stefaan a écrit : 26 mars 2024, 18:00Ma réflexion tournait aussi autour du postulat de plus en plus émis par des scientifiques que le temps n'existe pas.
En fait, si l'on décide d'attribuer un caractère d'illusion à l'écoulement irréversible du temps, au prétexte de l'impossibilité de lui accoder un caractère objectif, on est amené, en raison d'une contrainte de cohérence logique, à attribuer un caractère d'illusion à toute propriété, objet, loi ou phénomène physique.
Pourquoi ?
Parce que toute les propriétés que nous attribuons au monde avec lequel nous interagissons (avec le sentiment intuitif très fort que les propriétés ainsi recueillies présenteraient un caractère objectif) reposent sur ce que nous appelons les traces du passé. L'existence même de ces traces repose sur notre
grille de lecture thermodynamique statistique (1).
Il s'agit du partitionnement des états microscopiques en gigantesques classes d'équivalence d'états macroscopiques stables vis à vis des agressions de l'environnement et résistant à des lectures successives (garantissant ainsi l'intersubjectivité). "L'objectivité" (apparente) des propriétés du monde avec lequel nous interagissons émerge ainsi des informations irréversiblement enregistrées, les traces du passé.
Dire que le temps est une illusion est l'hypothèse envisagée par
Thibaut Damour ou encore par Einstein dans une lettre de condoléances à la famille de Michele Besso, un collaborateur et ami proche mort en mars 1955 (quelques mois avant la mort d'Einstein lui-même).
Time’s arrow: Albert Einstein’s letters to Michele Besso
Now he has again preceded me a little in parting from this strange world. This has no importance. For people like us who believe in physics, the separation between past, present and future has only the importance of an admittedly tenacious illusion.
Cf. aussi, relativement à la question du temps :
L'attribution, par certains physiciens, d'un caractère d'illusion à l'écoulement irréversible du temps repose sur une interprétation réaliste de la physique. C'est notamment le cas de la position réaliste d'Einstein, dans sa vision du monde et vis à vis de la fonction même de la physique, dans son débat face à Bohr (positiviste). Il s'agit de l'idée selon laquelle l'univers possèderait des propriétés objectives, des propriétés qui existeraient dans l'absolu, des propriétés "réelles" qui ne devraient rien ni à l'observation, ni à l'observateur, ni à sa grille de lecture.
Comme les traces du passé demandent un enregistrement irréversible d'information, irréversibilité signifiant fuite d'information hors de portée de l'observaeur (et non une fuite d'information objective puisque les lois d'évolution physiques sont déterministes et réversibles, cad conservent l'information) ces physiciens estiment que l'écoulement irréversible du temps ne doit pas être considéré comme "réel" au pretexte qu'il n'est pas objectif.
A mon sens la position réaliste, visant à bouter l'observateur hors de la physique (une position encore défendue par une minorité, néanmoins conséquente, de physiciens) n'est pas tenable. En science, toute affirmation demande des preuves. Les preuves sont obtenues par recueil d'observations reproductibles. Prouver que l'univers possèderait des propriétés objectives, indépendantes de l'observation et de l'observateur demande des observations reproductibles : contradiction.
L'hypothèse selon laquelle l'univers possèderait des propriétés objectives (indépendantes de nos interactions avec l'univers et de notre grille de lecture) est non réfutable. Elle est donc (à mon sens. Cet avis ne fait pas l'unanimité) sans intérêt. J'ai le même avis relativement
- à l'attribution d'un caractère d'illusion à l'écoulement irréversible du temps
- à l'attribution d'un caractère de réalité à l'hypothèse de l'univers bloc, à la réversibilité et au déterminisme des évolutions.
A mon sens, seul a réellement un sens physique, ce qui est observable (reproductiblement dans toute la mesure du possible). Cela comprend, entre autres :
- l'existence de traces du passé
- la distinction entre évènements passés et évènements futurs (et tout ce qui en découle)
- l'écoulement irréversible du temps
- l'indéterminisme des évolutions (le futur n'est pas complètement déterminé par ce que nous sommes en mesure d'apprendre sur le présent)
- l'irréversibilité des évolutions (le passé n'est pas complètement déterminé par ce que nous sommes en mesure d'apprendre sur le présent)
- le principe de causalité.
