Subjectivité VS Objectivité : une expérience de pensée.
Publié : 31 juil. 2004, 02:18
Salut les gens,
Depuis quelques temps déjà, je réfléchi à la démarche sceptique et essaye d'en cerner les avantages et les éventuels inconvénients. Je crois en avoir trouvé un et pour l'expliciter, je vous propose une petite expérience de pensée :
Supposons un individu dont on contrôlerait en temps réel tous les paramètres physiologiques de la douleur avec des instruments dont on aurait vérifié préalablement qu'ils fonctionnent.
Supposons ensuite que l'on stimule électriquement cet individu au niveau de terminaisons nerveuses responsables de la douleur.
On augmente progressivement le voltage afin de déterminer le seuil de déclenchement de la douleur.
Supposons qu'à un certain niveau de tension, on observe le cas suivant :
- Le sujet soutient mordicus avoir mal ;
- Toutefois, les indicateurs physiologiques de la douleur indiquent que le sujet n'a pas mal.
Supposons que la même manip, réalisée avec d'autres sujets, ne donne jamais cette configuration (autrement dit, les autres sujets ne disent avoir mal que si et seulement si on observe parallèlement que les indicateurs physiologiques de la douleur indiquent que les sujets ont mal).
Qu'en concluriez-vous ?
- Que les indicateurs physiologiques sont fiables et que le sujet ment en disant qu'il a mal ?
- Que le sujet dit la vérité et que se sont les indicateurs qui ne sont pas fiables ?
- Autre chose ?
Je trouve que le cas est problématique. D'un côté, on est porté à penser que si un sujet (surtout s'il n'a pas une réputation de mythomane et n'a aucun intérêt à mentir) nous dit qu'il a mal, c'est qu'il a vraiment mal car ultimement il est le mieux renseigné sur sa propre douleur en tant que phénomène subjectif. Personne ne peut savoir mieux que lui s'il a mal puisqu'il est la seule personne dans tout l'univers a être LUI. D'un autre côté, la connaissance des indicateurs physiologiques de la douleur a été établie sur la base d'expériences reproductibles et peut être considérée comme objective.
On pourrait se dire que la connaissance objective prime et que si un sujet dit qu'il a mal alors que ses indicateurs physiologiques indiquent le contraire, c'est qu'il ment. Mais d'un autre côté, la connaissance objective des indicateurs physiologiques de la douleur ne peut se faire... qu'en demandant aux sujets s'ils ont mal ! Il y a donc une circularité dans le raisonnement. Premier biais.
De plus, comme l'a montré je sais plus qui (Wittgenstein ?), le langage contient une ambiguïté irréductible, ne serait-ce même que pour désigner des choses comme les couleurs.
On dit à un enfant : "ça c'est bleu" en désignant par exemple le ciel, mais comment être bien sûr que le bleu perçu par l'enfant est bien le même bleu que celui que l'on perçoit ? Dans la pratique, cela importe peu car il semblerait que les sensations sont suffisament stables au cours d'une vie pour ne pas que les gens s'aperçoivent d'un changement, donc même si on ne peroit pas la réalité exactement comme son voisin, il suffit que nos spectres de perception soient isomorphes même si pas superposables pour que ça passe inaperçu. Mais les conséquences théoriques pourraient être importantes. Ainsi, lorsqu'on demande à un sujet s'il a mal, comment peut-on être sûr qu'il comprend la notion de douleur de la même façon que moi ? Deuxième biais.
Ensuite, qu'est-ce qui m'assure que les sujets disent la vérité sur leurs sensations dans la majorité des cas ou on leur demandera s'ils ont mal ? Ca va peut-être de soi intuitivement car une certaine confiance en autrui est nécessaire à une bonne adaptation, mais en science, il faut se méfier de ce qui va de soi intuitivement... Troisième biais.
Bien sûr, je ne pense pas qu'un cas comme celui décrit dans mon expérience de pensée ce soit déjà présenté. Mais je pense qu'il serait intéressant de réfléchir à l'attitude qu'il faudrait adopter si ça arrivait :
- Admettre une exception à une belle loi objective (ce qui reviendrait à la considérer comme incomplète), mais la démarche sceptique exigerait qqch de reproductible et sans biais, ce qui serait impossible vue qu'on s'intéresserait à un sujet en particulier et qu'il serait impossible de savoir s'il ment ou non.
- Considérer que le sujet ment mais c'est problématique également car ultimement, lui seul sait s'il ment ou non sur ces propres sensations. On n'a aucun moyen de connaître celle-ci mieux que lui.
Pour ma part, je ne sais pas quelle attitude il faudrait adopter mais je pense que le simple fait que la question puisse se poser devrait conduire à relativiser la portée de la démarche sceptique. Une telle démarche est selon moi tout à fait pertinente pour étudier des phénomènes où la subjectivité n'intervient pas ou peu, mais je pense qu'elle aboutit à une impasse si elle veut prendre pour objet le sujet lui-même dans sa subjectivité.
