Cyrille Vanlerberghe
[20 novembre 2002]
Face à un sujet aussi controversé que les ovnis (objets volants non
identifiés) les scientifiques évitent en général de s'exprimer en
public, de peur de passer pour des soucoupistes fumeux croyant aux
petits hommes verts. Cela n'a pas effrayé l'astrophysicien
britannique Peter Sturrock, qui osé aborder le sujet dans un livre
rigoureux : La Science face à l'énigme des ovnis (1), dont la sortie
aux États-Unis a fait l'objet de beaucoup de commentaires. « C'est la
première démarche scientifique rigoureuse menée à ce niveau depuis
des années sur le domaine des ovnis, commente Pierre Lagrange,
sociologue des sciences. Sa démarche scientifique sur le sujet est
saine. »
Avec une grande prudence, Peter Sturrock su éviter le piège qui
consiste à associer systématiquement des événements pour le moment
inexplicables – les objets volants non identifiés – avec des
vaisseaux extraterrestres.
Ce chercheur à la réputation sans tache est un spécialiste de la
physique des plasmas et de l'étude du Soleil à l'université de
Stanford en Californie. Contrairement à la majorité des scientifiques
de par le monde, il estime que le phénomène des ovnis mérite une
analyse scientifique, avec des critères de qualité au niveau de
l'ensemble des recherches dites classiques.
Grâce aux financements d'un mécène fasciné par les ovnis, Laurance S.
Rockefeller, Peter Sturrock a rassemblé un panel de neuf
scientifiques de renom, en général étrangers au sujet, pour évaluer
les travaux les plus solides de sept enquêteurs spécialisés. Les cas
d'ovnis avaient été choisis pour illustrer divers effets qui peuvent
être étudiés par des méthodes scientifiques classiques :
perturbations d'instruments de navigation dans des avions, échos
radars étranges, effets sur la végétation et sur le sol, analyse
photographique fine des objets observés ou encore débris métalliques
tombés au sol.
Après une semaine de conférence et de confrontation en 1997, les
scientifiques se sont de nouveau réunis pendant deux journées pour
rendre leur avis sur les enquêtes qui leur avaient été présentées.
Avec une certaine modestie, les scientifiques n'ont pas prétendu
élucider les cas étranges, comme la rencontre entre un hélicoptère et
un disque lumineux au-dessus de l'Ohio en 1973 observée simultanément
par des témoins au sol et en vol. Ils estiment manquer d'éléments
matériels, de preuves physiques à analyser.
Parmi leurs conclusions, les neuf chercheurs estiment qu'il est
souhaitable que la recherche en ce domaine reçoive des aides
officielles. Ils remarquent également que le Gepan/Sepra du Cnes
(lire ci-dessus) fournit depuis 1977 un bon modèle d'organisation
pour recueillir et analyser des observations d'ovnis. Jean-Jacque
Vélasco, actuellement en charge du Sepra, faisait justement partie
des sept enquêteurs sélectionnés par Peter Sturrock.
Une des conclusions réjouit particulièrement Peter Sturrock,
l'organisateur de ces rencontres : « Chaque fois qu'il y a des
observations inexpliquées, il y a la possibilité que les
scientifiques apprennent en les étudiant quelque chose de nouveau. »
Un rapport universitaire paru aux États-Unis en 1968 avait affirmé le
contraire, ce qui avait par la suite mis un point d'arrêt aux travaux
d'études menés sur les ovnis par le gouvernement américain. Ce
rapport dirigé par Edward Condon sert depuis cette époque d'argument
unique pour les scientifiques voulant balayer le sujet du dos de la
main, et affirmer que les ovnis ne sont que canulars, hallucinations
collectives ou des phénomènes atmosphériques bien connus. Par une
analyse fine des mille pages du rapport de 1968, Peter Sturrock
prouve au contraire que les conclusions d'alors, qui n'ont été
rédigées que par Edward Condon, contredisent les comptes rendus des
études menées par les universitaires qu'il dirigeait !
« Malheureusement, les propositions concrètes du livre de Peter
Sturrock n'ont débouché sur rien aux États-Unis, regrette
Jean-Jacques Vélasco. La Nasa, qui dispose pourtant de nombreux
laboratoires scientifiques, refuse toujours d'entendre parler du
sujet des ovnis. »
Il semble peu probable que la publication en français de l'ouvrage de
Peter Sturrock fasse évoluer l'avis des scientifiques sur le sujet
des ovnis en France. Les idées de Peter Sturrock sont notamment mal
servies par une édition française dont la traduction est trop souvent
approximative, et parfois amputée de paragraphes entiers par rapport
à l'édition américaine originale.
(1) Peter Sturrock La Science face à l'énigme des ovnis, Presse du
Châtelet.
