J'ai trouvé la lettre où Lorentz essaie de convaincre Einstein de revenir à l'éther :
Haarlem, 6 juin 1916.
Cher collègue,
Au cours des derniers mois, je me suis beaucoup occupé de votre théorie de la gravitation et de la relativité générale, et j'ai également donné des conférences à leur sujet, ce qui m'a été très utile.[1] Je crois maintenant comprendre la théorie dans toute sa beauté ; chaque difficulté que j'ai rencontrée, j'ai pu la surmonter en y regardant de plus près. J'ai également réussi à dériver vos équations de champ Gim=-K(Tim-1/2gimT) du principe variationnel ; du moins, il ne manque plus qu'un petit détail à cette dérivation, qui m'a demandé de longs calculs.[2]
Cependant, j'ai maintenant une idée que je voudrais vous présenter et qui est basée sur la considération d'une expérience fictive. Nous pouvons imaginer l'expérience de Lecher réalisée avec deux fils parfaitement conducteurs tendus autour de la terre à l'équateur, chacun étant autonome[3]. Afin d'éviter le danger de "déraillement" des ondes électromagnétiques (à cause de la courbure de la terre), nos pouvons au lieu de les deux fils utiliser également un seul fil avec la même gaine parfaitement conductrice entourant concentriquement. En un certain point A de ce "câble"[4] autonome, il peut y avoir un dispositif permettant d'exciter des ondes et un détecteur avec lequel nous pourrions observer les ondes revenant en A après avoir parcouru le cercle. Le câble serait solidement relié à la terre, ainsi qu'au point A.
D'après ce que nous savons, nous pouvons dire avec certitude ce que nous observerions avec des moyens suffisamment raffinés. Les ondes produites au même instant en A et qui parcourent le cercle dans des directions opposées ne reviendront pas au même instant en A.
Parmi les différentes façons de décrire ce résultat, il n'y en a que deux qui sont particulièrement simples.
a. Nous pouvons choisir un système de coordonnées I OX, OY (OZ coïncide avec l'axe de la terre) de sorte que dans ce système la vitesse de propagation des ondes soit la même pour les deux sens de rotation. On constate alors que la terre tourne avec le système de coordonnées.
b. Nous introduisons un système de coordonnées II fixe par rapport à la terre. Dans ce système, les vitesses de propagation c1 et c2 sont inégales pour les deux sens de rotation.
Il va sans dire que la différence nécessaire des vitesses de propagation résulte de vos formules générales quand on passe de I à II, et dans la mesure où une équation de la forme C1 - c2 = a est valable aussi bien dans le système I que dans II et est également vrai dans de nombreux autres systèmes (chaque fois avec un a différent), on peut dire qu'elle exprime le résultat de l'expérience sous forme covariante. Mais cela ne doit pas nous empêcher de considérer l'équation c1 - c2 = 0 comme différente de c1 - c2 <> 0. Dans ce sens, nous conclurons que les phénomènes dans le câble ne se déroulent pas de la même manière en ce qui concerne les repères I et II.
Si l'on essaie de le rendre compréhensible d'une manière ou d'une autre ou de le visualiser, on ne peut guère se borner à ne parler que de la terre, du câble et de l'"espace" ou du "vide" contenu dans ce dernier ; on sera enclin à imaginer qu'il n'y a rien dans l'espace ou le vide en soi qui se comporte différemment par rapport aux systèmes I et II.
L'idée est certainement évidente[5] et aurait semblé très naturelle à tous les physiciens du passé, qu'il existe dans le câble un milieu quelconque (éther) dans lequel les ondes se propagent de telle sorte que la vitesse de propagation par rapport au milieu est toujours la même, mais que ce milieu est peut être au repos par rapport à un système d'axes et en mouvement par rapport à l'autre. Si nous adoptons ce point de vue, nous pouvons dire que l'expérience nous a montré le mouvement relatif de la terre par rapport à l'éther.
Si nous avons ainsi reconnu la possibilité de constater une rotation relative, nous ne devons pas nier a priori la possibilité d'obtenir aussi des indications sur une translation relative, i.e nous ne devons pas présenter le principe de la théorie de la relativité comme un postulat. Au contraire, nous devons (et ce fut aussi le cours réel du développement) chercher la réponse à la question dans les observations. Après que celles-ci nous aient appris que l’influence de la translation ne peut pas être trouvée, nous pouvons, en généralisant (et dans une assez large mesure) énoncer ce théorème comme une hypothèse de base, tout en admettant la possibilité (aussi improbable que nous puissions le penser) que les observations futures nous forceront à abandonner l'hypothèse.
Nous pouvons encore habiller ces considérations d'autres manières. Nous pouvons en effet créer des ondes stationnaires dans le câble fermé et observer la position des nœuds à chaque instant. Il s'avérera alors que ceux-ci tournent en rond par rapport à la terre. Cependant, on pourrait se limiter à constater le mouvement relatif des nœuds par rapport à la terre (ou inversement). Mais si l'on considère que la même rotation se produit avec des ondes stationnaires de longueurs différentes et d'intensités différentes, alors il est évident (disons comme un résumé imagé de ce qui est commun à tous ces phénomènes) de penser à un éther dans lequel les ondes stationnaires ont leur siège.
