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Re:Re:Étape par étape, d'accord


R: Re:Étape par étape, d'accord -- André
Posté par Platecarpus , Jan 17,2003,17:13 Index  Forum

Je ne suis pas spécialiste de génétique non plus (mon propre champ d'étude est relativement éloigné). Ceci dit, je vais essayer de répondre aussi bien que je pourrai.

Bien sûr, les gènes non-codants ne peuvent pas apporter ce type d'avantage, puisque, comme leur nom l'indique superbement, ils ne produisent pas (plus ?) de protéines. Leur séquence évolue donc totalement au hasard, indépendamment de toute contrainte fonctionnelle.

Là où ça devient intéressant (désolé, je disgresse un peu :) ), c'est que, comme l'évolution de ces gènes est complètement hasardeuse, elle montre une très grande régularité statistique sur le long terme. C'est à dire que leur taux d'évolution devient égal au taux de mutation. C'est ce qu'on appelle l'hypothèse de l'horloge moléculaire : les gènes qui évoluent uniquement au hasard doivent évoluer de manière tellement régulière qu'ils permettent d'évaluer les dates de divergence entre deux organismes à partir de leur ancêtre commun. On établit depuis quelques années (le principe théorique date de 1964, je crois, et a été renforcé par Kimura en 1970) des arbres évolutifs sur la base des horloges moléculaires. Eh bien, le niveau de concordance avec les arbres morphologiques/paléontologiques est excellent - sur la base des taux de mutation, on retrouve exactement les mêmes dates en millions d'années qu'avec les datations des fossiles. Ceci dit, il y a parfois de légers accrocs, ce qui laisse supposer que tout n'est peut-être pas si simple que ça.

Quant à l'idée que des gènes dupliqués produisant des protéines inutiles, mais non nocives, pourraient devenir utiles en cas de pression sélective, elle n'est pas absurde. Les cas de variants génétiques désavantageux devenant avantageux en cas de pression sélective sont nombreux (tiens, on peut même choisir l'exemple préféré de Julien - celui des papillons blancs et noirs dont les fréquences relatives s'inversent à chaque changement de la pollution atmosphérique qui, en obscurcissant les troncs d'arbres, modifie les aptitudes au camouflage de chaque variante). On peut donc penser que certaines protéines ne jouant temporairement aucun rôle pourraient se révéler avantageuses dans telles ou telles circonstances. Le problème, c'est que je ne sais pas dans quelle mesure une protéine supplémentaire produite par duplication peut muter sans devenir néfaste - en restant simplement inutile. En réalité, nous sommes encore en partie dans le flou sur le problème des mutations neutres, ce qui ne simplifie rien. Par ailleurs, (je vais encore disgresser) je me souviens d'une découverte récente faite chez les drosophiles d'un mécanisme assez proche de celui que vous proposez. On a découvert que sur certains gènes de la drosophile s'accumulaient aléatoirement des mutations qui ne s'exprimaient pas (elles étaient donc neutres). Les drosophiles mutantes ne pouvaient tout simplement pas être distinguées de leurs parents, et certaines de leurs mutations s'accumulaient donc dans la population par pur hasard. Là où les choses deviennent intéressantes, c'est qu'il suffit d'un changement environnemental (je crois qu'on a utilisé des chocs thermiques au cours des expériences) pour que ces mutations se mettent subitement à s'exprimer toutes en même temps, créant des phénotypes parfois assez étonnants. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais le coupable était une protéine appelée Hsp90 qui était sensible entre autres aux chocs thermiques, et qui provoquait l'expression - irréversible - de ces mutations. Celles-ci se transmettaient par la suite selon un mécanisme d'hérédité normal et ne pouvaient plus revenir à l'état "silencieux". Il n'est pas inconcevable que ce mécanisme ait joué un rôle important pour permettre l'adaptation rapide à des changements d'environnement dans certaines phases de l'évolution.

Pour ce qui est de l'idée que le mécanisme de duplication ait pu être favorisé parce qu'il permettait à terme une meilleure adaptabilité, c'est une idée intéressante, mais je ne suis pas sûr qu'une explication adaptationniste soit nécessaire sur ce point précis. D'abord parce que je ne pense pas qu'un si petit changement énergétique (celui entraîné par la fabrication en double d'une protéine) soit perceptible par la sélection naturelle ; ensuite parce qu'il n'est pas certain que les organismes ayant tendance à subir des duplications de gène aient été en compétition par le passé avec d'autres qui n'en subissaient pas ou moins. Il peut très bien s'agir d'un "défaut" inhérent aux mécanismes standard de duplication de l'ADN - qui ne pourrait de toute façon pas être éliminé. Quoiqu'il en soit, il est certain que les duplications sont très utiles à long terme - puisque l'une des deux copies du gène peut évoluer librement, voire acquérir de nouvelles fonctions, sans que la perte de ses anciennes capacité ne pose de problèmes tant que l'autre copie continue à assurer la fonction première.


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