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La formule de Bayes


Re: Votre exemple est difficile à justifier -- F. Tremblay
Posté par Denis , Oct 01,2002,18:55 Index  Forum

Salut FT,

J'avais écrit : "Pour Julien (...) l'évolution est a priori impossible. (...) De son point de vue, réclamer des preuves "infiniment sans trou" est une attitude mathématiquement correcte."

Vous n'avez pas aimé mon exemple. Je suppose que je n'ai pas été assez clair. Je vais essayer de corriger ça.

Considérons deux événements (ou deux propositions) A et B (et leurs négations A' et B').

Supposons qu'on estime (a priori de l'observation ou pas de B) que la probabilité que A soit vrai est P(A). Si P(A) est proche de 1, on croit à A. Inversement, si P(A) est proche de 0, on croit plutôt à A'.

Supposons maintenant qu'on observe la réalisation de B. En général, cette information modifie la probabilité de A, qui devient la probabilité conditionnelle P(A quand B).

Cette probabilité (a posteriori) P(A quand B) s'obtient élémentairement via la formule de Bayes:

P(A quand B) = P(A)xP(B quand A) / [P(A)xP(B quand A) + P(A')xP(B quand A')] qui, algébriquement, s'écrit aussi sous la forme:

P(A quand B) = 1 / ( 1 + X )
où X = [P(A')xP(B quand A')] / [P(A)xP(B quand A)].

A posteriori de l'observation de B, on croira donc à A si P(A quand B) est proche de 1 (c'est à dire, si X est proche de 0) et on croira plutôt à A' si P(A quand B) est proche de 0 (c'est à dire, si X est grand, "proche" de l'infini).

Revenons à l'évolution des espèces (du point de vue de Julien).

Considérons la proposition A : "Denis et sa chatte ont des ancêtres communs". Pour plein de mauvaises raisons (en particulier le fait que la Genèse raconte l'affaire autrement et que, selon lui, la Bible est la parole infiniment infaillible de Dieu), Julien estime a priori que P(A) est zéro. Il croit donc à A' plutôt qu'à A.

Pour qu'un argument (ou une observation) B le fasse changer d'avis, il faut que ce B soit tel que P(A quand B) soit proche de 1. Autrement dit, il ne changera d'avis que si X est pratiquement zéro.

Or, au dénominateur de X, il y a un P(A) qui, selon Julien, est pratiquement nul. Pour que X soit proche de zéro, il faudra donc que P(B quand A') / P(B quand A) soit formidablement petit, beaucoup plus petit que le P(A) de départ.

Remplaçons les lettres par des mots. Un argument-observation B ne convaincra Julien que si la probabilité d'observer B (sous son hypothèse créationniste de la Terre jeune) est super-formidablement plus petite que la probabilité d'observer ce même B sous l'hypothèse évolutionniste.

Seuls des arguments "infiniment sans trou" auraient de petites chances de le convaincre. Et encore...

C'est à peu près ça que j'ai voulu dire en disant que l'attitude de Julien (qui part d'un P(A) = 0) est mathématiquement correcte. Je ne prétends pas qu'elle soit globalement correcte, bien au contraire. Il suffit d'enlever son a priori (sur P(A) = 0) pour qu'elle s'écroule comme un château de cartes.

Denis

P.S. En tant que statisticien "subjectiviste", j'ai l'habitude d'appliquer à tour de bras le principe de: "Extraordinary Claims Demand Extraordinary Proof" qui est résumé à mon goût (en anglais) à:
http://www.quackwatch.com/01QuackeryRelatedTopics/extraproof.html

Essentiellement, on explique que la conclusion (la probabilité a posteriori qu'une proposition soit vraie) ne dépend pas que de l'évidence fournie mais dépend autant de la probabilité a priori du dit événement avant l'observation.

Par exemple, si mon voisin me dit que le pape vient de mourir, je le croirai sans peine. S'il me dit que le pape a retrouvé miraculeusement sa jeunesse et qu'il a tout planté là pour courir les filles, je ne le croirai pas. Pourtant, dans les deux cas, l'évidence est exactement de même force: "mon voisin m'a dit...".

P.P.S. Je viens de dire (de façon compliquée) des évidences. Je le sais.