Bon... ...Un virage à 45° par rapport à mon
message 933
Déterminisme et physique quantique
Selon moi, le déterminisme est incompatible avec la physique quantique (et la physique statistique. On s'en est rendu compte après). Cela ressort nettement dans le cadre de la
formulation time-symmetric de la physique quantique à 2 vecteurs d'état : un vecteur d'état évoluant du passé vers le présent et un vecteur d'état évoluant du futur vers le présent.
Ce 2ème vecteur d'état n'est pas connu lors d'une mesure quantique donnée. Il ne peut pas être connu. Il dépend d'un futur résultat de mesure incomplètement déterminé par l'état présent maximalement connaissable. Dans le formalisme quantique standard, la connaissance qu'un observateur donné possède d'un système est modélisée par un seul état quantique. Il s'agit de la connaissance maximalement accessible, mais cependant incomplète, que cet observateur peut acquérir relativement à l'état de ce système.
Le formalisme quantique standard décrit incomplètement la "réalité" physique
De ce point de vue, EINSTEIN avait raison. La formulation quantique standard à un seul vecteur d'état est ontologiquement
incomplète. Elle est certes complète, comme E.T. JAYNES l'a pointé du doigt, mais du seul point de vue
épistémique (cf.
CLEARING UP MYSTERIES - THE ORIGINAL GOAL, EINSTEIN/BOHR, confrontation or reconciliation). Le vecteur d’état d’un système donné ne rassemble que l'information maximalement « recueillable » par un observateur donné et non l'information plus complète requise pour caractériser plus précisément les évolutions futures du système observé (sous l'effet de telle ou telle interaction ultérieure).
A titre d'exemple, les résultats de
mesures quantiques dites faibles entre 2 mesures quantiques (fortes) sont corrélés
de façon parfaitement time-symmetric, aux résultats de mesures fortes antérieures et de mesures fortes postérieures.
En particulier, le résultat de mesure faible de spin 45° d'une population de spins 1/2, tous présélectionnés dans un état initial de spin up et tous postsélectionnés dans un état de spin right, présentent une corrélation
parfaitement time symmetric avec le résultat de spin présélectionné (le spin up) et le résultat de spin postsélectionné (le spin right). Ces résultats intermédiaires de mesure faibles dépendent donc d'un futur en partie indéterminé (et non pas seulement du passé).
La physique est un outil d’inférence bayésienne
Par ailleurs, le résultat de l'action d'un système sur un autre caractérisés, aussi bien qu'il est possible de le faire (eu égard à la limitation de l'accès à l'information d'un observateur donné), par leur état quantique n'est connu
que statistiquement. L'état quantique, selon le
Qbism proposé par Christophe FUCHS et quelques autres, notamment Asher PERES (cf.
Quantum theory needs no interpretation), est un outil d'inférence bayésienne. Selon FUCHS, Qbism = quantum
Betabilitarianism : aptitude à faire des paris « optimalement » gagnants sur la base d'une information incomplète.
Le rôle de l’observateur en physique
L'action de l'observateur est définitivement impossible à exclure de la physique (
Copernic doit sûrement se retourner dans sa tombe). On ne peut pas exclure l’observateur de la modélisation des faits d'observation. En particulier, sans observateur et ses limitations d’accès à l’information, il n’est pas possible de faire apparaître une
flèche du temps violant la symétrie CPT de la physique.
Le rôle de la grille de lecture d’une classe d’observateurs macroscopiques
Sans grille de lecture d’une classe d’observateurs,
il n’y a ni indéterminisme, ni irréversibilité, ni traces du passé, ni écoulement irréversible du temps, ni principe de causalité, ni, plus généralement, de propriétés de l’univers.
Sans traces du passé, du point de vue des lois fondamentales de la physique, il n'y a pas de distinction possible entre évènements futurs et évènements passés et il n'y a pas de traces du passé sans la
grille de lecture de l'observateur macroscopique. Ces traces du passé émergent d'un partitionnement des états microphysiques d'un système observé en classes d'équivalence d'états dits macroscopiques. Les états microscopiques tendent à "rester dans leur classe d'équivalence macroscopique".
