ABC a écrit : 10 avr. 2020, 19:24Cette pression latente contribue en effet fortement (sans que nous en soyons pleinement conscients) aux orientations prises dans le choix des investissements industriels et contribue aussi fortement aux décisions et non décisions prises par nos responsables politiques.
unptitgab a écrit : 11 avr. 2020, 22:00Disons que quand on voit un président autoproclamé champion de la terre pousser à la privatisation de ADP, alors qu'il faudrait restreindre les vols, ce qu'une entreprise nationale peut se permettre de faire alors qu'une entreprise privée n'a que le but opposée, que le ministère du numérique pousse à l'installation nationale de la fibre optique et au développement du réseau 5G, que le réseau ferré doit le plus possible se limiter aux lignes rentables et qu'il rencontre finalement peu d'opposition à ces projets sans intérêt, mais tous ne produisant que des dégâts supplémentaires, cela ne donne pas vraiment confiance en une approche réfléchie des problèmes de pénurie énergétique et de réchauffement climatique à venir et que c'est juste la grosse claque dans la gueule au moment où cela arrivera qui fera réagir et là il sera trop tard pour toute réflexion.
Le plus gros problème c'est le poids énorme qu'a pris la pseudoscience appelée économie dans la prise de décision et dans la plupart des éditoriaux au détriment de ceux qui étudient le réel, ce n'est pas pour rien que Meadows ne voulait aucun économiste pour le rapport "Limit to growth" Et que 30 ans après les projections sont conformes à la réalité.
Il y a, à mon sens, beaucoup, beaucoup de vrai dans votre message (message que, du coup, je n'ai pas eu le courage d'amputer) tout particulièrement l'importance que vous accordez au rapport Meadows.
Il y a deux points toutefois, dans l'ensemble des points évoqués dans votre message ci-dessus, sur lesquels je suis d'un avis différent. Ces points sont importants mais pas essentiels par rapport à la remarque ci-dessous et c'est donc seulement cette remarque que je souhaite préciser et développer.
Votre réponse semble implicitement exprimer un désaccord avec ma remarque quant à notre responsabilité dans les décisions économiques et politiques prises par nos décideurs. Pour ma part, je pense plutôt que votre message complète ma remarque. Il illustre concrètement, par les décisions politiques induites, de quelle façon les contraintes imposées à nos décideurs par nos attentes économiques (plus de pouvoir d'achat, plus de service de ceci, plus de service de cela) contraignent et impactent, au moins dans une large mesure, leurs prises de décision dans une direction qui n'est pas toujours la bonne.
Je pense en particulier (mais pas que) à l'idée, trop souvent considérée comme une évidence, selon laquelle
la croissance serait la solution à tous nos problèmes (notamment le problème de l'emploi et du pouvoir d'achat bien sûr) alors qu'il s'agit d'une fuite en avant (cf. "The limit to growth", le rapport Meadows que vous évoquez)...
...du moins tant que nos valeurs, base de nos achats, donc des quantités et du prix des biens et services produits, donc du montant du PIB, donc du chiffrage de la croissance, n'évoluera pas dans une direction plus responsable.
La première difficulté à surmonter : nos attentes, nos objectifs, notre système de valeurs et le caractère caché de cette pression
Sous la pression économique et politique que nous exerçons à tous les niveaux par nos diverses demandes et rejets, explicites et implicites (dans toutes les classes sociales et non pas seulement dans telle ou telle catégorie socio-professionnelle) les responsables politiques sont contraints de prendre des mesures "économiques" reposant sur des considérations de court terme. Ces demandes et rejets sont d'ailleurs en partie incompatibles parce que 2+2 ça ne fait pas 5, même si 4 est "injuste"... ...et même avec une forte croissance, qui plus est orientée dans la direction néfaste implicitement impulsée par nos attentes.
Ces décisions reposent sur nos estimations "économiques" actuelles de ce qui a de la valeur et de ce qui en a moins. A ce jour, dans notre approche économique
collective, les biens dits non marchands, malgré leur valeur, ne sont pas, ou pas suffisamment, pris en compte.
