Je crois qu'il est important de bien distinguer l'un de l'autre deux courants philosophiques différents, le matérialisme et le scientisme. Le matérialisme se définit comme la croyance que la matière constitue la seule réalité (il s'agit là d'une croyance et non d'une déduction scientifique). Cette position implique nécessairement que la conscience et la pensée sont des phénomènes matériels au même titre que les autres phénomènes.
Le scientisme, doctrine populaire à la fin du XIXe siècle, est un courant de pensée d'après lequel la science peut et doit s'appliquer à tous les domaines de l'activité humaines, y compris les sciences dites humaines. Les scientistes croyaient qu'un jour la science pourrait tout expliquer et tout prévoir. Laplace, je crois, disait que si on pouvait connaître toutes les lois de la nature et la position de chacune des particules de l'univers, on pourrait alors tout expliquer et on pourrait connaître tous les événements à venir dans le futur.
Plusieurs au début du siècle croyaient honnêtement que la généralisation de la science à tous les domaines, même à la politique ou à la morale, conduiraient l'humanité au progrès et au bonheur. On a dû déchanter au cours du XXe siècle. Les tentatives de fonder une morale ou un système politique sur la science se sont soldées par de cuisants échecs. Qu'on pense, par exemple, au racisme nazi ou au marxisme-léninisme qui se réclamaient tous deux de la science. Les découvertes en physique quantique, le développement des mathématiques du chaos permettront aussi de démontrer que la toute puissance de la science de Laplace n'était qu'une illusion. La science ne peut pas tout connaître et tout prévoir. Popper, Lakatos, Kuhn et bien d'autres épistémologistes démontreront que la démarche scientifique a ses limites et ne peut s'appliquer à n'importe quel domaine. Bref, le scientisme est aujourd'hui, je crois bien, à peu près complètement disparu, mais pas le matérialisme. On peut très bien être matérialiste sans être scientiste. L'un n'implique pas l'autre.
Pour en revenir à ta question, il m'est difficile de parler pour les autres, mais je crois bien que la plupart des sceptiques sont comme moi, plutôt matérialistes, mais certainement pas scientistes. Mais il ne faut pas généraliser. Je connais quelques sceptiques qui croient en Dieu, on ne peut donc pas les qualifier de matérialistes (les Sceptiques du Québec, d'ailleurs, refusent de s'impliquer dans les questions religieuses). Les chercheurs en sciences sont nécessairement matérialistes dans leur domaine propre de recherche puisque la science ne s'applique qu'à ce qui est matériel. Inutile de chercher à comprendre un phénomène en utilisant la méthode scientifique si ce phénomène est d'ordre surnaturel (là, je crois bien, ce serait faire du scientisme).
Enfin, ce n'est là que mon opinion, je ne sais pas ce qu'elle vaut au plan philosophique (je ne suis pas un expert en épistémologie). Y a-t-il un philosophe dans la salle?
Continue de poster tes messages, je trouve ces échanges très stimulants et ce n'est certainement pas du gaspillage de bande passante (elle en a vu d'autres la pauvre!).
Gilles Bourbonnais