Je ressens une incertitude, une zone de flou dans ton message. C’est dans ta manière d’opposer un rationalisme formel, instrumental, à un rationalisme de fond. En fait ce qui me gêne, c’est que je n’arrive pas à imaginer ce que pourrais être un rationalisme de fond, car pour moi cette attitude ne peut être que formelle, c’est un choix méthodologique. A partir de là j’ai du mal à comprendre ce que tu veux dire.
Mais je crois que ce dont tu veux parler, c’est d’une structure rationnelle qui se baserait sur des prémisses vraies. Je crois qu’il faudrait plutôt parler de faits, et c’est là que revient le rapport entre le détail et le global : la structure rationnelle, sous forme d’un système logique, est l’organisation globale; les faits sont le détail qui doit être soumis à l’analyse pour fonder la réflexion. En clair, ce que tu appellerais un rationalisme de fond s’apparenterait à une sorte de “calcul” sur des faits établis, organisé suivant une structure logique strictement déterminée. Me trompe-je ?
C’est pourquoi la rationalisation du religieux qui a lieu dans la théologie (je suis sûr qu’un certain jésuite défroqué de ce forum t’en parlerait bien mieux...) t’apparaît comme purement formelle, puisque elle ne constitue pas un calcul sur des faits, mais sur des dogmes, des vérités révélées, et surtout des concepts dont l’imprécision (ou le déficit de sens) est exploitée à son maximum.
Cette conception d’un rationalisme de fond ainsi exprimé ne me satisfait pas totalement, parce qu’elle mélange empirisme et rationalisme, rendant ainsi imprécise la définition de ce dernier concept. Tu fais de la démarche empirique et analytique le fondement du “vrai” rationalisme, alors que ces deux approches ont leur propres zones de frictions et que, même si la science moderne les a réunies, elles ne s’entendent pas forcément toujours très bien.
C’est aussi pour cette raison qu’à ta principale question, je répondrais non : je ne crois pas que le scepticisme soit principalement dirigé vers le rationalisme.
Le scepticisme pyrrhonien est bien fondamentalement rationaliste, mais il se soucie peu des faits, c’est ce que tu appelles un rationalisme formel; tandis que le scepticisme “scientiste” est bien plus empiriste que rationaliste : même si la raison y a une grande importance tout est basé sur les faits.
Le scepticisme peut être au service de l’irrationnel, comme le rationalisme peut être au service de la religion. Mais je n’aime pas trop le terme d’irrationnel, on l’applique souvent à tout et n’importe quoi. Disons que le scepticisme qui se permet de douter des faits au nom d’arguments “rationnels” (comme les courants philosophiques qui doutent de l’existence d’une réalité extérieure) est opposé à ton idée du rationalisme de fond.
Un dernier mot en passant pour dire que je crois totalement erronée cette idée que tu vas chercher chez G. Durand mais qui est très répandue, sur la “la faute occidentale constituée par un primat dédié à la raison”. Cette attitude n’a rien de particulièrement occidental, et l’irrationalisme tant vanté de l’Inde est totalement fictif : la philosophie religieuse indienne est autant, sinon plus, obsédée de rationalisme et de logique que la théologie occidentale.
Cette erreur si répandue vient du fait que, par goût pour l’étrange, la spiritualité et l’exotisme, la plupart des textes indiens qui sont traduits sont les plus anciens et les plus mystiques - alors qu’en réalité en Inde depuis 2500 ans le rationalisme est omniprésent... Cependant il s’agit là uniquement de ce que tu appelles un rationalisme formel, fondé sur l’application d’un système logique très rigoureux, mais qui est utilisé pour monter des réflexions basées sur des concepts et non sur l’analyse des faits.