Faudrait pas vieillir

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Jean-Francois
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Faudrait pas vieillir

#1

Message par Jean-Francois » 18 oct. 2004, 18:42

Parmi les textes créationnistes retrouvés sur le site de l'AS(sic)CQ, j'appréciais assez ceux de M. Sinaseli Tshibwabwa. Un des très rares biologistes (spécialiste des poissons) à être créationniste. Malgré le fait qu'ils apportaient aussi peu d'éléments en faveur du créationnisme que ceux de d'autres auteurs, je leur reconnaissais une certaine érudition scientifique. Malheureusement, son dernier article est très influencé par un livre de Denton ("Evolution: a theory in crisis", 1985) qui a largement été démonté (voir ici, par exemple, ou là). Cette influence fait du texte de M. Tshibwabwa un condensé de faussetés, franchement lamentable au final.

Cet article n'est évidemment (on est sur le site de l'ASCQ) pas d'une véritable discussion, où l'on pèse le pour et le contre de la question. Il ne s'agit pas, non plus, de défendre le créationnisme avec des arguments, juste de douter d'un concept utilisé par les biologistes. On y trouve des affirmations carrément mensongères, de nombreux faux problèmes, l'éternelle stérilité des critiques créationnistes de l'évolution.

Une remarque préliminaire avant d'y arriver: le but de l'article est de dénigrer le concept d'homologie. L'homologie peut se concevoir comme: si deux structures partagent de grandes similarités, il y a de fortes chances qu'elles proviennent d'un ancêtre commun. Il faut noter que, historiquement, ce concept a été adopté par les scientifiques d'après les travaux d'anatomie comparée de fixistes célèbres (Cuvier, Owen) qui ont étudié finement les rapports de similitudes entre de nombreuses structures chez des animaux différents (les membres chez les vertébrés, par exemple). Dire que deux structures sont homologues est une hypothèse qui découle de l'observation. Il faut accumuler les preuves, les études pour que celle-ci soit appuyée. C'est donc un critère assez difficile à déterminer, mais qui a largement démontré sa validité.

Mais revenons aux problèmes de l'article:
Affirmations mensongères: la plus grosse est "[l]es résultats de récents travaux en Biologie ont complètement démoli l’interprétation évolutionniste de l’homologie". Quels sont ces "travaux récents"? On a le droit à quatre références dont la plus récente date de 1974.

Le plus honteux, c'est que ces références sont amenées dans une section intitulée "arguments génétiques" (supposés permettre de rejeter les preuves anatomiques soutenant l'homologie). Dans les années 70 - ce qui n'est pas spécialement récent et en dit plus long sur l'auteur que sur la science - on ne connaissait quasiment rien de la génétique de nombreuses structures, et certainement pas suffisamment pour faire des comparaisons évolutives. De très nombreuses études plus récentes (réf. plus loin) montrent que dans l'ensemble, la génétique supporte très bien les homologies supposées sur la base de la morphologie. La génétique a permis de résoudre certains problèmes et de mieux comprendre l'évolution de certaines structures, mais n'a certainement pas invalidé la question de l'homologie comme M. Tshibwabwa voudrait le faire croire.