En pratique, sous la pression électorale, de nombreuses décisions politico-économiques se prennent au détriment de notre avenir en raison d'une sous-estimation (c'est un euphémisme) de la valeur inestimable que représentent nos forêts, nos océans, l'air, l'eau potable, les terres agricoles (et leur bonne santé), notre climat, la vie animale et la vie marine, la diversité biologique (dont, notamment, celle du phytoplancton) car ces biens ne font pas partie des biens marchands...
A cela, il faudrait rajouter d'autres "biens" non marchands, eux aussi sous-estimés dans nos décisions d'investissement, comme la santé et les ressources alimentaires
dans tous les pays et non pas seulement dans les pays dits développés...
...ainsi que la paix dans le monde.
Ce sont tous ces objectifs que nous devrions englober dans une économie qui ne serait pas une pseudo-économie (pseudo puisque l'on n'économise pas du tout ce qui a le plus de valeur (1)).
Mais ce n'est pas tout.
Une deuxième très forte difficulté doit-être soulignée. C'est l'objet de ma remarque ci-dessous (et son développement).
La deuxième difficulté à surmonter, nos divisions
La principale difficulté ne me semble pas être de trouver des solutions, mais de
nous mettre d'accord sur ces solutions en parvenant à surmonter nos divisions.
Ce qui nous incite à croire (cette croyance est un obstacle très sérieux à la résolution de nos problèmes) qu'il y a, essentiellement, une ou des classes ou catégories de coupables (catégorie dont nous ne faisons bien sûr pas partie) est un mécanisme profondément ancré dans nos comportements. Je détaille ci-dessous les raisons de cet ancrage (il dépasse largement de simples considérations d'apprentissage socio-culturel...
...et plus encore des considérations de raisonnement "objectif et rationnel" complètement hors jeu de ce point de vue).
Contrairement à ce que j'avais pu croire jusqu'à présent, la sélection naturelle n'a pas fait de nous de simples prédateurs égoïstes, un égoïsme qui ne serait qu'imparfaitement modéré par une morale reposant sur une couche superficielle, fragile, d'apprentissage à caractère purement socio-culturel (bâtie au fil des siècles dans le conflit comme expliqué dans l'esprit des lois de Montesquieu).
Certaines notions de bien et de mal
préexistent à leur apprentissage social. Nous naissons avec certaines de ces notions parce que ces notions nous ont été utiles pour survivre, dans un environnement hostile, par une coopération reposant sur nos capacités d'empathie. Elles sont parfaitement constatables, même sur des rats. Des expériences l'ont montré. Ces expériences étaient présentées dans l'émission, "sommes nous altruistes ?", dont je parle ci-dessous.
Une expérience menée sur des bébés montrant la part innée de empathie et de comportements altruistes...
...et la limite de ces comportements altruistes : nos divisions en, et tensions entre, groupes d'appartenance
Cette émission (elle est passée sur arte il me semble) montre en effet (par des expériences très intéressantes pratiquées sur des bébés) qu'un comportement altruiste, d'aide, sans attente d'une récompense en retour, se manifeste dès l'age de 2 ans. Il semble donc faire appel à de l'inné plutôt qu'à de l'acquis. En fait, certaines manifestations en attesteraient même dès l'age de 3 mois (je préfère mettre le conditionnel car je ne serais pas surpris qu'il puisse y avoir débat à ce sujet).
Selon cette émission, ce comportement naturellement altruiste est relié à notre capacité empathique.
Il se heurte toutefois à un obstacle de taille.
Nous mettons une barrière forte à ce comportement altruiste pour le réserver, dans une assez large mesure, à ceux qui partagent avec nous certaines ressemblances. Il nous est même possible, et ça c'est plus embêtant, de
développer des comportement agressifs à l'encontre de catégories vis à vis desquelles nous avons un fort sentiment de non appartenance.
