Re:Re:Re:Re:Mathematique
Re: Re:Re:Re:Mathematique -- dedroix rené
Je suis d’accord avec toi, dans ce que tout le monde sait ou croit savoir se trouvent bien des merveilles. Mon intervention avait justement pour but de protester contre les réactions négatives qui avaient suivi le message de Axle disant simplement «1+1=2».
Comme tu le rappelles, les “évidences” du sens commun ont bien souvent servi de base aux plus hautes spéculations philosophiques.
Tout dépend aussi de la manière d’aborder cette évidence mathématique. Pour ma part, je suis fasciné par ce lieu commun, j’y vois facilement une sorte de résumé qui porte en lui toutes les questions que l’on peut se poser sur le langage, principalement sur le rapport de représentation et sur son lien avec la réalité. Selon l’angle sous lequel nous abordons le rapport entre les mathématiques et le langage, nous pouvons y trouver énormément d’intérêt, mais parfois les approches opposées se rejoignent de manière étrange. Il n’y a qu’à voir comment mathématiciens, philosophes et ésotéristes ont traité la question ces 8 derniers siècles, en gros depuis l’Ars Magna de Raymond Lulle, sa combinatoire passant ensuite par les réinterprétations d’Agrippa ou de Nicolas de Cuse, et trouvant chez Giordano Bruno sa forme la plus subtile; ou, dans une branche très voisine de cet arbre étonnant, les recherches de Leibniz menant tout droit à l’axiomatique moderne, à Peano et Russel. Ce n’est sans doute pas par hasard si, pour les uns comme les autres, la mathématique servait de modèle pour la recherche d’une langue idéale, qui soit capable d’exprimer toutes les possibilités du monde ou tous les mondes possibles... Bruno, sur la base de sa combinatoire, croyait en une infinité de mondes; tandis que Russel a longtemps cru, sur la base de ses recherches logiques, en l’existence réelle d’une infinité d’objets imaginaires, y compris les objets mathématiques.
Aujourd’hui 90 % des mathématiciens croient à la “réalité” des mathématiques (contre une minorité de physiciens). Et même une idée aussi simple que «1+1=2» pointe du doigt l’étrangeté du fait que, effectivement, 1+1=2... car au-delà de l’aspect purement formel et conventionnel de cette expression, il reste que dès qu’on l’applique à quelque chose, elle est vraie.Mais venons-en à la question que tu poses, sur la simplicité des lois physiques. Car c’est là le plus bizarre. Dans le vieux débat auquel tu fais allusion, de savoir si la réduction mathématique est un système formel que nous inventons pour expliquer la nature dans la mesure de nos faibles moyens humains, ou une réalité que nous découvrons peu à peu, l’allure générale de certaines lois physiques tendrait à faire pencher la balance en faveur de la seconde option. La loi de Newton est sans doute le meilleur exemple : comment expliquer la nature se conforme à l’extraordinaire simplicité d’une loi d’inverse au carré ? Et comment expliquer les carrés et les cubes dans certaines lois fondamentales de la physique ? Le seul moyen semblerait consister à citer Galilée (“le livre de la nature est écrit en langage mathématique”) et à revenir à la bonne vieille position de Platon dans le Timée : la nature est d’essence géométrique, au niveau fondamental on ne trouve plus que de pures configurations, et leurs combinaisons possibles. Le Timée a d’ailleurs beaucoup influencé Heisenberg dans sa conception d’une mécanique quantique ne pouvant connaître d’autre description que strictement mathématique : il ne s’agissait même plus de dire comme Bohr que nous ne sommes pas capables de concevoir clairement ce qui se passe dans l’atome car les processus de ce niveau ne sont pas descriptibles dans les termes de l’expérience commune qui fonde notre sensibilité, mais bien de dire que la réalité est mathématique et qu’il n’existe pas d’autre description.
Ceci dit je ne suis pas physicien, ni mathématicien, et tout cela est bien compliqué... mais à priori j’ai tendance à pencher pour Heisenberg. Je ne sais pas si c’est la solution la plus raisonnable, mais en l’absence de consensus je choisis cette option car elle est, à mon goût, la plus belle.