Je ne sais combien de fois on a lu cette croyance sur ce forum. Moi-même je disais la même chose en arrivant. Et je ne sais combien de fois on a répondu ce que Sebastien a répondu : regardez la recherche en astrophysique. Regardez l'archéologie, l'éthologie, l'anthropologie. Des fonds importants sont employés tous les jours dans des activités de recherche qui n'ont strictement aucune rentabilité, qui ne mènent en général qu'à des connaissances "pures", qui sont dégagées de tout intérêt financier. Mettez un moment de côté votre haine du concept d'objectivé (ou de l'establishment, je ne sais), regardez un peu les faits, et demandez vous si c'est nous qui sommes naïfs ou vous qui êtes paranoïaque.
Personne ne songe à nier que souvent les intérêts financiers ou idéologiques jouent dans les orientations de la recherche. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous voulez absolument voir des questions d'intérêt partout. Un peu comme ces philosophes contemporains qui refusent systématiquement l'idée d'objectivité et qui n'ont de cesse de voir partout, dans toute activité humaine, une lutte idéologique. Tendance assez marxiste dans cette approche, et personnellement ça me semble incroyablement réducteur - et idéologiquement très marqué, ce qui à mes yeux disqualifie d'avance ces théories.
Ma copine fonctionne comme ça. Elle a fait des études d'anthropologie et de sociologie, alors évidemment, comme la plupart de ceux qui ont fait ce parcours, elle croit dur comme fer qu'il n'y a aucune objectivité à attendre de la science, et j'ai souvent entendu dans sa bouche les mêmes argument que les votres. Mais le problème avec ce mode paranoïaque d'analyse des résultats scientifiques, c'est que ça peut former la base de nombreuses croyances irrationnelles : le prétexte des intérêts qui biaisent les résultats scientifiques vient toujours à point comme un argument ad hoc pour réfuter tout ce qui ne va pas dans le sens de nos croyances.
Par exemple, elle est persuadée que les additifs sont dangereux pour la santé. Je lui sors un tas de références d'articles scientifiques qui montrent que c'est un mythe - mais évidemment elle n'a pas confiance, car les intérêts de l'industrie agro-alimentaire sont de la partie. Peu importe que les croyances sur les dangers des additifs soient répandus essentiellement par des journalistes et des magazines écolos, tandis que les spécialistes sont largement soudés autour de l'idée que le danger est quasiment inexistant. Le prétexte des intérêts en jeu permet toujours de nier à priori toute connaissance scientifique qui réfute nos croyances.
Ca me rapelle : une fois, on parlait des OGM (moi favorable, elle défavorable). Je lui montre un article d'Axel Kahn sur le sujet... Et elle refuse de le lire sous prétexte que Kahn est vendu à l'état. Je lui demande de justifier cette idée, elle me répond que c'est simple, il est pour les OGM, donc il est vendu, c'est évident. CQFD. Il y a comme un légère erreur de logique, non ?
Beaucoup de gens fonctionnent comme ça. L'atmosphere tres anti-scientifique répandue chez les intellectuels, du moins en France, permet d'alimenter tous les soupçons les plus injustifiés à propos des soit-disant dangers du téléphone portable (bien sûr, les compagnies téléphoniques nous cachent la vérité, et l'état est dans le coup), des lignes à haute tension (oh oui, méfions nous des compagnies d'électricité, ils manipulent sans doute toutes les données, avec la bénédiction de l'état); ou encore les légendes urbaines qui ressortent régulièrement sur tel ou tel carburant non polluant, grande découverte que les compagnies pétrolières arrivent, on ne sait comment, à cacher au monde.
Je pense que cette attitude est néfaste, car elle excite facilement des peurs ou des soupçons totalement inutiles, ou qui nous compliquent la vie. Exemple : j'en ai marre de cuisiner bio quand ma copine est chez moi, c'est plus cher et probablement pas plus sain que la nourriture industrielle.
Parfois je me demande aussi dans quelle mesure cette remise en cause systématique de l'objectivité scientifique, de la part généralement d'intellectuels issus d'un cursus en sciences humaines, n'est pas uniquement une question d'idéologie. J'ai une hypothèse, qui ne vaut pas forcément grand chose, mais pour l'instant je ne vois rien d'autre :
A partir des années 60, plusieurs intellectuels influents se sont retrouvés autour de l'idée (très grossièrement exprimée ici) que tout était question d'idéologie, et que la vérité n'existant pas, tout discours devait être mis au service d'un engagement, d'une idéologie, car c'était la seule chose à faire. Peut-être le fait qu'il y ait des scientifiques pour leur rapeller que la vérité existe, ne leur plaisait pas, et qu'il fallait à tout prix trouver un moyen de contrer la menace que la vérité représentait pour leur idéologie ? Je ne sais pas si c'est juste, mais je trouve cette idée amusante.
Ou peut-être encore, du fait des origines en grande partie marxiste de cette présentation de la science comme une lutte idéologique, et du fait que le marxisme se présente comme un science, mais est rejeté comme pseudo-scientifiques par bcp d'épistémologues, était-il nécessaire de rabaisser les prétentions de la science pour annuler la critique du marxisme et faire triompher l'idéologie.
Les philosophes devraient se rapeller que, s'il n'arrivent pas à trouver de vérités, s'ils utilisent un langage flou et souvent illogique, ce n'est pas le cas de tout le monde. Enfin il y a quand même quelques philosophes, comme J. Bouveresse, qui s'en sont rendu compte. Mais ils sont trop rares. Et bizarrement, ils sont toujours présentés par leur critiques comme des représentants d'une pensée "officielle", sclérosée, et quelque peu technocratique, tandis que leurs opposants se veulent des rebelles, des outsiders, des contestataires. Je trouve vraiment tres amusant de voir une pensée ultra-commune , très consensuelle en sciences humaines, se présenter comme un acte de rebellion et d'esprit critique.
G.
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