On sait, Bill. Lorsque j'ai traduit Dawkins, je me suis retenue à la dernière minute de le titrer "voici la traduction, mais je crains que tu n'apprécies guère" ;-) Ta réaction est exactement ce que j'imaginais, compte tenu de ce que je sais de tes convictions.
Bill: "La religion n'est pas étrangère à la folie des commandos suicides. Mais la religion est rarement étrangère à quoi que ce soit dans une société religieuse. Cela dit, abolire la religion ne changerait rien. Il y aura toujours une idéologie pour service de couverture et de justification à des actes extrémistes."
Il n'y a guère que les religions (et le culte de la personnalité qui accompagnaient Staline et Pol-Pot qualifient comme religions, au même titre que le culte des gourous des sectes suicidaires contemporaines) qui aient pu motiver des gens à dévaluer leur vie au point de la sacrifier pour des avantages imaginaires.
Bill: "La Russie de Staline et le Cambodge de Polpote étaient des sociétés peu religieuses, mais pas moins fanatiques et aveuglément criminelles. Je ne comprends pas que cette évidence "éléphantesque" n'apparaisse pas au yeux d'un auteur qui se considère comme lucide."
Ca, c'est vraisemblablement la phrase qui a motivé la réponse de Stéphane, et je crains que tu ne soies dans l'erreur de toute façon: la société russe, Staline ou non, est très empreinte de religiosité et il a toujours existé en Russie un clergé totalement inféodé au pouvoir, lequel a contribué à faire accepter Staline, consorts et calamités attenantes. Idem pour l'Allemagne nazie (Hitler n'était pas athée comme on le prétend toujours, les soldats allemands avaient "Gott mit uns" sur leur ceinturon, les diverses églises ont soutenu le pouvoir en place, etc.), idem pour le Cambodge (le fatalisme prèché par certains courants bouddhistes n'est pas pour rien dans la docilité de la population, de même que la croyance en la réincarnation).
Bill: "Les zozothériques ont cherché à récupérer la crise. N'est-ce pas ici le tour des anticléricaux de chercher à faire de la récupération? "
Peut-être un peu (qui ne se sert jamais des évènements courants pour faire avancer ses thèses ?), et je trouve aussi que Dawkins a la main un peu lourde en général, quoique je sois assez d'accord avec lui sur le fond. Il y a toutefois une grande différence entre les zozotériques, qui promeuvent n'importe quoi en toutes occasions et mentent comme des arracheurs de dents, et un anticlérical ou antireligieux qui argumente sa thèse. Dawkins s'appuie sur des précédents bien démontrés (des croisades aux attentats, aux propos des télévangélistes américains, à ceux du président et du public américains). Ta réaction habituelle à toute attaque contre la religion te fait faire un amalgame que je ne crois pas très judicieux.
Bill: "Par ailleurs, je ne crois pas que l'enjeu de cette crise soit un différences religieuses ou idéologiques, pas plus que je ne croyais que la guerre contre l'Irak avait pour fondement la recherche de la justice ou la punition pour avoir "sorti des petits bébés des incubateurs de la capitale Koweïtienne". On est peut-être encore en train de se faire charrier?"
Oh que si, il y a bel et bien différence religieuse et idéologique à la base de la détestation des USA et du monde occidental (vois l'article de Libé ci-dessous) et tant les propos à base de "God bless/Allah akhbar …", "combat entre le bien et le mal" "préservation des valeurs (démocratiques/islamiques)" et autres, maniés par les deux camps, le reflète parfaitement. L'enjeu est bel et bien la suprématie d'un système philosophico-politico-religieux sur un autre. Les références aux différences de niveau de vie, aux injustices, à la revanche sur la colonisation ou l'impérialisme occidental ne sont que des prétextes, de l'huile jetée sur le feu d'un mécontentement qu'on a en grande partie créé dans son propre monde (les fortunes dont disposent les commanditaires du terrorisme suffiraient amplement à assurer un développement économique et social formidable à leurs pays d'origine, ce dont ils ne veulent à aucun prix).
