Evidemment ! Ils calculent le nombre de combinaisons possibles de 100 acides aminés s'il y en a 20 en stock (avec, évidemment, 50 % de lévogyres et 50 % de dextrogyres) en cherchant à voir si une protéine connue peut émerger spontanément. Et que constatent-ils avec une stupeur non dissimulée : ça alors ! c'est très improbable ! on ne s'y attendait vraiment pas ! on n'essayait même pas de prouver ça du tout ! ooh :-)
Evidemmment, non seulement ça ne tient pas à cause des lois physiques (qui ne réalisent pas "n'importe quel polypeptide au hasard"), mais en plus, cette formalisation mathématique fait complètement abstraction de la sélection naturelle. Elle tente d'évaluer la probabilité que le hasard en une seule étape fabrique une protéine telle qu'on la connaît aujourd'hui - autrement dit, qu'en mélangeant des tas d'acides aminés et en les polymérisant par lots de 100, on obtienne une protéine du premier coup. Le problème, c'est que l'évolution ne fonctionne pas "du premier coup" mais par sélection naturelle. Elle part d'un modèle très imparfait (et généralement très simple) obtenu "du premier coup" (de quelques acides aminés, par exemple) et, par légères variations aléatoires autour de ce modèle de base dont la plupart sont rejetées et quelques élues conservées (car avantageuses), édifie progressivement une structure plus performante (et éventuellement plus complexe).
C'est un mécanisme qui ne doit pas grand-chose au hasard, contrairement aux apparences : celui-ci est le "générateur de variation", mais c'est la sélection qui va, petit à petit et très progressivement, accumuler variation positive après variation positive pour parvenir à un objet finalement très complexe et très perfectionné - que l'on n'aurait eu aucune chance d'obtenir en une seule étape.
Pour méconnaître cette caractéristique fondamentale de la théorie de l'évolution (qui vient tout de même de Darwin, 1859 !), les calculs de probabilité des créationnistes sont bons à jeter. Ils raisonnent sur la base du "hasard en une seule étape", alors que rien n'est plus éloigné du véritable fonctionnement de l'évolution.
Richard Dawkins donne une analogie très éclairante dans son livre L'Horloger aveugle : un singe qui taperait au hasard sur une machine à écrire n'aurait aucune chance d'écrire une phrase compréhensible, même s'il tape jour et nuit - pas plus que le seul hasard ne pourrait générer une protéine fonctionnelle. Mais imaginons que l'on veuille faire taper au singe "Le créationnisme n'est pas une théorie scientifique" : il n'y arrivera pas en une seule étape, mais il suffira de peu d'étapes pour y parvenir par sélection cumulative. La première suite de lettres tapée par le singe ne signifiera rien ; mais si on lui demande de générer au hasard une dizaine de modifications de cette séquence (en faisant "muter" cinq lettres sur le total, par exemple), on en trouvera forcément une sur les dix qui se rapprochera un peu plus de la phrase désirée. Si on lui demande à nouveau de générer dix variations par rapport à cette "mutante", il y en aura de nouveau une dont certaines lettres, modifiées par pur hasard, seront plus proches de celle du modèle à obtenir. En continuant de la même façon - en sélectionnant à chaque "génération", sur toutes les "phrases mutantes", celle qui est "la plus adaptée" - il suffit d'une cinquantaine de "générations de phrases" pour qu'un singe arrive à taper : "Le créationnisme n'est pas une théorie scientifique". Merveilleux, non ?
(évidemment, il faut qu'à chaque étape - y compris celle du petit protéinoïde de départ qu'on suppose issu du "hasard en une étape" - les molécules soumises à la sélection soient fonctionnelles. On pourra objecter que ce n'est pas le cas - mais c'est faux : une pré-enzyme très simple, même obtenue en une seule étape, pourra toujours se révéler utile à quelque chose, quoique moins qu'une pré-enzyme un peu plus perfectionnée, qui elle-même pourra être améliorée, etc. les protéines sont complexes, mais leur complexité n'est pas irréductible : on peut la réduire par paliers successifs, jusqu'à obtenir des molécules très simples qui, si elles ne conviendraient pas aux grosses cellules actuelles, font le bonheur du "proto-métabolisme" qu'on observe chez les vésicules de lipides capables de s'auto-répliquer formés spontanément en laboratoire)