---------------------------------
Ovnis : l'Etat doit y consacrer plus de moyens
http://www.lefigaro.fr/sciences/20021120.FIG0048.html
RECHERCHE Un rapport interne du Cnes recommande, contre toute
attente, d'étudier plus sérieusement ces phénomènes célestes étranges
Ovnis : objets volants non identifiés. Depuis cinquante ans, le
dossier ovnis sent le soufre, rejeté d'un côté par une partie de la
science officielle comme sujet fantaisiste ; exploité de l'autre, par
des personnes convaincues que tout ovni est forcément une soucoupe
volante pilotée par des extraterrestres. Entre ces deux approches
extrêmes, peut-il exister une approche scientifique du phénomène,
sans a priori? C'est ce que le mécène américain Laurance Rockefeller
a voulu savoir, en confiant au physicien britannique Peter Sturrock
l'organisation en 1997, du seul colloque scientifique à ce jour
consacré aux ovnis. La synthèse de cette réunion, « La science face à
l'énigme des ovnis », paraît aujourd'hui en France, aux Presses du
Châtelet. Alors que le « rapport Sturrock » conclut que le phénomène
ovni est un sujet digne d'études scientifiques, en France se pose la
question de la pérennité d'un service public unique au monde chargé
de recueillir les témoignages, le Sepra. Le Figaro a eu accès à un
récent rapport d'audit consacré au Sepra, pour l'heure tombé dans les
oubliettes.
Fabrice Nodé-Langlois
[20 novembre 2002]
L'État doit-il s'occuper des ovnis ? L'argent du contribuable doit-il
servir à faire la lumière sur les observations de phénomènes
aérospatiaux inexpliqués ? Les amateurs d'histoires de soucoupes
volantes le savent, mais pas forcément le grand public : depuis 1977,
un service de l'État coordonne les recherches sur cette question
délicate. C'était une première mondiale. Baptisé Gepan (Groupe
d'étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés) à l'origine, il a
été renommé Sepra en 1988 pour Service d'expertise des phénomènes de
rentrées atmosphériques puis Service d'expertise des phénomènes rares
aérospatiaux en 2000. Il dépend du Cnes, l'agence spatiale française.
Le Sepra recueille les témoignages sur des ovnis (ou PAN pour
phénomènes aérospatiaux non identifiés) transmis par la gendarmerie
nationale, l'aviation civile ou militaire. Il mène des enquêtes
élémentaires, et le cas échéant des analyses plus poussées. Après une
période faste où une équipe soutenue par un comité scientifique a pu
démarrer une base de données, les effectifs du Sepra ont
progressivement fondu. Aujourd'hui, il est réduit à une seule
personne : Jean-Jacques Velasco, qui y oeuvre depuis le début.
Face à des pressions internes au Cnes pour supprimer le Sepra, son
directeur général, Gérard Brachet, a commandé en 2001 un audit à
François Louange, PDG de l'entreprise Fleximage, spécialisée dans
l'imagerie satellite. Le rapport a été remis en interne début 2002.
François Louange a interrogé une trentaine de personnalités,
scientifiques (parmi lesquelles Gérard Mégie, le président du CNRS,
ou René Pellat, le haut-commissaire à l'énergie atomique), militaires
de haut rang, députés et journalistes.
Pratiquement toutes ces personnalités estiment qu'il faut poursuivre
l'activité du Sepra, ne serait-ce que parce qu'il existe une demande
du public à ce sujet. Il vaut mieux assurer une activité modeste sur
le thème des ovnis, dit par exemple René Pellat, plutôt que de
laisser se développer toutes sortes de rumeurs. Et il existe un
intérêt scientifique réel, souligne entre autres Gérard Mégie, parce
que de nombreux phénomènes atmosphériques restent mal compris.
François Louange recommande une augmentation des moyens du Sepra (un
budget modeste de 140 000 € par an avec trois permanents) pour
poursuivre ses enquêtes et pour communiquer, ce qu'il ne fait pas
actuellement.
Remis au directeur général Gérard Brachet, le rapport Louange est
aujourd'hui tombé aux oubliettes. Gérard Brachet a quitté le Cnes en
septembre, et le président du Cnes, Alain Bensoussan, ne cache pas
son hostilité envers la poursuite des activités du Sepra. Les ovnis
ne figurent de toute évidence pas au rang des priorités du Cnes, qui
traverse actuellement des turbulences (1). Toutefois, le rapport
Louange a été transmis au CNRS, à l'Académie des sciences, la
gendarmerie ou encore à l'aviation civile. Les dirigeants de ces
organismes pour la plupart seraient favorables à participer à un
comité scientifique du futur Sepra.
En attendant, Jean-Jaques Velasco tente de poursuivre son travail. Il
doit prochainement rencontrer à Paris son homologue péruvien (le
Pérou vient de se doter d'un service type Sepra). Faute de moyens, le
Français devra sans doute payer de sa poche le billet pour venir dans
la capitale depuis son bureau de Toulouse.
(1) Nos éditions du 26 octobre 2002
|