Il n'y a pas facilement d'impartialité dans nos jugements et dans nos comportements quand ils portent sur des catégories sociales, religieuses, de croyance, de non croyance, de nationalité... différentes de celles auxquelles nous avons le sentiment d'appartenir. Notre rationalité (même quand nous croyons en posséder une solide et bien entrainée) est facilement mise en défaut par cette tendance très profonde, qui nous vient de très loin, dans notre évolution en tant qu'espèce animale.
On comprend mieux, à la lumière de ces expériences, l’agressivité (autrement mystérieuse) suscitée par exemple, quand on exprime un jugement positif ou neutre vis à vis d'une catégorie que le récepteur du message souhaite ardemment détester avant tout (et pas forcément consciemment) en raison de ses différences avec la catégorie à laquelle il a le sentiment d'appartenir (et qu'il estime, elle, mériter tous les égards).
Un groupe de personnes, partageant le sentiment d'une appartenance commune, ça peut-être absolument n'importe quoi. Ça peut-être la préférence pour sa famille ou un groupe d'amis, mais ça peut tout aussi bien être :
- la préférence pour les supporters de notre club de foot préféré,
- la préférence pour nos compatriotes,
- la préférence pour nos coreligionnaires,
- la préférence pour notre catégorie socio-professionnelle,
- la préférence pour les fans d'un même style de musique,
- la préférence pour ceux qui ont la même couleur de peau
(pour la couleur des cheveux c'est un peu moins fréquent, quoi que, si on ne croit Lio,
les brunes en ont parfois un peu marre des blondes
),
- la préférence pour sa famille idéologique ou politique...,
Dans l'émission en question, ce principe de limitation d'empathie et de coopération et de partialité, voir même parfois à souvent d'hostilité dans nos jugements et décisions à l'encontre de membres d'autres catégories (stimulée par le sentiment d’appartenance à un groupe), était mis en évidence sur des bébés d'environ deux ans.
Le test exploite la préférence attribuée (par l'expérimentateur) à diverses marionnettes pour deux petits déjeuners différents. Les tendances altruistes du bébé et son sens de qui doit être puni ou qui doit être récompensé (selon son comportement altruiste ou inverse justement) s'avéraient biaisés par la concordance, ou pas, des goûts supposés de la marionnette pour tel ou tel type de céréales avec les goûts personnels du bébé objet du test.
Dans ce test, il y avait :
- une "gentille marionnette". Dans une phase précédente, cette gentille marionnette aidait, en effet, une autre marionnette quand elle était en difficulté (pour ouvrir un coffre contenant des jouets)
- une "méchante marionnette". Au contraire de la gentille, elle fermait violemment le coffre à jouets (de la marionnette en difficulté pour l'ouvrir).
Ces deux marionnettes (la gentille et la méchante) se voyaient ensuite offrir des friandises (par un autre expérimentateur ignorant, lui, qui était la gentille et qui était la méchante marionnette). Arrivait alors une 3ème marionnette n'ayant, elle, pas de friandise (tout avait été distribué aux deux premières).
Quand on demandait au bébé de prélever une friandise pour l'offrir à cette 3ème marionnette, ce bébé avait statistiquement (environ 80% il me semble), fortement tendance à prélever cette friandise dans le bol de la méchante marionnette plutôt que dans le bol la gentille marionnette.
Par contre, quand était (préalablement) mise en évidence la préférence de ces deux marionnettes en matière de céréales, le choix du bébé s'avérait statistiquement fortement impacté par la concordance, ou pas, de son goût (en matière de céréales) avec les goûts respectifs de ces 2 marionnettes. Dans le cas où la méchante marionnette partageait le même goût que le bébé en matière de céréales, voilà que notre bébé se mettait, statistiquement, à privilégier la méchante marionnette, lui pardonnant ainsi sa méchanceté pour la simple raison qu'elle lui ressemblait en matière de goûts culinaires.
Bref, nous avons tendance à privilégier ceux qui nous ressemblent, ceux que, pour une raison ou une autre, nous classons dans une catégorie à laquelle nous avons le sentiment d'appartenir.