Cette
stabilité des états macroscopiques assure la reproductibilité de l'observation de ces états par des observateurs distincts au fil d'un écoulement irréversible du temps. En fait, les traces du passé sont à l'origine de l'écoulement irréversible du temps. Ces traces ne sont pas la conséquence de l'écoulement du temps, elles en sont la cause. Les évènements ne se déroulent pas dans le temps :
ils déroulent le temps.
Ces états macroscopiques sont caractérisés par les valeurs d'un tout petit nombre de grandeurs observables et pertinentes à notre échelle d’observation regroupant une foultitude d'états microscopiques distincts…
…mais perçus comme indistinguables à notre échelle d'observation, c’est-à-dire selon la
grille de lecture thermodynamique statistique
de tous les êtres vivants.
Ce manque d'information,
l'entropie dite pertinente, notre myopie d’observateur macroscopique, est la base même de l'existence d'informations caractérisant notre interaction avec l'univers (en un sens intersubjectif pertinent pour nous, les êtres vivants).
L’interprétation réaliste de la physique conserve des adeptes même parmi les physiciens
Bien noter toutefois que le point de vue que j'exprime ici (sans beaucoup de modération/nuance) ne fait pas l'unanimité. VAIDMAN par exemple, un des promoteurs de la
formulation time-symmetric de la physique quantique et de ses débouchés (dont la mesure faible) défend un point de vue réaliste. Pour VAIDMAN, les résultats déterminés de mesures faibles entre 2 mesures fortes, sont
des éléments de réalité au sens où l'entendait Einstein dans son fameux
article EPR, 1935 (une réalité, donc, supposée posséder des propriétés objectives). Cette interprétation réaliste de la physique en mode Einsteinien, une physique qui présenterait un caractère objectif (par opposition à son interprétation positiviste en mode Bohrien) conduit à interpréter la physique quantique comme déterministe malgré l'indéterminisme des résultats de mesure quantique.
Négations de l’indéterminisme et de l’écoulement irréversible du temps sont indissociables
Il est à noter aussi que défendre le déterminisme demande d'attribuer un caractère objectif à l'état présent d'un système donné. Cela consiste donc à rejeter l'indéterminisme observable au prétexte qu'il présente un caractère seulement intersubjectif. L’indéterminisme repose en effet sur le manque d'information d'une classe d'observateurs (les êtres vivants en raison de leur grille commune de lecture thermodynamique statistique).
L'hypothèse déterministe est logiquement indissociable de l'acceptation de l'absence d'irréversibilité. En effet, l'irréversibilité d'une évolution c'est l'indéterminisme des évolutions présent ==> passé, c'est le fait que plusieurs passés différents peuvent conduire à l'unique présent observable (une bille à l'équilibre au fond d'un bol peut avoir été lâchée à différents points de ce bol). Cette irréversibilité, pourtant omniprésente dans notre vie de tous les jours, demande la prise en compte du manque d’information de l’observateur macroscopique. Sans ce manque d’information, il n’y a pas d’écoulement irréversible du temps.
Le paradoxe de l'irréversibilité
En effet, selon nos connaissances actuelles, les évolutions dynamiques prédites par la physique sont CPT symétriques donc unitaires, donc
déterministes et réversibles, trous noirs compris (
selon les recherches les plus récentes sur le sujet)...
...C’est le paradoxe de l’irréversibilité, un paradoxe découlant de notre réticence à attribuer aux lois de la physique et aux grandeurs observables (constantes fondamentales comprises) un caractère seulement intersubjectif. Au plan des principes physiques, le paradoxe de l'irréversibilité ne se distingue en rien du paradoxe de l'indéterminisme. Ces 2 paradoxes disparaissent tous les 2 si l'on accepte de reconnaître le rôle de l'observateur et de sa myopie en physique.