Quant à la guerre contre l'Irak (la première, pas la honteuse et inutile poursuite des bombardements et de l'embargo), on oublie, dans la dénonciation des intentions économiques occidentales, de mentionner la nécessité qu'il y avait de ne pas laisser croire à tous les potentats de pays mécontents de leurs frontières qu'il était licite de régler ce genre de problème par l'annexion de la zone convoitée (= toute l'Afrique, une bonne partie de l'Asie et de l'Amérique latine), à l'exception notable, et choquante, d'Israel et de la Turkie.
http://www.liberation.com/quotidien/debats/septembre01/20010928c.html
….Après les attentats du 11 septembre, chacun s'est trouvé confronté à un redoutable «pourquoi?». L'esprit humain, non moins que la nature des Anciens, a horreur du vide. Celui laissé par les Twin Towers effondrées a suscité un envol de réponses hâtives, ce qui ne veut pas dire fausses. Il faut relativiser les deux principales explications mises à l'arrière-plan interprétatif des attentats - l'inégalité de développement et le poids du conflit israélo-palestinien. Il faut aussi se demander si d'autres raisons, qui relèvent plus encore de l'être occidental que de son faire, ne rendent pas compte de l'extrême violence haineuse des islamistes […]
Le postulat qui attribue une inépuisable réserve de ressentiment à la grande inégalité économique qui existe entre la partie la plus riche de la population mondiale et les plus pauvres ne peut être remis en cause. […] Mais un tel sentiment réactif peut tout aussi bien prendre la forme du rattrapage économique […].
Or, justement, les islamistes se contrefichent de la croissance et du développement, quand ils n'en sont pas de farouches ennemis. Soit ils s'accommodent d'un capitalisme rentier, soit ils organisent une utopie néoféodale, c'est-à-dire une régression sociale et économique qu'on retrouve des djebels algériens aux montagnes afghanes et dont les «réformistes» iraniens ont le plus grand mal à se défaire. […]
Reste le conflit israélo-palestinien. […] L'islamisme y trouve un terreau fertile, sur place ou ailleurs. Mais faire de l'impasse où en est arrivé le processus de paix un des motifs des attentats de New York, c'est tomber dans un grossier contresens.
Non seulement l'implantation du réseau terroriste islamiste aux Etats-Unis est antérieure de beaucoup à la deuxième Intifada, mais l'inévitable compromis qui serait la conséquence logique du processus de paix aujourd'hui suspendu est le plus grand cauchemar des islamistes. […]
….En revanche, il entre dans la détestation des islamistes pour les Etats-Unis (et l'Occident en général) une horreur sacrée qui outrepasse les schémas causalistes et rassurants dans lesquels on voudrait les cataloguer. Les raisons mystiques n'en sont pas pour nous - et c'est même là une des raisons de la haine que nous vouent ces mystiques. Les plus politiques des islamistes visent certes, avant tout, à prendre le pouvoir dans certains pays arabes ou musulmans en renversant leurs dirigeants actuels, mais on ne peut croire que leur haine des grands et petits Satans n'est qu'une ruse de guerre. En quoi l'Occident est-il cet antimonde dont ils ont besoin pour exister?
D'abord à cause de son relativisme généralisé. Aucune valeur n'y surplombe les autres au point de se les subordonner, aucun dieu n'y vaut plus qu'un autre ou que l'absence de dieu, toute raison y est perpétuellement à rebâtir. Pour leurs détracteurs absolutistes, avant même d'être puissantes, les sociétés libérales sont «perverses». La dénonciation de l'immoralité prend d'autant plus le pas sur celle de l'injustice que la lutte contre celle-ci, conçue comme la correction humaine apportée à des imperfections trop humaines, n'est que l'autre tour de l'«humanisme athée» (selon la formule d'autres fondamentalistes, américains et protestants, ceux-là). La question des femmes doit être replacée dans cette perspective.
Ce n'est pas pour rien que l'attitude des islamistes à l'égard des femmes leur sert de vitrine. Les libertés lentement conquises par celles-ci dans les sociétés occidentales - et les sociétés communistes ou postcommunistes qui les prolongent sur ce point - culminent symboliquement dans leurs libertés sexuelles et surtout dans le caractère public de celles-ci. Que le rôle toujours plus actif des femmes soit pourtant compatible avec le maximum de puissance dont une société ait jamais fait preuve, c'est ce que les Etats-Unis démontrent et c'est ce que la logique islamiste ne peut admettre.
Faire de l'antisémitisme et de l'antiféminisme des ressorts du passage à l'acte chez les islamistes est une trivialité largement reçue. Il est d'autant plus curieux qu'on ait oublié de rappeler la force que peuvent prendre de telles motivations face à l'événement le plus improbable mais aussi le plus annoncé: le châtiment de la grande prostituée. "
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