Ce que j'ai voulu souligner par ce développement, c'est que ce comportement, qu'on le qualifie de sectaire, de communautariste, de nationaliste, de meute... est très profond. Il est plus profond qu'un simple vernis d'apprentissage socio-culturel. On le constate d'ailleurs aussi chez les chimpanzés. Ils tendent (le plus souvent) à s'entraider au sein d'un même groupe, mais
peuvent se montrer très agressifs vis à vis d'un autre groupe.
La voilà notre principale difficulté. En plus d'efforts importants et d'un changement de notre système de valeurs, nous voilà placés devant un deuxième très un sérieux défi : développer notre aptitude à l'altruisme, développer notre aptitude à lui faire traverser les frontières de nos diverses divisions, et surtout, surmonter notre tendance à vouloir "punir" les autres catégories des défauts que nous leur imputons, parfois à souvent faussement ou de façon exagérée (en restant aveugles au passage, aux défauts, souvent les mêmes d'ailleurs, relatifs à notre propre catégorie d'appartenance).
Derrière ces défauts majeurs présumés (imputés à d'autres catégories de ceci ou cela que la notre) se cache souvent, sournoisement, au moins en partie, leur plus grave défaut : celui de faire partie d'une catégorie (sociale, de croyance, de culture, de valeur, de nation...) différente de celle à laquelle nous avons le sentiment d'appartenir.
Le dépassement de nos nombreuses divisions est un obstacle très profond car il remonte loin dans notre évolution en tant qu'espèce animale. Nous sommes très inventifs en matière de divisions. Les O'hara et les O'Timmins de Lucky Luke en sont une excellente illustration (tout à fait réaliste à mon sens).
Cette difficulté à dépasser nos divisions, à nous unir pour résoudre nos problèmes, me semble être, en fait, l'un des principaux obstacles pour résoudre la grave crise écologique et sociale actuelle. Il nous faut parvenir à surmonter cet obstacle en mettant en place, collectivement (par un effort collectif partagé obtenu malgré nos divisions, préférences et animosités catégorielles), un ensemble de solutions aux problèmes et aux dégâts que nous causons à ce jour à notre société mondiale et à notre planète par le déni de nos responsabilités tant collectives qu'individuelles dans ces dégâts.
Est-ce insurmontable ? Je ne le pense pas. Nous sommes dotés d'une faculté d'anticipation des conséquences de nos choix, de nos comportements et de nos actes, qui nous donne la possibilité de surmonter cet obstacle très très fort grâce à la prise de recul qui nous est ainsi offerte. Cette capacité d'anticipation, de prévision à moyen et long terme, inédite (du moins à ce niveau) dans le règne animal, nous en offre la possibilité si nous trouvons la motivation requise pour franchir l'énorme obstacle de nos divisions (ainsi que l'obstacle d'attentes, d'objectifs et d'un système de valeurs inadaptés à la situation actuelle).
(1) Les biens non marchands passent sous le radar de notre pseudo-économie actuelle. En le formulant de façon un peu différente, l'économie est, à mon sens, une science molle certes, mais une science comme une autre quand même. Le problème des décisions inappropriées sensées en découler, vient de ce que, du moins à ce jour, cette science est alimentée par des données parfois incorrectes (le niveau de valeur attribué à tel ou tel bien marchand ou non marchand).
En effet le prix que, par le niveau de notre demande, nous conférons aux biens marchands comme non marchands (et non la loi de l'offre et de la demande en tant que telle) n'est pas toujours un reflet correct de ce que ces biens nous apportent ou ne nous apportent pas. La publicité, souvent mise en cause (accusant ainsi la voiture des accidents provoqués par l’alcoolisme de son conducteur), ne fait jamais que privilégier ce qu'il est le plus facile de nous vendre cher à coût total identique.
Qui plus est nous exerçons, par nos demandes excessives, une pression
collective favorisant
la performance par rapport à la résilience.