Des faux problèmes liés à l'art de mal présenter les choses:
- pour dire que la génétique ne supporte pas l'idée d'homologie, M. Tshibwabwa apporte (sans aucune référence vérifiable) trois exemples de gènes qui influenceraient le développement de plus d'une structure chez le même animal. C'est un peu comme si pour étudier la construction de portières d'automobiles de différentes marques, on s'intéressait à la peinture de la carrosserie. Il y a un lien, mais ce n'est pas l'essentiel. Il est plus valide de prendre la même structure et de comparer la génétique de son développement chez différentes espèces. Et là, la réalité scientifique impose une tout autre conclusion: les gènes intervenant dans le développement de structures morphologiquement homologues sont, dans la majorité des cas, similaires (voir, par exemple, Wagner et Chiu (2001) J. Exp. Zool., une revue sur l'évolution des membres des tétrapodes; ou cet intéressant résumé d'une étude de la génétique de l'utérus). Ces gènes ne sont pas identiques chez toutes les espèces, mais le sont suffisamment pour que cela appuie les homologies structurales.
- l'auteur prétend que le tube digestif se développe à partir de "sites totalement distincts" chez différentes espèces. Non seulement sa présentation est fallacieuse (elle ne respecte pas ce qu'on connaît du développement), mais il omet le plus important: le tube digestif se développe à partir du même feuillet embryonnaire chez toutes ces espèces. Pire, les mécanismes génétiques fondamentaux que l'on connaît sont similaires (et tant pis pour les "arguments génétiques"), ce qui appuie l'idée d'homologie.
- il affirme ensuite que les membres antérieurs se développent à partir de segments différents chez le triton, le lézard et l'homme. Et puis? Il ne s'agit que de différences superficielles (l'homme n'est pas un triton, grande nouvelle) qui masque le plus important: la morphologie, le développement et la génétique du développement des membres (quand on la connaît) ont beaucoup en commun chez tous les tétrapodes. Et, les espèces considérées comme phylogénétiquement proches ont plus en commun que celles qui sont éloignées.
- un autre exemple de formulation fautive: "[l]es reins sont également considérés comme des organes homologues chez les Vertébrés. Mais, ils sont engendrés à partir des organes totalement différents". Le "totalement" est un peu fort, mais c'est vrai que les reins adultes chez les grenouilles et chez les mammifères proviennent de structures embryonnaires différentes. Et puis? Ce que cela veut dire, c'est que les reins des poissons et les reins des amniotes ne sont pas homologues, et qui le nie? En fait, l'embryologie comparée nous a appris que les reins des poissons seraient homologues aux canaux déférents des amniotes mâles. Ce que M. Tshibwabwa voit comme un exemple problématique est au contraire un excellent exemple de comment l'embryologie permet d'établir de véritables homologies. (Sans compter que son exemple en est un qui appuie l'évolution: en effet, la présence d'un mésonéphros temporaire et fonctionnellement inutile chez les embryons d'amniotes indique un lien de parenté entre amniotes et anamniotes. C'est un organe vestigial. Un de ceux que le créationnisme est obligé de nier.)
- M. Tshibwabwa continue son article par une discussion sur le problème des membres chez les vertébrés: les membres antérieurs et postérieurs chez les vertébrés sont fondamentalement très similaires même s'ils montrent des différences, mais ne peuvent être considérés homologues l'un par rapport à l'autre. Il pose plusieurs questions à ce sujet, sans offrir aucune réponse ni même de moyen de répondre. Sauf que M. Tshibwabwa fait un magnifique argument par l'ignorance. A ma connaissance, il n'y a que très peu d'études envisageant ce problème sous un angle comparatif. (Des éléments de réponse existent: il est parfaitement possible qu'un phénomène de duplication ait eu lieu, entraînant le développement des membres antérieurs et postérieurs là où il n'y avait qu'une seule paire de membres. Chaque paire de membres va ensuite être soumise à des pressions évolutives différentes de l'autre. Ça expliquerait pourquoi les membres antérieurs et postérieurs se développent selon des mécanismes génétiques grandement identiques (Logan M, 2003, Development). Toutefois, de nombreuses études sont encore nécessaires pour comprendre ce phénomène.) De plus, ce n'est pas parce que le problème se pose que ça remet en question la notion d'homologie. D'ailleurs, M. Tshibwabwa est d'accord puisqu'il ne montre pas en quoi les questions qui "se posent à ce sujet" rendent caduque ce concept. La critique de M. Tshibwabwa est donc stérile à au moins deux titres: il ne fait que souligner une évidence (on ne sait pas tout sur l'évolution des membres) et il ne propose aucune piste de réflexion tout en voulant qu'on abandonne la seule qui ait produit des résultats.