Mach aussi, à l'avis duquel vous vous êtes rallié[6], en discutant d'expériences similaires, a ressenti le besoin de supposer quelque chose en dehors de la terre qui déterminerait les phénomènes. Dans sa pensée on chercherait un moment déterminant dans une influence des "corps lointains de l'univers", disons les étoiles fixes. On dirait que ce sont les étoiles fixes qui provoquent le mouvement circulaire (ou le repos) des nœuds dans le câble annulaire. Bien que cette conception me paraisse beaucoup moins évidente que l'hypothèse d'un éther, je pourrais néanmoins l’admettre si, par rapport à cette hypothèse, elle offrait quelque avantage. Mais je n’en vois pas. En effet, si nous devons admettre que la rotation de la terre par rapport aux étoiles fixes a une influence observable sur les phénomènes électromagnétiques, nous ne devons pas exclure a priori la possibilité d'une influence similaire d'une translation de la terre ou du système solaire par rapport à aux étoiles fixes. Nous en sommes donc exactement au même point qu’avec l'hypothèse de l'éther et nous devons rechercher expérimentalement s’il existe éventuellement un effet de translation. Ici non plus, il ne devrait pas être question d'un postulat de relativité.
D’ailleurs, les deux conceptions, l'influence des étoiles fixes et l'hypothèse de l'éther, ne sont fondamentalement, me semble-t-il, pas très différentes. Supposons que le mouvement ou le repos des nœuds de notre câble annulaire soit déterminé par l'influence des étoiles fixes. Alors, afin d’établir quelque peu la nature de cette influence, je peux supposer dans le câble un système de points rigidement reliés entre eux, comme une sorte de lien entre les étoiles fixes et les ondes électromagnétiques. Je dirai que ladite l'influence se manifeste par le fait que les nœuds ont des positions fixes par rapport à ce système de points, qui est lui-même relié aux étoiles fixes. De ce système de points à un éther il n’y a qu’un pas.
Il va de soi que d'autres expériences, par ex. B. celle dont vous et Mach avez parlé[7] donne lieu à des considérations très similaires, et que les considérations qui précèdent ne vous seront nullement nouvelles. Le point principal dans celles-ci est en fait que des écarts par rapport à la théorie de la relativité sont tout à fait concevables même selon "l'hypothèse de l'étoile fixe". Soit dit en passant, à la fois la théorie de la relativité et votre théorie de la gravitation peuvent subsister dans leur intégralité même dans la conception que je défends. Seulement, elles s’imposeront moins à nous comme les seules possibles.
J'espère sincèrement que vous vous portez bien. En ce qui nous concerne, malheureusement, ma femme souffre souvent, comme elle le fait depuis de nombreuses années, des changements de temps, ce qui est lié à une insuffisance thyroïdienne, mais sinon nous sommes en bonne santé, y compris Haas, sa femme et ses enfants (le troisième est attendu le mois prochain)[8]. Il a maintenant été nommé conservateur au laboratoire Teyler local, ce qui me réjouit beaucoup pour lui et pour moi[9]. Il pourra désormais se consacrer exclusivement aux travaux scientifiques. Si j’ai pu proposer, en accord avec ses pairs, de lui confier le poste vacant, c’est avant tout grâce au travail que vous avez fait avec lui[10] et donc à l'intérêt et à la bienveillance que vous lui avez manifestés, ce dont je vous suis très reconnaissant.
Je vous envoie par le même courrier les deux premières parties d'une réflexion sur votre théorie de la gravitation[11] ; je me suis efforcé d'en habiller les bases géométriques, de sorte que l’usage des coordonnée soit évitée autant que possible[ 12].
Avec mes cordiales salutations, votre H. A. Lorentz
Réponse d'Albert Einstein
Berlin. 17 juin 16.
Cher et très estimé collègue !
J'ai été ravi de votre lettre détaillée[1], surtout à cause de la très bonne nouvelle que de Haas est devenu conservateur du laboratoire Teyler.[2] Vous ne devriez pas continuer à me remercier d'avoir fait l'étude Ampère avec lui.[3] Parce que je l'ai choisi par égoïsme, parce que je l'aimais le plus, et mon impression s'est avérée correcte. Ses collègues ici ont conservé un souvenir de sympathie douteuse à cause de ses sentiments dans des choses impersonnelles. Mais il est significatif que deux personnes se soient enthousiasmées pour le De Haas : le mécanicien de l'institut[4] et le gardien de son appartement personnel. Transmettez-leur mes meilleures salutations.[5] Espérons que le nouveau petit-enfant ira bien. En été, je veux essayer de venir en Hollande ; mais il est difficile d'obtenir la permission.