Qu'en pensez-vous ?
Miky
Depuis quelques temps déjà, je réfléchi à la démarche sceptique et essaye d'en cerner les avantages et les éventuels inconvénients. Je crois en avoir trouvé un et pour l'expliciter, je vous propose une petite expérience de pensée :
Supposons un individu dont on contrôlerait en temps réel tous les paramètres physiologiques de la douleur avec des instruments dont on aurait vérifié préalablement qu'ils fonctionnent.
Supposons ensuite que l'on stimule électriquement cet individu au niveau de terminaisons nerveuses responsables de la douleur.
On augmente progressivement le voltage afin de déterminer le seuil de déclenchement de la douleur.
Supposons qu'à un certain niveau de tension, on observe le cas suivant :
- Le sujet soutient mordicus avoir mal ;
- Toutefois, les indicateurs physiologiques de la douleur indiquent que le sujet n'a pas mal.
Supposons que la même manip, réalisée avec d'autres sujets, ne donne jamais cette configuration (autrement dit, les autres sujets ne disent avoir mal que si et seulement si on observe parallèlement que les indicateurs physiologiques de la douleur indiquent que les sujets ont mal).
Qu'en concluriez-vous ?
- Que les indicateurs physiologiques sont fiables et que le sujet ment en disant qu'il a mal ?
- Que le sujet dit la vérité et que se sont les indicateurs qui ne sont pas fiables ?
- Autre chose ?
Je trouve que le cas est problématique. D'un côté, on est porté à penser que si un sujet (surtout s'il n'a pas une réputation de mythomane et n'a aucun intérêt à mentir) nous dit qu'il a mal, c'est qu'il a vraiment mal car ultimement il est le mieux renseigné sur sa propre douleur en tant que phénomène subjectif. Personne ne peut savoir mieux que lui s'il a mal puisqu'il est la seule personne dans tout l'univers a être LUI. D'un autre côté, la connaissance des indicateurs physiologiques de la douleur a été établie sur la base d'expériences reproductibles et peut être considérée comme objective.
On pourrait se dire que la connaissance objective prime et que si un sujet dit qu'il a mal alors que ses indicateurs physiologiques indiquent le contraire, c'est qu'il ment. Mais d'un autre côté, la connaissance objective des indicateurs physiologiques de la douleur ne peut se faire... qu'en demandant aux sujets s'ils ont mal ! Il y a donc une circularité dans le raisonnement. Premier biais.
De plus, comme l'a montré je sais plus qui (Wittgenstein ?), le langage contient une ambiguïté irréductible, ne serait-ce même que pour désigner des choses comme les couleurs.
On dit à un enfant : "ça c'est bleu" en désignant par exemple le ciel, mais comment être bien sûr que le bleu perçu par l'enfant est bien le même bleu que celui que l'on perçoit ? Dans la pratique, cela importe peu car il semblerait que les sensations sont suffisament stables au cours d'une vie pour ne pas que les gens s'aperçoivent d'un changement, donc même si on ne peroit pas la réalité exactement comme son voisin, il suffit que nos spectres de perception soient isomorphes même si pas superposables pour que ça passe inaperçu. Mais les conséquences théoriques pourraient être importantes. Ainsi, lorsqu'on demande à un sujet s'il a mal, comment peut-on être sûr qu'il comprend la notion de douleur de la même façon que moi ? Deuxième biais.
Ensuite, qu'est-ce qui m'assure que les sujets disent la vérité sur leurs sensations dans la majorité des cas ou on leur demandera s'ils ont mal ? Ca va peut-être de soi intuitivement car une certaine confiance en autrui est nécessaire à une bonne adaptation, mais en science, il faut se méfier de ce qui va de soi intuitivement... Troisième biais.
Bien sûr, je ne pense pas qu'un cas comme celui décrit dans mon expérience de pensée ce soit déjà présenté. Mais je pense qu'il serait intéressant de réfléchir à l'attitude qu'il faudrait adopter si ça arrivait :
- Admettre une exception à une belle loi objective (ce qui reviendrait à la considérer comme incomplète), mais la démarche sceptique exigerait qqch de reproductible et sans biais, ce qui serait impossible vue qu'on s'intéresserait à un sujet en particulier et qu'il serait impossible de savoir s'il ment ou non.
- Considérer que le sujet ment mais c'est problématique également car ultimement, lui seul sait s'il ment ou non sur ces propres sensations. On n'a aucun moyen de connaître celle-ci mieux que lui.
Pour ma part, je ne sais pas quelle attitude il faudrait adopter mais je pense que le simple fait que la question puisse se poser devrait conduire à relativiser la portée de la démarche sceptique. Une telle démarche est selon moi tout à fait pertinente pour étudier des phénomènes où la subjectivité n'intervient pas ou peu, mais je pense qu'elle aboutit à une impasse si elle veut prendre pour objet le sujet lui-même dans sa subjectivité.
Qu'en pensez-vous ?
Miky