est quand même nouveau et selon moi signe qu'il n'y a pas qu'une monnaie derrière la zone euro, mais une réelle construction politique en souterrain.
Il faut prendre la mesure des changements sur l'opinion publique. Quand Merkel décide que la zone euro doit faire de l'austérité, mine de rien, elle s'impose malgré la démocratie et la souveraineté et pourtant, malgré ça, même en Grèce, elle a des partisans, sans compter qu'elle permet un débat au sein de l'Europe qui aujourd'hui débouche sur une remise en question, non pas de la zone mais de sa politique.
Il y a un réel débat qui se crée et pas que du chaos et le prisme européen devient de plus en plus le prisme qui détermine les différences entre les partis politiques. On passe de l'indifférence chronique à un positionnement idéologique qui fait sens et qui crée de facto le débat, donc la politique, même si c'est encore restreint aux nations faute de structure de débat transnationale et à cause encore de la barrière linguistique.
Idem pour l'Espagne, aujourd'hui en effet l'Europe tente de jouer la carte du fédéralisme
En fait, le fédéralisme est déjà pas mal, là, même s'il est rampant, en sous-main et non démocratique. Les appareils dont c'est dotés l'UE et notamment la zone euro sont autant d'élément qui changent les rapports de force entre les pays européens mais aussi au sein même des pays européen entre forces politiques intérieures. Actuellement, aucun gouvernement européen ne peut gouverner sans avoir un minimum la caution d'autres membres et ils se créent des liens complexes entre politiciens qui échappe au strictent cadre national.
Par exemple, la Hongrie d'Orban (qui n'est pas dans la zone euro, certes) est en plein délire nationaliste et autoritaire mais personne ne s'en occupe parce que Orban et la Hongrie est membre du parti de droite au parlement Européen et qu'il a le soutien tacite ou du moins l'absence de réprimande des autres pays. Ca peut sembler paradoxal alors que l'Allemagne et la France n'hésite plus à écorner la souveraineté de la Grèce et que la BCE s'impose dans les choix politiques de pays comme l'Italie ou l'Espagne, que personne ne s'impose face à la Hongrie, mais c'est parce que le jeux politique n'est plus uniquement national et international, mais aussi transnational.
Aujourd'hui, par exemple, la banque centrale est un élément de gouvernance européenne capable d'influencer, qu'on le veuille ou non, la politique intérieur des pays et les politiciens nationaux deviennent malgré eux obligé de créer des alliances pour mener des politiques avec le soutien d'autres pays.
Donc le fédéralisme se construit de facto en réalité et il y a déjà quasiment tous les éléments qui permettrait qu'il existe sauf un impôt européen. Et comme toute construction de facto, elle se fait au gré des évènements, sans cohérence apparentent parce que par petite touche et sans qu'on se disent que c'est du fédéralisme.
Quand la France, par exemple, prend sur elle de réduire ses déficits (même si elle ne le fait pas vraiment), et qu'elle prétend le faire pour la bonne gestion alors que ça va à l'encontre de toute son histoire économique d'Etat providence et de relance par la consommation, c'est déjà que le fédéralisme existe d'une certaine façon et qu'ils s'imposent aux décisions des Etats.
Je ne saurais dire si ça va fonctionner, si ça va continuer et sur quoi ça va déboucher, mais c'est à prendre en compte.
En fait le problème c'est que la plupart des gens ne prennent pas la mesure de ce qui se passe pendant cette crise et se réfèrent plus volontiers à de grands modèles établis, avec une réflexion finalement téléologique sur ceux-ci (en considérant leur forme finale comme si elle allait de soi), plutôt que d'analyser les processus et les tendances en cours en se débarrassant des présupposés sur la finalité.
C'est ce que je reproche aux économistes, par exemple, qui sont bien trop tributaires des modèles politiques et économiques et qui parle de la fin de la zone euro au nom de l'image du fédéralisme qui se nourrit du fonctionnement du fédéralisme américain et du principe de zone monétaire optimale.
On peut parler de la fin de la zone, mais pas au nom de modèle parfait qu'elle n'atteint pas, c'est faire fi du fait que les constructions humaines sont des constructions perpétuellement évolutives et qui dépendent autant des bons fonctionnements que des dynamiques des populations qui les composent et qui sont capable de conserver très longtemps des fonctionnements qui paraissent bancal vu de l'extérieur mais qui en fait conviennent à une minorité suffisamment puissante pour imposer son point de vue ou à une majorité suffisamment nombreuse.
L'idée du fédéralisme par exemple, qui nourrit autant les anti que les pour est la plupart du temps celle du modèle fédéral américain, qui conduit les pour à vouloir un président élu de l'union et les anti à refuser une constitution ou une abandon de souveraineté à Bruxelle. Mais tous oublie que ce fédéralisme US c'est construit sur le long terme et à mis des décennies à prendre la forme actuelle et qu'il n'est toujours pas figés. Si les institutions le sont, les rapports de force entre institutions et les rapports de force entre Etats et Etat fédéral ont mit des années et autant de débat internes à être ce qu'ils sont.
Il est évident que la zone euro ou l'UE n'atteindra pas ce fédéralisme là, bêtement parce qu'il se nourrit des circonstances et de l'histoire des USA et que ça n'est pas celle de l'Europe. Si fédéralisme il doit y avoir en Europe, ça sera un fédéralisme européen qui dépendra aussi des circonstances et des rapports de force qui s'installent et s'installeront.
