Etienne Klein s'était, avec d'autres scientifiques, mobilisé il y a plusieurs années. Le constat qu'il dressait n'était pas optimiste, il ciblait en 2009 ce qui ne fonctionnait pas ou était proprement contradictoire.
https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-9-page-173.htm
...]La seconde question que nous devons nous poser est liée à un constat : le nombre de scientifiques embauchés dans les entreprises ou les administrations est beaucoup plus faible que celui des étudiants dans les filières scientifiques. Comment en est-on venu à rejeter l’idée qu’une formation scientifique supérieure est une bonne formation générale – y compris pour des métiers non scientifiques requérant une formation supérieure ? Dans le même temps, on observe également que les connaissances scientifiques, même les plus élémentaires, ne font pas partie du savoir commun. Il semble donc que nous continuions de vivre en France avec une conception hégémonique de la culture : les sciences ne sont pas considérées comme une partie de la culture générale. On les oppose au savoir humaniste, comme si une barrière naturelle était là pour les isoler. Ainsi, depuis deux générations, les sciences demeurent-elles absentes de la formation des élites politiques, économiques et administratives, a fortiori de la grande majorité des citoyens. Le pouvoir se joue sans elles, au sens où l’ignorance en la matière ne constitue pas un handicap politique. * Chacun se rappelle que, lors du débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, de grosses « bourdes » scientifiques ont été proférées par les deux candidats à la présidence, notamment à propos de l’énergie et du nucléaire (sujets pourtant « chauds » s’il en est), sans que quiconque songe à remettre en cause leur capacité à exercer les plus hautes responsabilités. Condorcet avait donc vu juste sur un point : « l’accroissement mécanique du savoir » ne suffit pas à promouvoir de lui-même le développement scientifique et culturel des sociétés qui l’abritent.
15
Une autre étude menée par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée Nationale, dirigée par Jean-Marie Rolland, est venue confirmer en mai 2006 l’analyse de Jean Dercourt. Les membres de cette commission ont procédé à l’audition de plus de cinquante personnes, toutes concernées à des titres divers par l’enseignement des sciences : académiciens, pédagogues, enseignants, directeurs d’IUFM, élèves, parents d’élèves, chercheurs, inspecteurs généraux… Le rapport d’information (n° 3061) qui a été tiré de cette étude, intitulé Réconcilier les jeunes et les sciences, fournit un très grand nombre de données chiffrées. La Commission insiste, notamment, sur « le rapport décourageant entre le long effort à fournir pour faire des études scientifiques et les faibles espoirs de débouchés ». Les propositions qu’elles formulent concernent surtout l’enseignement des sciences à l’école, au collège, au lycée et à l’université. Mais il ne s’agit pas, selon elle, de procéder « à une énième révision des programmes et des horaires ». Elle préconise plutôt de prendre appui sur les nouveaux « laboratoires pédagogiques » qui tendent à se multiplier, tant « sont grands l’enthousiasme à enseigner, la curiosité et la soif d’apprendre dès que l’on sort des modes traditionnels de transmission des savoirs »....
C'était en 2009, autrement dit, il y a une éternité.
La situation de dégradation et de perte d'intérêt et de motivation pour des études scientifiques était-elle connue?
...A l’issue d’une grande enquête, l’OCDE a publié, en 2005, un rapport sur ce sujet [4]: la baisse d’intérêt des jeunes pour les études et les carrières scientifiques ne fait plus aucun doute. Elle concerne tous les pays développés (et pas du tout les pays émergents). Elle frappe particulièrement les disciplines classiques, la physique, la chimie et les mathématiques.
17
Le rapport insiste sur un sujet d’inquiétude supplémentaire : la tendance d’une fraction croissante des têtes de classe de la fin du secondaire à tourner le dos aux études scientifiques universitaires. La complainte est enregistrée dans de nombreux pays....
...Dans tous les pays, c’est le système éducatif qui est mis sur la sellette. On le juge vieillot et inadapté. Si l’on veut que cela change, conclut le rapport de l’OCDE, c’est sur lui que la réflexion doit porter, en priorité...
Gouvernementalement parlant, également dans les rangs de l'opposition, le niveau d'expertise scientifique ou du moins celui des connaissances dans les domaines scientifiques ne semble pas extraordinairement élevé. Si les dirigeants et élites politiques d'un pays ne sont pas au clair avec ces questions, sans en tirer de conclusions hâtives et réductionnistes, force est de constater que les résultats de ce sondage Ifop ne proviennent pas du hasard. L'état de l'éducation nationale en témoigne. Les enseignants, seuls, livrés à eux-mêmes, sans encadrement solide et fiable, sans référents reconnus et identifiés comme tels, sans formations de qualité, sans confiance, sans reconnaissance,... ne pourront pas redresser la barre.