Concernant l'hypothèse d'existence ou pas d'informations gardant des traces de ce qu'ont été nos émotions et nos expériences de vie sur un support à ce jour inaccessible à nos moyens d'observation reproductibles, il s'agit là d'une hypothèse métaphysique (non réfutable). Existerait-il d'autres possibilités de stockage dinformation échappant à nos modes d'interaction ? Pourquoi pas, mais quelle signification physique attribuer à quelque chose que nous ne pouvons pas observer (ou pas bien faute d'une reproductibilité suffisante) ?
Avec ce type de questionnement, on sort de la physique pour entrer dans le monde de la métaphysique (ou, peut-être, d'une physique encore inconnue), un domaine où il n'est plus possible d'avoir de certitudes ou d'informations fiables. De plus, il n'est plus possible d'attribuer une signification claire (voir plus de signification du tout) aux mots utilisés faute d'expériences reproductibles donnant un sens à ces mots.
stefaan a écrit : 26 mars 2024, 23:35Un même électron peut se trouver simultanément à deux endroits différents.
On dit que l'électron est alors dans un état superposé. Lorsque l'électron est
observé, il est pourtant observé à un seul de ces 2 endroits, pas à 2. Il y a un changement brutal d'état du système observé (on dit qu'il y a réduction irréversible du paquet d'onde). Ce changement irréversible viole à la fois le détermisme et la réversibilité des évolutions, base de l'hypothèse réaliste d'inexistence du temps.
De la sorte, si l'on oublie l'observateur en se plaçant dans l'hypothèse qu'il serait une marionette de lois physiques d'évolution déterministes, réversibles, supposées objectives, indépendantes de l'interaction univers/observateur (les êtres vivants) (3), alors il n'y a effectivement, pas de temps. En fait il n'y a alors rien du tout. En effet, sans la grille de lecture thermodynamique statistique de l'observateur macroscopique (1), il n'y a pas de traces du passé (émergeant de cette grille de lecture). Il n'y a donc pas de support recueillant les informations dont nous tirons les lois de l'univers et les propriétés des objets que nous observons.
Si l'on accepte de remettre l'observateur au centre du village, alors on fait réaparaître l'univers, ses propriétés, l'écoulement irréversible du temps, l'indéterminisme et un futur imprévisible dépendant de nos choix, de nos décisions, de nos actions (4). L'univers bloc, le déterminisme, la réversibilité redeviennent alors ce qu'ils sont en "réalité" : des modèles mathématiques utiles pour inférer des prédictions sur la base d'une information nécessairement incomplète, incomplétude/grille de lecture sans laquelle aucune des informations auxquelles nous attribuons le caractère de propriétés de l'univers n'existeraient.
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Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles.
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stefaan a écrit : 27 mars 2024, 08:49Il était aussi question dans ce film du temps comme vue de l'esprit, comme fabrication artificielle du cerveau humain.
Vous devriez relire mon message en sautant les passages que vous trouvez trop techniques.
(1) cf.
Incomplete description and relevant entropies. R. Balian, juillet 1999,
(2) cf.
Le temps macroscopique, R. Balian
(3) Cela décrit assez bien la vision dite réaliste de la physique fin 19ème siècle. A ce jour, une majorité de physiciens interprètent plutôt la physique, non comme un outil de description d'une réalité objective mais, au contraire, comme un outil servant à établir des modèles prédictifs de ce que nous sommes en mesure d'observer. Ces modèles sont établis sur la base d'une information nécessairement incomplète.
Sans cette incomplétude (la myopie de l'observateur macroscopique), il n'y aurait pas de traces stables, résistant aux agressions de l'environnement, reproductiblement lisibles. Ces traces stables, nous les appelons traces du passé. Ces traces sont le support de stockage des informations servant à attribuer des propriétés à l'univers que nous observons (ou plutôt avec lequel nous observons et caractérisons nos interactions).
(4)
Déterminisme, reponsabilité individuelle, responsabilité collective.