[tranche d'une vie avec du sens]
Ça fait quelques jours que ma carte de crédit a expiré sans que j'en ai récupéré de nouvelle. C'est la première fois que ça m'arrive, depuis environs quinze ans que j'ai une carte bancaire. Aujourd'hui, j'avais besoin de faire des courses, alors j'ai fait le fond de mes poches et j'ai trouvé six euros exactement, en tout et pour tout. «
Largement assez pour du lait, du jus d'orange, du pain et des pâtes », je me suis dit. Me voilà parti au Super W du coin de la rue, comme au moins deux fois par semaine depuis les trois ans que j'habite dans le quartier.
Trois minutes plus tard, j'entre dans le magasin, je choisis les articles dont j'ai besoin, tout en faisant scrupuleusement le compte du prix total pour ne pas être embarrassé au moment de payer. «
3.12 + 1.42 = 4.54 », me répond avec certitude ma petite voix du calcul mental. «
Tranquille », je lui réponds, avant de m'aventurer au rayon des gâteaux et autres bonbons pour m'offrir avec les 1.50 restants un petit extra, plein de sucre et de bonheur.
Mais voilà que quelques instants plus tard, un jeune homme à la peau bronzée, pas plus de 20 ans à première vue, m'interpelle alors que j'ai grand peine à décider quelle douceur mon budget restreint peut me permettre. «
Excusez-moi, Monsieur, vous n'auriez pas 50 centimes à me dépanner ? », me demande-t-il un peu gêné. Je lui réponds que «
ça se fait, ça se fait », en sortant la pièce qui m'ôte au doux rêve d'une quelconque saveur sucrée sur mon palais (et accessoirement me libère d'avoir à faire ce choix cornélien auquel, depuis quelques minutes déjà, je suis bien incapable de parvenir).
Avec aux lèvres le sourire qui récompense ceux qui ont réalisé une bonne action, je me rends à la caisse alors que la petite voix du calcul mental rassure tant bien que mal l'autre petite voix, qui elle veut son sucré à tel point qu'elle prétexte insidieusement que «
c'est malin maintenant il ne va pas y avoir assez pour payer l'essentiel ». Les articles sont décomptés par l'hôtesse de caisse, charmante dans son nouvel uniforme vert... vert... vert quelque chose. Le temps que je les mette dans mon sac, je relève la tête : «
5.50, Monsieur ». Un peu surpris, je lui tends le montant exact que par le plus grand des hasards j'avais déjà dans la main, puis je me dirige vers la sortie du magasin.
Renforcement très net du sourire de celui qui a réalisé une bonne action : «
ah bon, j'avais fait une erreur de retenue, donc de toute façon il y avait pas assez pour ma sucrerie, c'est un truc de ouf ça, donc j'ai bien fait de donner cette pièce au mec ». Même au sens de la petite voix qui voulait son sucré rien qu'à elle : elle se sent toute bête à présent d'avoir eu ne serait-ce que l'idée de refuser de donner à la personne qui avait besoin. Dans l'euphorie, j'ai envie brièvement d'aller discuter avec le jeune homme à qui j'ai dépanné les 50 centimes, mais il déjà trop tard et je suis dehors.
«
Attends, on récapitule : ça fait quinze ans que tu n'as jamais oublié le renouvellement de ta carte crédit ; en trois ans que tu viens ici au moins deux fois par semaine, jamais personne ne t'a demandé un centime. Aujourd'hui que tu te pointes avec six euros en tout et pour tout parce que tu n'as pas encore ta nouvelle carte, tu donnes cinquante centimes à un mec qui te les a demandés, sachant qu'ainsi tu te prives de ton petit bonheur personnel ; mais en arrivant à la caisse tu te rends compte que tu as pile-poil l'argent qu'il faut car tu t'étais planté dans le calcul et tu n'avais de toute façon pas assez pour te payer une friandise ; qu'en dépannant ce mec tu t'es dépanné toi-même car tu aurais, même sans le reconnaître pour ne pas tâcher ton égo, souffert de la frustration de ne pas satisfaire ta petite voix qui voulait son sucré à tout prix ; que par un hasard qui dépasse ton entendement, il y avait exactement assez pour ton essentiel et donner à l'homme qui n'avait pas assez pour le sien. »
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[/tranche d'une vie avec du sens]
Sensation bénie d'être touché du sacré qui gouverne ce monde,
Alchimie intérieure qui me libère du harcèlement de mes sens :
Un jour je saurai dire «
merci » à une personne qui a pris mon don.
Et bonne masturbation intellectuelle à tous et à toutes !!