Les enseignants... du moins ceux qui sont encore présents pour assurer leur fonction, encore convaincus de leur mission éducative, et qui résistent. Jusqu'à quand?
Ce qui suit est à méditer...
Etienne Klein formulait quelques propositions... toujours en 2009...
...Il s’agirait donc de mieux penser les savoirs qui sont transmis aux lycéens et aux étudiants, afin que la très dissuasive barrière des mathématiques ne soit pas érigée d’emblée. Etre scientifique, c’est certes faire des calculs, mais c’est aussi méditer les concepts, saisir leur portée, expliciter leur sens. Nous pensons que cette dimension réflexive est doublement nécessaire : d’abord, elle constitue le préalable à toute transmission efficace des connaissances, car elle suscite a priori davantage d’appétit que l’aspect purement formel des savoirs, elle est en quelque sorte le combustible de la motivation ; ensuite, elle permet de lutter indirectement contre les formes les plus radicales du relativisme en montrant comment la science produit, avec le temps et grâce à une démarche collective, des résultats capables de s’émanciper du contexte particulier de leur première formulation .
24
De plus, on voit bien que lorsqu’une telle « épaisseur » leur fait défaut, la capacité des chercheurs ou des professeurs à se positionner dans les diverses situations humaines engageant les sciences se trouve écornée, tout comme leur aptitude à présenter ou à enseigner leur savoir comme une véritable aventure intellectuelle. Il faut donc la réhabiliter, d’autant que, bien utilisée et puisant dans plusieurs registres, elle pourrait déboucher sur de nouveaux genres ou de nouvelles formes de vulgarisation, à la fois plus inventives, plus ambitieuses et plus séduisantes.
25
Sur l’ensemble du territoire, des initiatives très nombreuses permettent depuis plus de dix ans la « diffusion de la culture scientifique et technique ». Afin d’accroître leur efficacité et leur portée, il nous semble urgent de retrouver le désir de penser les savoirs, d’exprimer leurs saveurs essentielles. Car, avant de prétendre redonner aux Français « le goût des sciences », ne faudrait-il pas redonner du goût aux sciences elles-mêmes – et ainsi ré-érotiser l’acte de connaître ?...
Je lisais ce matin une interview de Cédric Villani. Il ne disait pas autrement en 2023.
Se produira-t-il (enfin!!!...) une réaction en haut lieu, parmi tous ces "responsables", et pas uniquement ceux actuellement au pouvoir?
A prendre en compte néanmoins : le jeune âge qui rend plus perméable (déjà observé sur des études de générations précédentes), le contexte social de la personne interrogée, plus perméable si elle vient d'un milieu moins favorisé, ainsi que le contexte général moins sécurisant actuellement.
A rajouter la pression du groupe, le regard et le jugement des pairs qui s'exercent désormais à plusieurs niveaux: dans la "vraie" vie, celle physique, et dans les réseaux sociaux.
Daniel Cohen a récemment traité une bonne partie de la question ("Homo numericus").
Michel Desmurget (le chercheur, auteur de "La fabrique du crétin digital") s'est attaqué au sujet il y a une décennie:
https://lesprosdelapetiteenfance.fr/vie ... ont-besoin
Docteur en neurologie et directeur de recherche à l'INSERM, Michel Desmurget est en guerre contre les écrans et leurs effets sur les jeunes enfants depuis plus de 10 ans. Télévision, tablettes, smartphones de véritables dangers pour les tout-petits. Ce lanceur d’alerte au franc-parler signe a « La Fabrique du Crétin Digital », un troisième livre coup de poing. Sans concessions. Et pessimiste. Entretien avec un scientifique engagé qui milite pour les interactions humaines qu’aucun écran ne pourra jamais remplacer !
Sauf erreur de ma part, il ne me semble pas se produire de (grand) mouvement pour enrayer, dans nos sociétés, cette multiplication de "crétins digitaux" qui devraient, compte-tenu des tendances actuelles du marché, se multiplier. Les résultats de ce sondage Ifop ont largement de quoi inquiéter. A suivre...
* Jean-Marc Jancovici tire à boulets rouges 15 ans plus tard, sur ces élites qui sont suffisamment rémunérées pour réfléchir et agir en conséquence, sachant qu'elles ne peuvent pas ne pas avoir pris connaissance des dossiers et avoir mesuré l'ampleur de la catastrophe à venir. cf. son intervention dans la commission de l'Assemblée Nationale en Novembre 2022:
https://www.youtube.com/watch?v=oweVFXFFh04