En parlant ainsi du judaisme, on risque malheureusement de tomber dans le piège consistant à voir là une entité réelle, dotée d'une solide unité, ce dont les juifs seraient très heureux mais qui ne reflète peut-être pas vraiment la réalité. La culture juive est dotée d'une admirable cohésion, mais la religion n'a certainement pas cette qualité.
Rarement je pense religion n'aura été aussi schizophrène. Evidemment, si tu ne regardes le Talmud, on y trouve d'interminables interprétations divergentes de la part d'une multitude de docteurs, et aucune trace dogmatisme. C'est sans doute grâce à cette ouverture que sortiront du judaisme tant de penseurs à l'esprit si vaste, de Philon à Einstein en passant par Spinoza. Ce judaisme là a donné à l'humanité une invraisemblable proportion de génies en regard de la taille du peuple juif, et depuis le moyen-âge les meilleures pages de notre propre culture doivent sans doute énormément au Talmud et à la Kabbale.
Mais j'ai peur que ce ne soit qu'une partie de la réalité. Quelle est la proportion actuelle de fondamentalistes juifs déjà ? Aux dernières nouvelles c'est 25 %. Beaucoup encore voudraient revenir à une interprétation littérale, ou presque. Aucun livre n'est aussi haineux, intolérant et nationaliste que l'ancien testament : ça dépasse même Mein Kampf. On demande aux bons juifs de tuer les adultères, les homo, les zoophiles, les nécrophiles. Si on découvre que notre propre mère adore en secret d'autre dieux, il est conseillé de la tuer immédiatement. Il est aussi recommandé de tuer tous les ennemis du peuple juif, de brûler leurs maisons, de massacrer leurs enfants - et de violer leurs femmes !
Bref, la plupart des religions ont leurs sommets philosophiques comme leurs bassesses populaires. Là n'est pas la question. Il est plus intéressant de voir dans chaque cas comment cela se traduit. Or il est clair que dans certaines religions, comme le bouddhisme et le taoisme, le côté populaire est presque toujours innofensif : pour la simple raison qu'aucun texte ne contient d'appel à la guerre ou à l'intolérance. Les textes de ces religions sont presque impossibles à interpréter dans un sens qui les rendent destructeurs.
Tel n'est pas le cas, loin de là, des religions du livre : il est on ne peut plus facile d'interpréter la torah, la bible ou le coran comme des appels à la guerre sainte. Et malheureusement, la majorité du peuple connait mieux la bible, la torah ou le coran que les oeuvres de St Augustin, le Talmud ou le Mesnevi (de Rumi, un penseur soufi que j'apprécie particulièrement). Aussi élevées que soient les oeuvres philosophiques, ce ne sont pas elles qui modèlent la mentalité d'un peuple.