Pourquoi les affaires de gangs de violeurs refont surface en Angleterre
Les affaires de trafic de mineures, impliquant des groupes d’hommes, pour la plupart pakistanais, reviennent dans l’actualité, sous l’impulsion d’Elon Musk.
De notre correspondante au Royaume-Uni, Leila Lamnaouer
Publié le 06/01/2025 à 14h02
https://www.lepoint.fr/monde/pourquoi-l ... 305_24.php
Tout a commencé par la diffusion d'un documentaire sur Channel 4 le 18 décembre, présentant le témoignage d'une des victimes d'une affaire de viols et d'abus sexuels sur des jeunes filles à Barrow, dans le nord-est de l'Angleterre. Trois frères, d'origine sud-asiatique, ont été poursuivis pour ces faits.
La promotion de la diffusion du documentaire sur le réseau social X a suscité de fortes réactions de la part de nombreux internautes, la plupart soutenant l'activiste d'extrême droite Tommy Robinson, accusé il y a quelques mois d'avoir incité aux émeutes racistes durant cet été en Angleterre.
Puis, fin décembre, c'est le post d'un influenceur malaisien, Ian Miles Cheong – un million d'abonnés sur X –, qui crée à nouveau l'effervescence sur le réseau social d'Elon Musk : l'homme a partagé une vidéo datant de 2015 où intervient Andrew Norfolk, reporter pour le prestigieux journal The Times. Le journaliste s'exprime sur les témoignages qu'il avait collectés lors de ses investigations sur le scandale de l'exploitation sexuelle de mineures à Rotherham, dans le nord de l'Angleterre. Les faits se sont déroulés entre 1997 et 2013 et concernaient 1 400 victimes, violées, enlevées, battues et intimidées par des hommes britanniques majoritairement d'origine pakistanaise.
Le hashtag « grooming gangs » devient viral.
Elon Musk, un de ses abonnés, retweete le message et la machine s'emballe. Le hashtag « grooming gangs » devient viral. Depuis, le milliardaire n'a eu de cesse de tweeter sur plusieurs affaires de trafic sexuel de jeunes Anglaises, comme celle de Telford, situé non loin de Birmingham, dont les résultats des investigations ont révélé que jusqu'à 1 000 mineures avaient été abusées sur une période de 40 ans, à partir de la fin des années 1980.
Certains cas n'avaient pas fait l'objet d'enquête en raison de l'« inquiétude autour des origines » des suspects, à majorité pakistanaise, explique le rapport diligenté par la municipalité et paru en juillet 2022. Ou encore celle de Rochdale, où une autre enquête avait été ouverte après des rumeurs en ligne selon lesquelles des enfants avaient été manipulés, entre 2004 et 2013, dans des foyers municipaux, des bars à chicha et par des chauffeurs de taxi, là aussi d'origine sud-asiatique. De nombreux suspects ont été condamnés, les dernières décisions de justice ayant été rendues en octobre 2023, après plusieurs séries d'investigations.
Le média anti-immigration GB News publie le 1er janvier un article intitulé « Les travaillistes rejettent la demande d'enquête gouvernementale sur le scandale des “gangs de violeurs” formulée par la ville d'Oldham ». La secrétaire d'État à la protection de l'enfance, Jess Phillips, justifie la décision du gouvernement en expliquant qu'« il appartient au conseil municipal de décider de diligenter une enquête sur l'exploitation sexuelle de mineures au niveau local, et que le gouvernement n'a pas à intervenir ». Dans son courrier, daté de fin octobre 2024, elle incite à prendre exemple sur d'autres villes comme Rotherham et Telford, qui avaient donc elles-mêmes mené leur enquête.
Elon Musk veut surfer sur la colère des Britanniques.
« (Jess Phillips) mérite d'être en prison » ou encore « elle est une apologiste du génocide par le viol », tweete Elon Musk, laissant sous-entendre que la décision de la ministre faisait partie d'une opération visant à protéger le Premier ministre britannique (le gouvernement conservateur, au pouvoir jusqu'en juillet dernier, avait pourtant également rejeté une demande similaire d'enquête publique émanant de la ville d'Oldham, affirmant lui aussi qu'il appartenait aux autorités locales de mener de telles investigations). « Au Royaume-Uni, les crimes graves tels que le viol requièrent l'approbation du Crown Prosecution Service pour que la police puisse inculper les suspects. Qui était à la tête du ministère public lorsque les gangs de violeurs étaient autorisés à exploiter des jeunes filles sans avoir à répondre de leurs actes devant la justice ? Keir Starmer. »
L'homme d'affaires américain appelle à la démission du chef du gouvernement et à l'organisation de nouvelles élections. « Seul Reform [le parti de Nigel Farage, NDLR] peut sauver la Grande-Bretagne », indique Elon Musk. Le patron de Tesla et de SpaceX, faisant de l'ingérence dans les affaires politiques britanniques, avait déjà laissé sous-entendre qu'il était prêt à faire un don important au parti d'extrême droite – certains parlent d'un don d'environ 20 millions de livres. Le milliardaire américain, après avoir soutenu Donald Trump, espère ainsi influencer l'opinion publique en surfant sur la colère des Britanniques face aux décisions politiques du gouvernement travailliste. Un sondage, commandé par The Times début janvier, montre que deux tiers de la population déclarent avoir une opinion négative du Premier ministre (66 %), contre seulement un quart qui en a une opinion positive (25 %).
Mais le soutien d'Elon Musk à Nigel Farage aura été de courte durée. Au lendemain d'un meeting organisé dans l'est de l'Angleterre samedi 4 janvier par Reform UK, le patron de X a tweeté que Nigel Farage « n'a pas ce qu'il faut » pour diriger le parti. Une marche arrière qui pourrait s'expliquer par un désaccord sur le soutien de l'Américain à l'activiste d'extrême droite Tommy Robinson, actuellement en prison et dont Nigel Farage tente de se distancier.