Je suis très heureux que vous vous occupiez de manière si fructueuse de la théorie de la gravitation. J'ai particulièrement apprécié l'interprétation directe du tenseur Kab, qui était nouvelle pour moi. J'ai moi-même traité l'intégration des équations de champ en première approximation et étudié les ondes gravitationnelles.[7] Les résultats sont en partie surprenants. Il existe trois types d'ondes, mais un seul transporte l'énergie. Je n'ai pas encore tout à fait terminé avec la théorie du rayonnement des systèmes matériels. Mais il est clair pour moi que les difficultés quantiques s'appliquent également à la nouvelle théorie de la gravité, aussi bien qu'à la théorie de Maxwell.[8] J'ai été très heureux que, dans vos conférences parisiennes, vous ayez accordé une attention particulière aux propriétés de fluctuation du rayonnement ; [9] c’est là les inexactitudes des théories apparaissent le plus clairement.
J’en viens maintenant à votre considération des interférences ! J'ai été amusé que vous ayez trouvé exactement le même exemple que celui auquel j'ai souvent réfléchi au cours des dernières années. Je vous accorde que la théorie générale de la relativité est plus proche de l'hypothèse de l'éther que la théorie restreinte de la relativité. Mais cette nouvelle théorie de l'éther ne violerait plus le principe de relativité. Car l'état de ce guv-éther ne serait pas celui d'un corps rigide dans un état de mouvement indépendant. Au contraire, un état de mouvement serait une fonction du lieu, déterminé par les processus matériels. Exemple :
Dessin Axe de terrestre Terre I premier anneau de fil métallique avec nœud d'interférence II deuxième anneau de fil métallique avec nœud d'interférence.
Si la terre n'était pas là ou si elle ne tournait pas, les nœuds d'interférence des anneaux I et II resteraient au repos par rapport aux "étoiles fixes", c'est-à-dire aussi les uns par rapport aux autres. Mais si la terre tourne, les deux systèmes de nœuds tournent aussi, mais dans une proportion infime, et ceux de I plus que ceux de II en raison des distances plus faibles. Les systèmes de nœuds I et II tournent donc l’un par rapport à l’autre à une vitesse infime, en fonction de la rotation de la terre et des distances. Le plan du pendule de Foucault tourne aussi un peu avec la terre, environ 0,01" par an.[10] Dommage que cela ne fasse pas plus ! Mais je dois dire que je préfère le système guv à une comparaison imparfaite avec un objet matériel. Car la préférence pour le mouvement uniforme n'est pas exprimée dans cette hypothèse de l’éther modifiée, mais bien dans le système abstrait. En effet, si l'on suppose un morceau du monde de guv constant, une substitution linéaire du xv ne change rien à la constance du guv, mais une substitution non linéaire du xv oui. Il en résulte que le mouvement relatif uniforme ne "produit" pas de champ gravitationnel, c'est-à-dire qu'il est imperceptible contrairement au mouvement non uniforme. Cette différence fondamentale entre uniforme et non uniforme ne s’exprime pas immédiatement dans la conception de l'éther ; on aimerait au contraire toujours pouvoir prouver un mouvement uniforme.
Avec mes cordiales salutations et mes meilleurs vœux de santé pour votre épouse[11] Bien à vous, A. Einstein.
http://www.albert-einstein.org
Traduit avec DeepL et Google traduction.
Les conséquences :
L'éther et la théorie de la relativité, par A. Einstein.
"Il est vrai que Mach, pour échapper à la nécessité de supposer une réalité inaccessible à l'observation, s'efforça d'introduire en mécanique, à la place de l'accélération par rapport à l'espace absolu, l'accélération moyenne par rapport à la totalité des masses de l'univers. Mais la force d'inertie envers l'accélération relative de masses éloignées suppose une action à distance sans milieu intermédiaire. Et comme les physiciens modernes ne se croient pas en droit d'accepter une action pareille, il aboutit par cette conception aussi à l'éther, qui est destiné à transmettre les effets de l'inertie. Mais cette notion de l'éther, à laquelle conduit la façon de voir de Mach, se distingue essentiellement de l'éther tel qu'il a été conçu par Newton, Fresnel et H. A. Lorentz. Cet éther de Mach ne détermine pas seulement l'état des masses inertes mais est lui-même déterminé par elles.
La pensée de Mach reçoit son plein épanouissement dans l'éther de la théorie de la relativité générale. D'après cette théorie, les propriétés métriques du continuum spatio-temporel sont différentes dans l'entourage de chaque point spatio-temporel et conditionnées par la matière qui se trouve en dehors de la région considérée. Ce changement spatio-temporel des relations entre les règles et les horloges, ou la conviction que l'espace vide n'est physiquement ni homogène ni isotrope - ce qui nous oblige à représenter son état par dix fonctions, les potentiels de gravitation g µv - ces faits, dis-je, ont définitivement écarté la conception que l'espace serait physiquement vide. Par là, la notion de l'éther a de nouveau acquis un contenu précis, contenu certes qui diffère notablement de celui de l'éther de la théorie ondulatoire mécanique de la lumière. L'éther de la théorie de la relativité générale est un milieu privé de toutes les propriétés mécaniques et cinématiques, mais qui détermine les phénomènes mécaniques (et électromagnétiques)."