L'écoulement irréversible du temps (entre autres) ne peut exister sans recourir au manque d'information de la classe d'observateurs que forment les êtres vivants (parfois qualifiés plus prudemment, mais du coup plus vaguement, d'agents par Hervé Zwirn, cf.
Is QBism a Possible Solution to the Conceptual Problems of Quantum Mechanics?). Toute tentative de bouter l'observateur hors de la physique se solde donc,
aussi, par l'éjection hors de la physique, de l'écoulement irréversible du temps (au prétexte qu'il est seulement intersubjectif).
L’interprétation de l’écoulement irréversible du temps par EINSTEIN
On s'explique donc pourquoi l'interprétation réaliste de la physique par EINSTEIN le conduisait (dans une lettre de condoléance adressée à la famille de Michele BESSO, son collaborateur et meilleur ami) à attribuer à
l'écoulement irréversible du temps un caractère d'illusion persistante.
A part son existence, l’univers n’a pas de propriété objective. La subjectivité de l’indéterminisme n’est donc pas un argument légitime pour nier sa pertinence physique.
Le point de vue réaliste, l'idée que l'univers pourrait posséder des propriétés objectives, des propriétés qui existeraient intrinsèquement, indépendamment de la grille de lecture d'une famille d'observateurs, est circulaire. En effet, pour prouver l'indépendance des propriétés de l'univers et des lois de la physique à l'observation, il faut, c’est le propre de la science, procéder à des observations reproductibles en apportant la preuve : contradiction.
L'interprétation réaliste de la physique est donc non réfutable. Le rasoir d'Occam, un outil propre aux positivistes ayant largement fait ses preuves (un principe d'ailleurs à la base du concept très efficace d'
inférence bayésienne par maximisation d'entropie promu par E.T. JAYNES) nous conduit à ignorer l'hypothèse métaphysique réaliste et à interpréter la physique comme un outil d'inférence statistique (et non comme un outil dédié à une description objective de l'univers observé). On peut, tout au plus, considérer l'interprétation réaliste comme un aiguillon nous poussant sans cesse à améliorer notre betabilitarianism (notre aptitude à réaliser des prédictions précises, fiables, reproductiblement confirmées par
l'observation).
Si nous n’étions pas myopes, nous serions aveugles
Le futur n'est pas figé. Il n'est pas déterminé de façon unique par le présent car le présent est incomplètement connu. Le déterminisme est un outil mathématique. Lui attribuer une existence objective est une erreur propre à une interprétation réaliste de la physique.
Le passé lui non plus n'est pas figé. Nous ne pouvons toutefois pas agir de façon consciente et maîtrisée sur les évolutions passées en utilisant les corrélations entre évènements présents et évènements passés. Nous ne pouvons pas non plus agir de façon consciente et maîtrisée pour provoquer des évènements présents en nous servant de leur corrélation avec des évènements futurs. Cela nous est interdit par nos limitations d'accès à l'information, c’est ça l’origine du principe de causalité...
...Mais nous pouvons agir sur les évolutions futures grâces aux informations recueillables par lecture des traces du passé. Cette limitation d’accès à l’information aux seules traces que, de ce fait, nous appelons traces du passé, est à l'origine de l’existence de ces traces, d'une distinction entre évènements futurs et évènements passés et c’est aussi la base du principe de causalité. C'est la limitation d'accès à l'information de l'observateur qui brise la symétrie CPT et donc viole la
réversibilité découlant de la symétrie CPT des lois de la physique.
Si nous n’étions pas myopes, nous serions aveugles.
Quel intérêt ont ces considérations vis à vis des défis écologique et climatique ?