Idem pour la zone monétaire optimale, qui est un argument de certains économistes et qui selon moi (mais c'est selon moi, donc vous en faites ce que vous voulez) un argument spécieux parce que téléologique aussi. L'analyse de la fin de l'Euro repose là aussi sur le fait que l'Euro n'est pas une zone optimale et ne s'en approche pas. Mais là encore, c'est oublier que toute zone monétaire est aussi une construction dynamique dans le temps et que l'optimum est plus le bout du chemin qu'une condition nécessaire à l'existence de la zone.
si l'on peut dire mais il y a des limites politiques à cela, et ses limites sont tributaire dans l'incapacité des décisions politiques, notamment des plans d'austérité décidé, à résoudre la crise, au contraire accélère les récessions et donc la colère des populations. À ce titre en Espagne le nombre de chômeur chez les jeunes ne peut que générer un sérieux mécontentement.
Oui, mais ça c'est du très court terme à horizon un an. Pour mémoire, la crise de 29 n'a été réellement résolu qu'après la seconde guerre mondiale, soit 15 ans après son déclenchement. Il y a fort à parier que celle là ne mettra pas moins de 10 ans à être résolue, si ce n'est plus.
Ensuite vous avez une vision simpliste des mouvements d'opinion publique selon le thème trop souvent entendu: quand ça va mal, la population se révolte contre.
Non seulement c'est faux, mais c'est faire des populations des entités uniforme, homogène et avec un esprit de corps quand c'est précisément le contraire.
En fait, les révoltes générales ou les refus en bloc sont assez rares parce que les populations ne sont jamais homogènes et donc des situations dramatiques peuvent perdurer très longtemps sans qu'il n'y ait de remise en cause majeure du système parce que rien ne met le feux au poudre.
C'est l'exemple des révolution arabes par exemple. La situation qui a pris fin est une situation qui était loin d'être nouvelle et pourtant il a fallu atteindre la conjonction d'une crise mondiale grave mais surtout un élément déclencheur avec une forte symbolique pour créer un effet d'entrainement.
Donc rien n'est jamais jouer et il n'y a jamais de mécanique action-réaction aussi simple avec un élément aussi hétérogène qu'une population.
Le mécontentement en Espagne, sans effet d'entrainement qui créerait une dynamique anti-européenne restera lettre morte. Il peut y avoir des grèves, des manifestations et même des révoltes comme en Grèce, mais rien de concret ne peut en sortir sans cet effet d'entrainement de la population qui reste hypothétique et pas uniquement dû à la conjoncture économique.
A moins d'un putch évidement.
Ah d'ailleurs concernant la confiance dans la zone Euro elle est déjà amenuisé
Je ne parlais pas de confiance dans la zone euro, je disais que l'euro n'avait pas de crainte particulière sur lui tant qu'il apparait (même si c'est peut-être faux. Entre l'imaginaire politique ou économique et la réalité, il y a souvent une marge) comme à conserver, peu importe la raison.
Donc tant qu'il est un élément admis du fonctionnement des rapports de force entre intérêts en Europe, il reste. S'il perd cette symbolique pour les intérêts qui s'affrontent dans cette crise, il sera effectivement fini, mais on est assez loin de ça pour le moment.
et je ne suis pas sûr qu'elle résiste à ce qui va se passer en Espagne dont l'économie est moribonde! Récemment j'ai entendu parler d'un plan d'investissement de l'UE visant à relancer la croissance....mais cela suffira-t-il réellement? J'en doute!
J'ai bien compris que vous doutiez, mais vous basez vos réflexion sur une vision trop simpliste des rapports de force entre groupe humain. Vous sous-estimez grandement l’hétérogénéité des foules, le pouvoir structurant de la routine et les processus faisant évoluer les rapports de force.
Après, je fais ma propre analyse d'élément sans doute aussi épars que les vôtres, il est possible que je me trompe totalement, on verra bien, mais j'essaie d'inclure dans ma propre analyse plus que simplement les tendances économiques, dans la mesure où, si l'économie a une importance cruciale sur l'évolution des sociétés, elle n'est pas décideuse en dernier ressort malgré ce qu'en diront les économistes et les sociétés peuvent très bien s’accommoder d'une situation bancale au nom de considération qui ne sont pas économiques, même si l'économie les aura pousser en premier lieu à sortir de la routine
(ne jamais sous-estimer le pouvoir de la routine. Une population est capable de chose parfois terrible au nom de la défense de la routine, surtout si elle est légitimé par un passé fantasmé et malgré le manque de réalisme économique de cette routine.)
Je ne prétends pas que la zone euro va survivre de manière inéluctable ou qu'on verra les Etats-unis d'Europe à la fin de la crise, mais il est important de sortir des purs modèles économiques ou politiques pour prendre la mesure des changements profonds qui animent les sociétés en Europe et qui, de fait, détermineront bien plus ce qui va se passer que les modèles que la zone réussit à atteindre ou ne réussit pas à atteindre.
Vu les changements, à mon sens, rien n'est joué et prédire ce qui va déboucher de la crise en terme de construction européenne est assez hasardeux. Ce qui est à peu près sur, c'est qu'au niveau du monde, on s'achemine progressivement vers des grands blocs commerciaux. Maintenant, quelle forme prendra le bloc commercial européens, ça c'est plus dure à dire.
J'aurais tendance à croire que la dynamique penche plus vers une conservation de ce qui existe, même si c'est pour le vider de sa substance ou en réduire la taille, et même si ça entraine un déclin, plutôt qu'un réel effondrement, parce que c'est historiquement rare que les Européens se débarrassent même de ce qui devient un boulet.
Après, on n'est pas à l'abri d'un régime autoritaire dans un pays qui sortira unilatéralement son pays provoquant la rupture du statut quo de manière trop brutale pour que ça soit gérable, mais c'est du domaine de l'impondérable.
This is our faith and this is what distinguishes us from those who do not share our faith.
(John Flemming, Évêque irlandais, 3ème dan de tautologie, ceinture noire de truisme, champion des lapalissades anti-avortement.)