Postée par Ch.Bertrand , May 16,1999,10:16 | Index | Forum |
Le français québécois, le système référentiel spécifique –
Dans le travail de reconnaissance du français québécois comme langue à part entière (au même titre que le français de France), des chercheurs comme Claude Poirier, Martel et Cajolet-Laganière, et généralement assez explicitement, mettent de l'avant, afin de ne pas évaluer les québécismes par rapport à une norme linguistique issue de la France, l'idée que ce français québécois possède sinon un système référentiel ou un découpage de la réalité spécifique, à tout le moins une façon propre d'utiliser le français, façon qui aurait autant de bons que de mauvais côtés. Cela conduit par exemple à concevoir des niveaux de langue qui ne recoupent pas fidèlement ceux de la grammaire traditionnelle.
La passerelle que je tends à partir de cela vers le langage du nouvel âge, c'est donc : y aurait-il pareillement une spécificité de la langue des pseudosciences par rapport à la langue des sciences reconnues qui ferait qu'elle n'est pas « aussi mal faite » que ce qu'elle véhicule pourrait nous faire croire ?
L'école d'Oxford –
Ducrot et Todorov en parlent en les termes suivants :
« les partisans [de cette école] s'intitulent philosophes du langage ordinaire. On ne met pas en cause le langage, mais la façon dont les philosophes l'utilisent. Les problèmes philosophiques naîtraient de ce que les mots ordinaires sont employés hors de propos. [...] La thèse centrale des philosophes d'Oxford est exprimée par le slogan Meaning is Use (« le sens, c'est l'emploi ») : décrire le sens d'un mot, c'est donner son mode d'emploi, indiquer quels sont les actes de langage qu'il permet d'accomplir ».
Cela fait quelques années que j'explore le langage du nouvel âge et des pseudosciences, et cette approche recoupe en gros celle que j'applique. J'ai commencé à publier, dans ma chronique À Point nommé du Québec sceptique (voir la rubrique Les Mots et leur aura), quelques résultats de cette exploration, exploration dont une synthèse est depuis peu offerte sur le site internet des Sceptiques (Les Mots du nouvel âge : rencontre du troisième sens, dans la section Nouveautés). Si ça te tente d'y jeter un oeil, tes commentaires seraient très appréciés.
Le caractère abstrait-notionnel de certaines langues scientifiques –
Ton observation est pour moi un heureux rappel, en cela que je me la traduit en me disant : comment reprocher à la langue des pseudosciences quelque caractère abstrait général qu'on trouve de toute façon dans les terminologies scientifiques ?
Mais il faudrait sans doute éviter de mettre toutes les terminologies scientifiques dans le même panier. La désignation de notions abstraites par des mots abstraits ou des mots concrets employés au figuré (ce qu'on appelle la catachrèse), c'est une chose.
Mais il est vrai, j'imagine, que les sciences physiques emploient un vocabulaire peut-être parfois abstrait pour désigner des objets ou phénomènes naturels concrets. Serait-ce à ce niveau que la langue des pseudosciences, quand les phénomèmes décrits n'impliquent pas qu'il s'agit d'expériences personnelles subjectives, tente de se raccrocher ? Elle pourrait y trouver une légitimation, et chemin faisant, une reconnaissance comme vrais ou réels des phénomèmes qu'elle décrits ou des hypothèses qu'elle exprime à leur sujet...
La langue des pseudoscience utilisée pour décrire des expériences personnelles, donc posées explicitement comme subjectives (genre contact avec des entités, qu'elles soient extraterrestres ou de nature surnaturelle) est pour moi un cas à part. Elle me fait penser à cette remarque de Pierre Guiraud sur l'école polonaise de sémantique, qui est un peu beaucoup l'opposé de l'école d'Oxford : « L'ambition première d'une telle discipline est de libérer la pensée du langage social – sans d'ailleurs mettre celui-ci en cause en tant qu'instrument de la communication vulgaire – et de construire des systèmes de symboles originaux ».
Des systèmes de symboles originaux, n'est-ce pas là le portrait craché de tous ces ouvrages où l'auteur raconte quelque contact singulier avec des entités ?