La croyance au déterminisme repose sur l’hypothèse métaphysique réaliste, l’hypothèse accordant un caractère objectif (cad indépendant de l’observation et de notre grille de lecture) aux propriétés que nous attribuons à l’univers. La négation de l'indéterminisme demande donc de nier le caractère seulement intersubjectif de ces propriétés (perçues indûment comme objectives). Cette position est (à mon sens) incompatible avec la démarche scientifique, à savoir faire reposer toute affirmation/prédiction se revendiquant scientifique sur la base de confirmations par des observations reproductibles.
On peut ajouter à cela que l'illusion déterministe est dommageable. Avec 8 Mds d'habitants
l'humanité fonce dans le mur. Nous détruisons notre biosphère par des attentes, des valeurs, des principes, des objectifs et des choix de priorités, des haines (motivées par des sentiments d'appartenance exacerbés, qui plus est amplifiées par les réseaux sociaux) inappropriés à la situtation actuelle. L’illusion réaliste (l’illusion d’un monde dont les propriétés et les évolutions ne dépendraient pas des
choix et des actions des observa
cteurs, le lien cause-effet étant supposé agir en sens inverse) favorise la négation de notre part de responsabilité tant individuelle que collective pour relever les défis écologique et climatique.
La croyance en un déterminisme sociétal favorise l'àquabonisme
Cette croyance favorise :
- le rejet de nos parts de responsabilité individuelle (ou de notre catégorie d'appartenance) sur nos coupables préférés.
.
- la confusion entre la recherche normale et légitime de reconnaissance sociale avec une culture (possiblement modelable dans un délai court), une culture définissant des critères de cette reconnaissance sociale : par exemple la possession en mode parasite/prédateur ou au contraire une reconnaissance d'actions bénéfiques pour nos proches, pour une catégorie de personnes (dont nous partageons les valeurs et un sentiment d'appartenance) ou pour la société humaine dont nous sommes tous membres.
C'est en termes de reconnaissance sociale que doit se manifester l'équité sociale. Il ne faut plus que la possession d'objets nuisibles à notre avenir soient perçus comme prestigieux. La vitesse à laquelle changent les modes devrait suffire à nous convaincre que c'est faisable dans un délai possiblement compatible avec le relèvement des défis écologique et climatique.
Devons nous rester les victimes, se croyant impuissantes, de nos convictions auto-réalisatrices ?
Cette croyance en un déterminisme sociétal nous pousse à nous croire victimes impuissantes, sans réaction possible, vis à vis des manipulations dont nous sommes parfois (voir souvent) l'objet (parfois d'ailleurs par nous-mêmes). Elle nous pousse à nous croire victimes impuissantes d'un système de valeurs auquel, en fait, nous contribuons sans faire l'effort d'en devenir conscients. Nous devenons ainsi victimes de nos propres convictions auto-réalisatrices et de la réponse à un besoin émotionnel inconscient de victimation + un besoin émotionnel d'exprimer une colère (supposée) impuissante face à diverses frustrations. Ces émotions sont possiblement nuisibles à notre propre intérêt. Laissées à un niveau inconscient, elle peuvent parfois nous pousser à pivilégier des actions de situant dans le B (voir le C) du paréto, ou pire encore, à nous engager dans des actions contreproductives au lieu de nous amener à y répondre _consciemment_ par des actions utiles et efficaces.
Il me semble donc souhaitable d'accorder au point de vue déterministe/réaliste le caractère qu’il possède : une illusion héritée de la physique classique déterministe fin 19ème résistant, par un effet d’hystérésis, au changement de paradigme induit par l’avènement de l'indéterminisme quantique et du rôle déterminant de l'observa
cteur.
Une option moins contraignante (car ne nécessitant pas de changer d'avis sur le déterminisme), suffisante pour l'objectif visé, est de ne pas rendre encore plus difficile le défi à relever en utilisant la croyance au déterminisme comme outil pour nous encourager à l'immobilisme et nous inciter à attendre que "les vrais coupables" résolvent les problèmes dont ils sont censés être la cause à 99% puis nous dictent ce que nous devrions faire. Ca ne pourrait pas marcher.