Je ne sais pas si c'est à cause de quelques scrupules latents vis-à-vis d'un travail aussi nul, mais il en a oublié sa traditionnelle conclusion en forme de: "si l'évolution est fausse, la Bible (donc Dieu) est vraie!" avec citation biblique idoine. Là, nous n'avons qu'un pitoyable: "[e]t comme l’a fait remarquer Michael Denton (op. cit.), en l’absence du phénomène de l’homologie – modification, à différentes fins, de structures semblables-, le besoin d’une théorie de la descendance (d’un ancêtre commun) avec modifications serait loin de s’imposer »". Sauf que, ce n'est pas en faisant une aussi mauvaise critique de ce concept qu'on l'invalide. Ce, d'autant que la notion d'homologie est plus fertile que le modèle alternatif proposé par M. Tshibwabwa, qui se résume par : "[vide]".

Jean-François

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L'embryologie appuie l'évolution sans problème

#2

Message par Jean-Francois » 18 déc. 2004, 20:17

Jean-Francois a écrit :De très nombreuses études plus récentes (réf. plus loin) montrent que dans l'ensemble, la génétique supporte très bien les homologies supposées sur la base de la morphologie. La génétique a permis de résoudre certains problèmes et de mieux comprendre l'évolution de certaines structures, mais n'a certainement pas invalidé la question de l'homologie comme M. Tshibwabwa voudrait le faire croire
Une nouvelle preuve toute récente, parue dans les PNAS:
Okabe and Graham (2004) The origin of the parathyroid gland. PNAS 101: 17716-17719.

Comme un très bon résumé de l'étude, avec de belles images, est disponible ici (en anglais), je vais rester succinct:
Les auteurs se sont intéressés à l'origine phylogénétique des parathyroïdes, des glandes qui aident à la régulation homéostatique du calcium chez les tétrapodes. Pour se faire, il ont étudié l'expression de gènes exprimés lors du développement de ces glandes, en mettant l'accent sur le gène Gcm-2 qui est essentiel pour ce développement. Il faut dire ici que les parathyroïdes se développent à partir de la portion interne (endodermique) de structures appelées arc pharyngiens et qui sont tenues pour homologues des arcs branchiaux des anamniotes.

Les espèces qu'ils ont étudiées sont la souris, le poulet, le poisson zèbre et un petit requin. Les auteurs montrent que le gène Gcm-2 est aussi exprimé chez le poulet, ainsi que chez les poissons: sur la face endodermique des arcs branchiaux. Plus intéressant encore, l'inactivation de ce gène chez les poissons conduit à de lourdes malformations des branchies. Les auteurs montrent enfin que les récepteurs sensibles au calcium existent dans les branchies

Bref, par une étude embryologique et génétique, les auteurs arrivent à montrer que les parathyroïdes et les branchies montrent de nombreuses homologies. Cette étude offre un démenti parfait à l'article de M. Tshibwabwa.

J'ajouterai deux choses:
- cette étude est un excellent exemple de la fertilité de la théorie évolutive en science. Le fait d'avoir supposé que des homologies existaient a permis aux auteurs de faire une découverte nouvelle et intéressante (l'importance du gène Gcm-2 dans la formation des branchies).
- contrairement à ce que semble penser Julien*, l'embryologie n'appuie pas l'évolution seulement parce qu'"il y a des ressemblances". Ces similitudes (et différences) sont très profondes et ne s'expliquent rationnellement que par une évolution à partir d'ancêtres communs.

Jean-François

* "Selon les évolutionnistes, l'embryologie appuie fortement la théorie de l'évolution, et ce parce qu'ils voient des ressemblances dans le développement embryonnaire de différentes espèces de vertébrés. En effet, on note des ressemblances. Par contre, elles sont liées au fait que l'on a sélectionné un échantillon d'espèces qui possèdent des caractéristiques communes majeures. Lors du développement de ces caractéristiques majeures dans l'embryon, on note évidemment des ressemblances ! Les deux caractéristiques majeures reliant les vertébrés sont la présence d'un crâne et d'une colonne vertébrale."
Julien est toujours très simpliste par ignorance et adore les épouvantails, c'est pourquoi il se limite à dénigrer Haeckel uniquement . J'adore sa "liste" de "caractéristiques majeures", fortement incomplète. Je lui avait signalé l'omission des arcs branchiaux/pharyngiens (entre autres).

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